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Entretien avec Madame Nicole Guedj, ancien ministre et président de la Fondation Casques Rouges

Parcours personnel Née à Constantine en 1955 – Mère de deux enfants – Chevalier de…
Publié le 3 juillet 2012
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Parcours personnel
Née à Constantine en 1955 – Mère de deux enfants – Chevalier de la Légion d’Honneur – Officier de l’Ordre national du mérite – Professeur de droit bancaire de 1979 à 2004 – Conseiller d’Etat de 2006 à 2010 – Avocat au barreau de Paris depuis 1979.

Parcours politique
Membre de la Commission Stasi en 2003 – Secrétaire nationale UMP en charge des droits de l’homme et de l’action humanitaire de 2004 à 2007 – Secrétaire d’État aux Programmes immobiliers de la justice en 2004 – Secrétaire d’État aux Droits des victimes en 2005 – Chargé de mission à la présidence de la République française sur les technologies innovantes au service de l’action humanitaire en 2006 – Membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) de 2003 à 2009 – Conseiller régional d’Île-de-France de 2004 à 2010 – Conseiller municipal du XVIIIe arrondissement de Paris depuis 2008 – Membre du bureau politique de l’UMP depuis 2009 – Membre du conseil d’administration de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) depuis 2010.

Parcours militant
Fondateur et vice-président de l’Observatoire des Ecoles qui a vocation à lutter contre les violences et les discriminations en milieu scolaire en 2001 – Auteur du « Guide du droit des victimes » en 2005, de « Ressources et Handicap » en 2006 et de « Pour des Casques Rouges à l’ONU » en 2009 – Président de la Fondation France Israël depuis 2009

CGE : Quelles sont les clés pour démocratiser l’action humanitaire et quelles sont les voies d’amélioration des caractéristiques de gouvernance humanitaire ?

N.G. : Il existe mille et une façons de s’investir dans l’action humanitaire : distribuer de la nourriture, construire des écoles, donner des cours de soutien aux enfants les plus démunis… La Fondation Casques Rouges, que je préside depuis cinq ans, œuvre quant à elle en faveur d’une meilleure organisation et coordination des secours dans l’urgence notamment en utilisant les nouvelles technologies.

Pour remplir cette mission, nous nous attachons à impliquer le plus grand nombre de forces vives dans nos projets : institutions publiques, entreprises privées, centres de recherches, étudiants… sont autant de ressources utiles pour contribuer à une optimisation de l’action humanitaire sur le terrain.

C’est d’ailleurs dans cet esprit que nous avons décidé d’organiser annuellement le Challenge Humanitech, concours étudiant de l’invention humanitaire qui permet aux plus jeunes de mettre leurs compétences au service des victimes.

CGE : Les engagements de votre fondation sont nombreux et les outils déployés de plus en plus instantanés et opérationnels. En ce sens, quels sont les enjeux et les perspectives du moteur de recherche missing.net et du conteneur satellitaire Emergesat ?

N.G. : Je plaide de longue date pour une meilleure exploitation des nouvelles technologies dans le champ de l’action humanitaire. Les progrès accomplis sont impressionnants et l’ensemble de la planète doit en bénéficier. C’est pour cela que j’ai voulu consacrer une grand partie du travail des Casques Rouges à la conception d’outils technologiques innovants comme missing.net et Emergesat.

Le premier est un moteur de recherche humanitaire mondial des disparus de catastrophes naturelles, qui a été développé avec Google, Bearstech et European Consulting Services. Il permet aux familles des victimes, qui ont perdu un proche durant une catastrophe naturelle, de déclarer cette disparition et de solliciter des témoignages auprès de la communauté internationale. Nous l’avons expérimenté lors du dernier tremblement de terre au Japon et sommes désormais prêts à l’activer pour toutes les crises d’ampleur.

Concernant Emergesat, j’ai imaginé, en son temps, réunir plusieurs moyens de communication dans une même « boîte », qui permettrait aux acteurs humanitaires d’échanger des informations, alors que le réseau de télécommunications traditionnel est toujours rompu. J’ai eu la chance de susciter l’adhésion auprès du CNES et de Thales Alenia Space, qui m’ont immédiatement soutenue et ont participé à la réalisation de cette belle idée. Ce conteneur a notamment déjà été déployé au Tchad, en partenariat avec le Haut Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés et, en Haïti, au lendemain de la dernière catastrophe. A Port-au-Prince, Emergesat a permis aux pompiers, membres de la sécurité civile, ONG et autres journalistes de téléphoner, de surfer sur Internet, de partager des fichiers… dans les premières heures cruciales de la crise.

Aujourd’hui, nous réfléchissons à améliorer le dispositif en le dotant de technologies encore plus performantes.

CGE : Mobiliser la jeunesse autour des crises humanitaires présentes et à venir est la meilleure manière de percevoir leur détermination à la construction d’un monde plus juste et durable, c’est aussi un moment de partage, de générosité et d’échange d’expérience. Comment s’inscrit l’action du Challenge Humanitech dans cette stratégie ?

N.G. : Conscients de la place que doivent occuper les nouvelles générations dans les efforts de solidarité internationale, nous avons toujours eu à cœur de les impliquer concrètement dans l’ensemble de nos projets. Avec le Challenge Humanitech, ouvert à l’ensemble des pays francophones, nous voulons soutenir les étudiants dans la mise en œuvre d’actions humanitaires innovantes. Les étudiants apprécient énormément ce concours, qui, par l’intermédiaire du parrainage notamment, contribue à créer un premier contact concret avec la vie professionnelle.

