Accueil 5 DDRS 5 Arctique et Antarctique : les glaces fondent, les entreprises sourient….

Arctique et Antarctique : les glaces fondent, les entreprises sourient….

L’année 2016 a connu des records de chaleur. Sans entrer dans les querelles d’experts en…
Publié le 28 décembre 2016
Partager l'article avec votre réseau

L’année 2016 a connu des records de chaleur. Sans entrer dans les querelles d’experts en matière de changement climatique tant sur les raisons de son intensification que sur l’étendue des changements (impacts sur la superficie et l’épaisseur des glaces permanentes), on sait que l’Arctique tout comme l’Antarctique sont confrontés au changement climatique global.

Longtemps protégées des activités humaines, les régions polaires attirent les convoitises. Les perspectives d’utilisations économiques de la région s’intensifient tant au niveau de la navigation commerciale que de l’exploitation des ressources. Que ce soit au Nord, en Arctique, ou au Sud, en Antarctique, les appétits d’appropriation et d’exploitation s’amplifient. Au Sud, si l’exploitation des ressources minérales semble éloignée, le tourisme ne cesse d’augmenter. Au Nord, la fonte des glaces laisse envisager l’ouverture de nouvelles routes maritimes mais également l’exploitation de ressources minérales.

Les Etats sont donc confrontés aux velléités d’entreprises avides de nouvelles activités commerciales dans des espaces qui se caractérisent pourtant par la fragilité de leur milieu naturel. Les risques de dommages à l’environnement sont manifestes. Les Etats doivent, en conséquence, relever le défi de prise de décisions internationales concrètes et contraignantes. Parmi les activités commerciales qui sont envisagées, nous avons choisi d’en retenir deux : l’exploitation des ressources minérales et le transport dans les eaux polaires.

L’exploitation des ressources minérales
Les images d’un drapeau russe planté au pôle Nord en 2007 ont fait le tour du monde. Elles ont pu faire croire à un retour vers l’époque des conquêtes territoriales. Pourtant, l’initiative russe est celle d’un Etat qui cherche à faire valoir ses droits sur le plateau continental qui s’étend au large de son territoire. La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (Montego Bay, 1982) reconnaît aux Etats côtiers un droit d’explorer et d’exploiter les ressources du plateau continental en tant que prolongation naturelle de leur territoire terrestre. Elle leur reconnaît également le droit à un plateau continental étendu s’ils répondent aux conditions posées par la convention, en fonction, notamment, de caractéristiques géologiques et géomorphologiques du sol.

L’initiative russe traduit ainsi, tout simplement, le vœu d’un Etat d’étendre, comme lui permet la Convention, son plateau continental. Les autres Etats côtiers de l’Arctique (Canada, Danemark, Etats-Unis et Norvège) partagent également la volonté d’accroître au maximum cet espace maritime. Les risques de chevauchements territoriaux sont néanmoins réels. Les demandes d’extension sont toujours en discussion au sein de la Commission des limites du plateau continental. Seuls quatre des cinq Etats côtiers de l’Arctique ont pu lui présenter leur demande, les Etats-Unis n’étant pas partie à la Convention. En conséquence, il n’est actuellement pas possible d’avoir une approche globale de la question et du partage qui serait fait des plateaux continentaux de la région arctique.

Du côté de l’Antarctique, une extension des plateaux continentaux a également été engagée par les Etats qui ont émis des prétentions territoriales sur le continent. En raison du « gel » des prétentions territoriales qu’a consacré le Traité sur l’Antarctique (Washington, 1959), certains Etats, dont la France, ont choisi de proposer une soumission partielle à la Commission afin d’éviter des différents frontaliers et se garder le droit, à terme, de soumettre un dossier plus précis.

Néanmoins l’extension du plateau continental ne présente pas la même importance dans les régions polaires, qui sont, toutes deux, riches en ressources minérales. Leur exploitation ne peut être projetée de la même manière. Envisagée actuellement principalement à proximité des côtes, l’exploitation des ressources minérales dépend, en Arctique, du cadre réglementaire de l’Etat côtier du territoire maritime concerné. En revanche, le Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement en Antarctique (Madrid, 1991) interdit l’exploitation des ressources minérales, sauf à des fins scientifiques. Contrairement au message alarmant que véhiculent certains médias, le protocole a consacré une interdiction infinie. Les étapes et conditions qu’exige le protocole pour lever l’interdiction sont telles que, pour le moment, l’Antarctique est bien à l’abri d’exploitation minière.

Le transport dans les régions polaires

Les océans arctique et antarctique sont redoutés par les navigateurs en raison des tempêtes qu’ils devront affronter tout comme les glaces ou icebergs. Pourtant, avec la fonte des glaces, certaines entreprises se disent prêtes à affronter les rigueurs du climat.

Les changements climatiques font qu’il est désormais possible d’envisager une route commerciale maritime par le passage du Nord-Ouest et le passage du Nord-Est. Elles attisent les convoitises car elles permettraient de gagner du temps sur les chemins jusqu’ici empruntés, comme le canal de Panama et le canal de Suez. Aux traditionnels navires de recherche et brise-glaces, viendraient s’ajouter de plus en plus de navires de croisière et de commerce lors des saisons estivales.

Pour aller de l’océan Atlantique à l’océan Pacifique, il peut également être envisagé d’emprunter le passage du Nord Est. En ce qui concerne les questions de juridiction, la Russie cherche à contrôler cette route, alors même qu’elle passe par la haute mer pour laquelle la liberté de navigation est consacrée.

