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Alain Cadix, directeur de l’École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI – Les Ateliers)

Alain Cadix, ingénieur et docteur en sciences de gestion, est depuis mai 2007 directeur de…
Publié le 22 mars 2011
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Alain Cadix, ingénieur et docteur en sciences de gestion, est depuis mai 2007 directeur de l’École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI – Les Ateliers). Il a été successivement professeur en stratégie et management de l’innovation à l’ESCP, professeur et directeur des programmes au CRC (Centre de recherche et d’études des chefs d’entreprises, aujourd’hui dans le groupe HEC) à Jouy-en-Josas, directeur des ressources humaines puis de la communication de Dassault Aviation, puis directeur de l’ESIEE, école d’ingénieurs en électronique et informatique de la CCI de Paris, et enfin directeur général adjoint de cette chambre de commerce, en charge des études. Il a présidé la Conférence des grandes écoles et a été membre du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie.

CGE :  Comment définissez-vous le design ?
A.C. : Le design est un art complexe, qui n’a rien de superficiel quand on lui donne un sens plus proche de la conception innovante que de la décoration. Il est l’art de concevoir à dessein des « objets » (créer les concepts) et de leur donner forme. Il faut entendre « objets » dans un sens contemporain, avec leurs parts de matérialité et d’immatérialité. Ils sont produits et/ou services. Ils sont proposés par des entreprises ou des administrations. Le dessein peut être celui de la compétitivité des entreprises ou de l’attractivité des territoires. Il peut être celui de la qualité de vie des gens : «donner une forme adéquate aux conditions de vie» comme disait dans les années 20 Walter Gropius, directeur du Bauhaus. Si créer des concepts d’objets n’est pas l’apanage des designers (mais ils y jouent un rôle essentiel), leur donner forme devrait l’être. Il faut entendre par forme, au-delà du bord, de la limite, comme la définissait le mathématicien René Thom, d’abord l’expression d’une pensée, ensuite le résultat d’une « synthèse créative » de considérations esthétiques, pratiques, psychosociologiques, technologiques et économiques. J’ai mis esthétique en premier. A dessein. Il est important de souligner ici que tout rapport à l’objet commence par une relation à sa forme qui est une perception, une impression visuelle, tactile, parfois sonore. C’est sa forme qui (pré)figure l’imaginaire de l’objet. C’est elle qui, en première approche, rend l’objet désirable ou non.  Si l’on résume le design à l’art de produire des concepts pertinents et des formes adéquates d’objets, si on ne le réduit pas aux arts décoratifs, élégante tradition française, mais si, en s’appuyant sur elle, on en fait un levier de compétitivité et de qualité de vie, alors il prend une dimension stratégique.

CGE : Quelle est la place du design dans l’industrie française contemporaine ?
A.C. : La France souffre à cet égard d’un handicap pénalisant. Ce que j’appelle la French Design Myopia la conduit à n’en faire le plus souvent que du style, de surcroît cantonné à quelques domaines d’activités du côté de l’habitat, de l’ameublement, de la décoration, de l’automobile. On est loin des visions coréennes, japonaises, scandinaves, d’un design levier de compétitivité de toute l’économie. Par exemple, la représentation d’une information sur votre tablette ou les modes d’interaction, la gestuelle de votre doigt sur son écran, c’est du design. J’observe en passant que votre tablette n’est pas française. La forme de vos chaussures de sport, de leurs éléments de semelle adaptés aux exigences de votre sport, c’est du design. J’observe aussi que vos chaussures de sport ne sont pas françaises. Le design, c’est de la création, c’est l’invention à dessein des formes et des fonctions des objets, je l’ai dit, mais c’est aussi un travail sur les usages. Le directeur d’un pôle de compétitivité mondial me disait il y a peu : « 99% de notre temps nous parlons de technologies et 1% de leurs usages ». Or ce sont les usages, ici ceux des technologies, qui créent de la valeur, économique comme sociale voire sociétale. Le travail sur les usages et leur intégration aux fonctions et aux formes des objets, c’est un travail de designer, mais pas tout seul, il doit travailler en équipe avec des spécialistes de différents domaines.

CGE : Vous dirigez l’ENSCI – Les Ateliers depuis 2007, quels sont les enjeux de 2011 et des prochaines années ?
A.C. : Le postulat qui est le notre à l’ENSCI – Les Ateliers, et qui dicte notre politique depuis presque quatre ans, est que l’invention du «monde d’après», après le temps des gaspillages, des fuites en avant, des précarités, des cloisonnements, naîtra pour beaucoup d’un dialogue constructif direct entre la science et la création, concrètement entre la recherche et le design. L’ingénieur-développeur et le marketer intervenant juste après, en interaction avec les chercheurs et les designers. La science est celle des sciences dites exactes, physique, mécanique, biologie, voire mathématiques, mais aussi des sciences humaines et sociales, anthropologie, sémiologie, sociologie, économie, et, à leur intersection, des sciences de la cognition. Quant à la création elle est essentielle parce qu’elle est sens et source de vie, au point qu’elle devrait se substituer dans les priorités de l’Etat, des Régions, des entreprises, à l’innovation. La création transcende l’innovation. Elle est une de nos rares chances face aux BRIC et autres économies en développement rapide car nous avons pour nous notre culture, notre sensibilité, notre sens de la distinction et de l’élégance, notre sensibilité à l’air du temps, notre sens critique ; et tout cela joue à plein dans l’acte de création.

