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“Derrière l’enjeu de l’orthographe, c’est toute la question des méthodes et des programmes scolaires qui se pose”*

 La dernière enquête de la DEPP[2] datant de 2016, relative à la performance en orthographe…
Publié le 21 juillet 2017
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 La dernière enquête de la DEPP[2] datant de 2016, relative à la performance en orthographe des élèves en fin d’école primaire, met en lumière que les difficultés en orthographe rencontrées par ces élèves sont en augmentation constante depuis la première enquête menée en 1987. Ainsi, ces difficultés avaient doublé entre les enquêtes de 1987 et 2007 mais également entre celles de 2007 et 2015. Force est de constater que la majorité des élèves présentent des difficultés orthographiques mais que ces dernières dépendent très largement de la catégorie socioprofessionnelle des parents. Toutefois, la DEPP souligne que les mesures d’éducation prioritaire dont bénéficient certains établissements d’enseignement primaire tendraient à faire diminuer cet écart.

Par conséquent, il serait opportun de questionner la corrélation entre maîtrise de la langue et réussite scolaire.

Tout d’abord, la réussite scolaire – tout autant que l’échec – est un construit social fabriqué par et pour l’Institution scolaire. De ce fait, l’École prescrit des pratiques conformes à des procédures établies par elle-même. Elle possède également ses propres codes et normes, notamment de hiérarchisation et d’excellence. De cette manière, l’École impose également ses propres niveaux d’exigence institutionnelle ; ces derniers étant spatio-temporellement ancrés. Par exemple, le niveau d’exigence de l’Institution – mais également du personnel enseignant – en zone d’éducation prioritaire ne sera pas identique à celui attendu d’un établissement d’une grande agglomération.

De plus, la réussite scolaire revêt un caractère arbitraire dans le sens où cela ne reflète pas les compétences réelles des élèves car l’École choisit les matières d’enseignement présentées dans les syllabus tout comme l’enseignant choisit les évaluations de ses élèves. Philippe Perrenoud, souligne qu’“avec une épreuve à référence normative, on crée de l’inégalité à partir de n’importe quelle variance”[3] alors que l’École a pour vocation initiale de mener vers la “réussite” une masse d’élèves présentant chacun leurs particularités, tant sur le plan de l’intérêt, de l’habileté, de la langue ou encore de la culture.

Ensuite, la maîtrise du langage présente, initialement, un caractère inégalitaire réel dans le sens où le capital culturel dont sont dotés les élèves a des répercussions car c’est un moyen d’action efficace et, simultanément, un bien symbolique ainsi qu’une source de distinction selon Pierre Bourdieu[4]. Ainsi, la maîtrise du langage peut apparaître comme un héritage familial. Selon le milieu socioculturel dans lequel l’élève va évoluer, son héritage quant à la maîtrise de la langue va différer. Ainsi, un élève dont les parents font partie d’une catégorie socioprofessionnelle supérieure possédera plus facilement des savoirs “scolairement rentables”, au sens de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron[5]. Ces élèves se trouvent moins éloignés de la culture scolaire et n’auront pas le même chemin à parcourir pour faire l’acquisition de ces savoirs scolaires. De fait, ces derniers, possèdent un capital linguistique mais aussi un mode de pensée et de réflexion qui situent les apprentissages scolaires dans l’habitus familial.

Pour conclure, nous pouvons constater que la maîtrise de la langue et la réussite scolaire sont relativement corrélés. En revanche, l’orthographe, comme la pratique d’une langue vivante, a pour vocation d’évoluer et de s’adapter aux usages. Toutefois, il serait intéressant de soulever la question de la différence de prise en compte des usages et de l’évolution officielle, de l’orthographe notamment. La lente prise en compte des nouveaux usages ne soulignerait-elle pas une volonté, de la part de ceux qui la maîtrisent et en tirent en partie leur hiérarchie, une volonté conservatrice de la notion de réussite scolaire et de reproduction sociale ? Et enfin, comme l’a mentionné le journal Le Monde du 09/11/2016, la question de l’orthographe comme marqueur social, revêt un caractère politique dans le sens où “derrière l’enjeu de l’orthographe, c’est toute la question des méthodes et des programmes scolaires qui se pose”.

Amandine Mamelin
Étudiante en sociologie
Université Paris Dauphine

 

[1] *Le Monde du 09/11/2016
[2] Direction de l’Evaluation, de la Prospective et de la Performance
[3] P. PERRENOUD, “La triple fabrication de l’échec scolaire”, Psychologie française, n° 34/4, 1989, pp. 237-245
[4] P. BOURDIEU, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, éd. de Minuit, 1979.
[5] P. BOURDIEU, J-C. PASSERON, Les héritiers. Les étudiants et la culture, Paris, éd. de Minuit, 1964.

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