La liberté de navigation est également au cœur d’un désaccord entre le Canada et les Etats-Unis du fait que la route du Nord-Ouest passe entre les îles canadiennes. Considérant que ses eaux internes sont empruntées, le Canada ne reconnaît la navigation internationale que tant que sont respectées ses réglementations nationales. Les Etats-Unis estiment, quant à eux, que la route passe par un détroit international qui permet un « passage en transit ». Ils considèrent ainsi que les navires peuvent y aller sans permission préalable et que les sous-marins peuvent naviguer en plongée, ce qui n’est pas possible dans les eaux territoriales. Ce point de contentieux réel entre le Canada et les Etats-Unis les conduit à réfléchir à des solutions de sécurité pragmatiques.

Les deux nouvelles routes maritimes permettent d’envisager des opportunités de navigation dans l’océan arctique et de réduire la durée des traversées. Quoiqu’il en soit on serait encore loin de l’importance des routes traditionnelles par le canal de Panama ou celui de Suez. Même si on constate une ouverture possible chaque année, la route n’est pas praticable en permanence, la mer restant englacée la majorité de l’année. De plus, la navigation dans la région souffre d’un manque d’infrastructures portuaires et de dispositifs de sauvetage ainsi que d’une cartographie encore insuffisante.

Depuis quelques années, le développement de ces routes polaires s’accompagne de celui du tourisme de croisière en Arctique. L’Antarctique aussi est une destination touristique. Les deux régions partagent l’image véhiculée de régions immaculées, vierges d’activités humaines que seuls des voyageurs en quête d’aventure découvriraient. Certains touristes mettent en avant la volonté de découvrir les deux régions « avant qu’il ne soit trop tard ». En Antarctique comme en Arctique, le nombre de visites augmente et le tourisme se diversifie. A l’origine de croisière, le tourisme devient d’aventure et permet de nouvelles activités comme le kayak et la plongée.

Néanmoins, il ne faut pas oublier les aléas de tels voyages. En raison des risques humains et de la fragilité de la vie marine, tout évènement de mer prend des proportions plus importantes que dans toute autre région du globe. Des catastrophes comme celle de l’Exxon Valdez en Arctique en 1989 ont dramatiquement démontré que le transport de pétrole brut dans les eaux polaires est audacieux. Celle de l’Explorer en 1987 en Antarctique a pointé les risques de naviguer dans les eaux polaires, surtout lorsqu’il s’agit de gros navires de tourisme.

L’Organisation Maritime Internationale a établi un recueil de règles obligatoires pour les navires exploités dans les eaux polaires (Code polaire). Il s’agit de mieux appréhender la navigation dans ces eaux en exigeant, entre autres, des normes de construction des navires, de formation des marins et d’assurance maritime. En 2014, la partie relative à la sécurité ainsi que les amendements à la Convention internationale de 1974 sur la sauvegarde de la vie en mer (SOLAS) ont été adoptés. En 2015, les Etats ont adopté la partie relative à la prévention des pollutions ainsi que les amendements à la Convention internationale de 1973 pour la prévention de la pollution par les navires (MARPOL 73-78). Le Code polaire entrera en vigueur en janvier 2017 et s’applique aux navires exploités dans les eaux couvertes par les glaces, qu’elles soient arctiques ou antarctiques.

Les Etats ont adopté une position nettement prudente et préventive et cherchent à développer une réglementation stricte des activités humaines dans les régions polaires. Les entreprises sont toujours en quête de nouveaux terrains de jeux pour valoriser leurs activités. Avec des espaces quasiment vierges, les régions arctique et antarctique sont très attractives, ce qui appelle un droit visant à protéger ces espaces singuliers assurant un équilibre planétaire à condition néanmoins que ce droit ne soit pas instrumentalisé.

Anne Choquet
Enseignant-chercheur en droit
Responsable des départements Compréhension du Monde et Innovation de développement
Brest Business School

A propos d’Anne Choquet

Docteur en droit, Anne Choquet est enseignant-chercheur à l’école de commerce Brest Business School (anne.choquet@brest-bs.com). Elle y est, par ailleurs, Responsable des départements Compréhension du monde et Innovation et développement.
Depuis sa thèse de doctorat en droit relative à la protection de l’environnement en Antarctique, Anne Choquet poursuit ses travaux de recherche sur la gouvernance des régions polaires (Antarctique et Arctique) non seulement en matière de développement durable des deux régions (protection de l’environnement et droit de la mer) mais également sur la gestion des activités privées en développement dans ces régions (tourisme et pêche) ou innovantes (drones). Ses travaux de recherche lui ont permis de participer régulièrement aux Réunions des Etats Parties consultatives au Traité sur l’Antarctique au sein de la délégation de la France. Anne Choquet est également membre du Comité National Français des Recherches Arctiques et Antarctiques (CNFRA).

A propos de Brest Business School

Brest Business School, anciennement Ecole Supérieure de Commerce Bretagne Brest (ESC Brest), a été créée en 1962 par la CCI métropolitaine de Brest. Elle accueille chaque année près de 750 étudiants dont 15% d’étudiants étrangers et 15% d’étudiants ingénieurs dans ses campus de Brest (Finistère) et de Vannes (Morbihan). Cet automne 2016, elle a signé un partenariat historique avec le groupe chinois Weidong Cloud Education.
Brest Business School est aussi un lieu de rencontre pour les entrepreneurs puisque qu’elle intègre un incubateur (Produit en Bretagne – Brest Business School), le siège de l’association « Produit en Bretagne », ainsi que les clubs et réseaux professionnels finistériens.

Partager l'article avec votre réseau
Loading...