CGE : Quels sont les meilleurs vecteurs pour associer les sciences et le design ?
A.C. : Pour donner corps à notre postulat, l’ENSCI – Les Ateliers a entrepris de se rapprocher des univers de la science et de la recherche pour engager des dialogues directs, sans intermédiation. Dans le cadre d’un partenariat avec la direction des recherches technologiques du CEA, nous avons ouvert une antenne, une « résidence », au cœur du LETI(1) à Grenoble et nous allons en ouvrir prochainement une à proximité du LIST(2) et de ses partenaires scientifiques sur le plateau de Saclay. Nous avons créé avec l’université Pierre et Marie Curie Paris 6 une filière «science et design» ; de niveau L dans un premier temps, elle a vocation à monter en niveau ultérieurement. Nous avons mené un premier projet avec le laboratoire de physique du solide d’Orsay pour l’utilisation par les designers de phénomènes physiques dans la création d’objets, de formes et de fonctions nouvelles. D’autres se dessinent. Dans le domaine des SHS, nous avons engagé un partenariat, dans le cadre de notre PRES « Hautes études, Sorbonne, Arts et métiers », avec l’EHESS et un premier séminaire commun de recherche est engagé. Pour autant nous accordons aussi de l’importance à la collaboration des designers avec les ingénieurs et les marketers notamment pour des innovations plus incrémentales et la conduite à terme de projets nés de la relation science – design. Ainsi, toujours dans le cadre de notre PRES, se tissent des liens étroits entre l’ESCP-Europe, les Arts et Métiers ParisTech et l’ENSCI – Les Ateliers pour une conception globale de produits innovants. Nous avons aussi des accords de double diplôme avec Centrale Paris et avec le CELSA. Ce type d’accord est aussi envisagé avec l’école des Arts et Métiers ParisTech pour donner à ses élèves-ingénieurs une expérience significative en design. Je ne parlerai pas ici des projets liés aux Investissements d’avenir (Idex, Irt, Satt)(3) où nous sommes engagés, attendant les résultats des procédures en cours. Tout cela est dicté par une quête d’interdisciplinarité ; elle est une source sans cesse renouvelée de créativité mais aussi de pertinence. Dans l’entreprise l’ingénieur apporte la technologie, les procédés, le marketer apporte la connaissance des marchés, le manager les dimensions politiques, économiques, de temporalité. Et comme tout se termine par un « objet » avec sa forme, forme utile, forme pratique, forme esthétique, forme désirable, le designer apporte quant à lui sa « synthèse créative » de multiples considérations et contraintes. Pour ma part, j’ai enseigné dans une école de management et ai dirigé une école d’ingénieurs, j’ai travaillé dans l’industrie, je pense pouvoir mesurer sa contribution potentielle et envisager sa juste place : le designer est créateur d‘une part, intégrateur et médiateur d’autre part. Cela peut paraître un oxymore, au moins une contradiction, ceux qui la dépassent gagnent et font gagner leur entreprise. Je terminerai par une question : pourquoi n’y a-t-il pas de designer dans les comités de direction de nos grands groupes ? Alors qu’ils y sont de plus en plus nombreux hors de nos frontières…

(1) Laboratoire d’électronique et des technologies de l’information, une des composantes grenobloises de la Direction des recherches technologiques du CEA.
(2) Laboratoire d’intégration des systèmes et des technologies, autre composante de la DRT du CEA, implanté dans le complexe de Saclay.

(3) Idex : Initiatives d’excellence ;  IRT : Instituts de recherche technologique ; SATT : Sociétés d’accélération de transfert technologique.

Diffuser la création dans l’industrie du 21ème siècle

Créée en 1982, l’École Nationale Supérieure de Création Industrielle (ENSCI – Les Ateliers) est la seule école nationale supérieure exclusivement consacrée à la création et au design industriels. Établissement public à caractère industriel et commercial, elle est placée sous la tutelle des ministères chargés de la Culture et de l’Industrie. Avec une philosophie humaniste et dans la logique d’un développement durable, l’ENSCI se met au service de la qualité de vie des personnes et de la compétitivité des entreprises françaises et européennes. Elle est ouverte aux courants de la création contemporaine artistique et culturelle.

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