Depuis désormais quatre ans, le Challenge Humanitech a rempli tous ses objectifs. Aujourd’hui, les lauréats du concours ont réussi à pérenniser leur projet en créant leur entreprise, comme c’est le cas pour Leaf Supply, ou leur association, comme Jerry. Les lauréats camerounais de l’édition 2012 viennent, quant à eux, de lancer l’expérimentation de leur filtre à eau low-cost, constitué de matériaux très largement accessibles : des seaux et des bougies en céramique.

Les jeunes constituent un réservoir inépuisable d’idées nouvelles et nous le constatons lors de chaque nouvelle édition. Ils font preuve d’une générosité sans faille et d’un véritable esprit de solidarité. Il suffit bien souvent de leur donner une chance et de leur faire confiance pour qu’ils puissent concrétiser de remarquables projets.

CGE : Les désastres climatiques risquent de se multiplier et d’engendrer de nombreuses victimes de catastrophes naturelles, nécessitant une réactivité sans faille pour limiter les dégâts et l’isolement des populations. Comment votre fondation souhaite-t-elle voir évoluer son action auprès des institutions internationales et son rayonnement au cœur des enjeux géopolitiques qui sont parfois des freins pour l’action humanitaire ?

N.G. : Japon, Nouvelle-Zélande, Pakistan, Turquie, l’année 2011 l’a une nouvelle fois prouvé : pas un point sur la planète n’est à l’abri des catastrophes naturelles. Au-delà de l’engagement des acteurs de terrain et de la mise à disposition de moyens toujours plus importants, un constat s’impose : la communauté humanitaire n’est plus assez forte pour relever seule les défis liés aux bouleversements environnementaux. Plus un mois ne passe sans qu’un ouragan, un cyclone ou un tremblement de terre ne frappe notre planète. Selon l’ONG anglaise OXFAM, 250 millions de personnes étaient, au début des années 2000, victimes des catastrophes naturelles. Elles ne seront pas moins de 375 millions en 2015.

Le changement climatique a, en provoquant des catastrophes naturelles d’ampleur, un impact conséquent sur la sécurité alimentaire, la santé et la cohésion sociale des populations les plus exposées. La dimension économique de ces mutations environnementales est aussi à prendre en compte, puisqu’elles coûteraient, selon les estimations du Forum humanitaire mondial, plus de 125 milliards de dollars par an. C’est plus que le PIB des trois-quart des pays du monde et plus que le montant total de l’aide apportée actuellement par les pays industrialisés à ceux en développement.

A l’heure des échecs de Rio +20 et de la mobilisation de l’ensemble des acteurs de la société civile autour de la question du changement climatique, je forme le vœu que la communauté internationale s’intéresse d’avantage aux conséquences humaines du changement climatique. Mon projet de Casques Rouges humanitaires s’inscrit précisément dans ce sens.

CGE : Alerter, coordonner, innover, préparer, anticiper, tels sont les chevaux de bataille de votre fondation. Si vous pouviez accélérer un processus, changer une mentalité ou libérer une capacité d’intervention, quelle serait votre priorité pour une solution d’urgence humanitaire ?

N.G. : La priorité aujourd’hui est simple : sauver des vies. La vulnérabilité de l’humanité nous renvoie à la fragilité de la planète. Alors que nous n’en finissons plus d’évaluer notre empreinte environnementale et de calculer notre efficacité énergétique, comment interpréter le fait qu’il n’existe aucune régulation ni gestion des « ressources humanitaires », des moyens matériels comme des moyens humains ?

Le monde humanitaire n’a pas tant besoin de davantage de dons. Il n’a pas non plus besoin d’un acteur de plus : les ONG et les agences intergouvernementales accomplissent déjà un travail considérable. Encore moins d’une nouvelle philosophie. Il n’y en a qu’une qui vaille : sauver des vies. Ce dont le monde humanitaire a besoin, c’est d’encadrement, de coordination, de régulation, de structuration, de veille. Il lui faut une « intelligence humanitaire » pour unifier son action. Comment ? En créant des Casques Rouges. Rouges, comme la couleur des secours.

Nous sommes parfaitement capables d’inventer un humanitaire efficace et durable. Et nous réussirons à construire cet humanitaire du temps de l’urgence avec des Casques Rouges, 100 % humanitaires, articulés autour d’un état-major renforcé et d’une force opérationnelle d’appoint, dotée de capacités technologiques.

Nouveau centre de crise mondial, les Casques Rouges veilleraient à faciliter l’action des ONG en situation d’urgence. L’urgence, cette période de la crise trop peu anticipée, trop peu maîtrisée, trop aléatoire. Certes, il faut un laps de temps incompressible pour acheminer l’aide internationale mais une fois sur place, nous devrions être en mesure de déployer nos efforts de manière organisée et coordonnée. Sans perdre de temps. Rappelons-nous de la Birmanie, ravagée par le cyclone Nargis en 2008. Il a fallu trois semaines avant que la junte accepte un interlocuteur : l’ONU. Je n’ose imaginer le nombre de vies que l’on aurait pu sauver.

La question de la coordination des secours se posera indéfiniment tant que nous n’aurons pas pris les décisions qui s’imposent. Mais la prochaine fois, on ne nous le pardonnera pas.

Propos recueillis par Pierre Duval
CGE – Chargé de mission Communication

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