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Entretien avec Philippe Fuchs, expert en réalité virtuelle à Mines ParisTech et ultramarathonien !

Ultrafond à plus de 50 ans : des milliers de kilomètres au compteur ! Une…
Publié le 3 juillet 2010
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Ultrafond à plus de 50 ans : des milliers de kilomètres au compteur ! Une première sensation impressionnante devant les chemins de traverse que Philippe Fuchs, chercheur expert en réalité virtuelle à Mines Paris Tech, a parcourus pour assouvir ses passions et développer ses programmes de recherche en réalité virtuelle. Partageons un moment avec lui pour en savoir plus sur les moteurs de sa vie.

CGE : 3200 kilomètres en 1995 jusqu’au Cap Nord, 2400 kilomètres en 2004 jusqu’à Athènes, 8500 kilomètres en 2008 jusqu’à Pékin, des randonnées extraordinaires, certainement riches d’enseignements, d’émotions et de rencontres. Quelle part de sport et quelle part d’accomplissement personnel y a-t-il dans ces exploits ?

P.F. : Les gens ne voient que l’exploit sportif, mais le sport n’est qu’un moyen, l’objectif est la randonnée et la découverte d’autres pays. C’est au fil du temps que le sport est devenu un élément motivant, au départ cela ne m’intéressait pas spécialement. Après avoir essayé la randonnée à vélo, qui ne m’a pas totalement satisfait, j’ai débuté la course à pied à 37 ans avec mes enfants. Nous allions au Mont Saint Michel en trois jours et eux me suivaient en vélo. C’était avant tout un challenge, une aventure. La question était : « est-ce qu’on va y arriver ? ». Dans ma famille, nous sommes tous endurants : ma mère, à 62 ans, est allée de Besançon à Lourdes à pied, soit 30 kilomètres par jour ! De mon côté, j’ai fréquenté des clubs d’aviron, mais pas pour de la compétition. La course à pied en revanche m’a donné l’envie de faire des marathons. J’en ai fait un en 2h43, je suis entré ensuite dans un club pour m’entraîner et descendre progressivement à environ 2h30. Même si ces performances restent d’un niveau régional, en Loire-Atlantique, nous étions 3 ou 4 vétérans (plus de 40 ans) à gagner toutes les coupes de notre département !

Puis j’ai commencé à traverser la France pour aller voir mes parents à Besançon, j’ai fait 700 kilomètres en 10 jours ! La question était toujours la même : « est-ce que je vais en être capable ? ». Mais ça fonctionnait, je trouvais mon rythme, d’abord 30 kilomètres par jour, puis 70 sans qu’une fatigue extrême ne m’atteigne en bout de course. Cela paraît bizarre ou impossible, mais mon corps semblait me pousser à toujours me projeter sur des distances plus grandes. J’ai pris ainsi le parti de voir quelles pouvaient être mes limites ? J’ai découvert la France, ses paysages, la convivialité et la chaleur de ses habitants, d’une manière totalement nouvelle. Pourtant je n’étais pas très rassuré sur mes premiers chemins de traverse, j’avais certaines appréhensions que ma famille partageait, notamment pour ma santé. Mes enfants parfois me suivaient en vélo et ma femme en voiture : à l’époque il n’y avait pas de téléphone portable ! Puis, progressivement la confiance s’est installée et je me suis senti libre d’aller plus loin, seul ou accompagné…

Les conférences que je donne désormais soulignent aussi une approche sociologique de la reprise des activités sportives à 35-40 ans. Je le dis souvent : « ce que je fais, c’est ce que fait tout le monde ». A 35-40 ans, on a généralement une situation stable professionnellement, la santé est encore bonne, les enfants commencent à grandir et à faire du sport ; les parents veulent souvent les accompagner, alors ils reprennent le sport. Je m’inscris donc dans un cadre tout à fait normal. Évidemment, j’ai un potentiel qui sort un peu de l’ordinaire. J’ai eu la chance de ne pas me blesser : j’ai une foulée très douce, rasante, je suis endurant, surtout j’aime sortir des sentiers battus et faire des choses originales.

CGE : Comment avez-vous fait la connexion avec votre vie professionnelle ? Mines ParisTech est au cœur de votre vie et de « votre réalité » si j’ose dire. Que pouvez-vous nous dire sur votre quotidien « virtuel » ?

P.F. : Au début, il n’y en avait aucune. Je prenais sur mes temps de congé pour accomplir ma passion de la randonnée en courant. Je n’ai jamais imaginé que cette passion serait ainsi nourrie d’exploits. J’ai fait Paris – Cap Nord (3200 kms) pendant les vacances de juillet – août en 1995. Puis, une fois que j’ai eu découvert le nord de l’Europe, j’ai pensé au sud avec notamment la Grèce ou l’Espagne. Mais chaque année je reportais, je n’avais pas le temps. En 2004, c’était les Jeux Olympiques à Athènes, c’était le moment ou jamais !! J’étais très attendu sur place, j’ai fait plusieurs conférences et certains m’ont dit : « après c’est Pékin ! ». Faire de la randonnée une passion, c’est une question de temps. Mes capacités physiques n’ont jamais été un frein. D’ailleurs, pour le Cap Nord par exemple, j’avais un peu fondu pendant les trois premières semaines, après la traversée de l’Allemagne. A l’arrivée, même ma femme était étonnée de me retrouver avec un aspect physique assez similaire à celui du départ. Le corps s’adapte à l’effort !

L’objectif « Pékin » a été la première passerelle avec ma vie professionnelle et surtout l’ampleur du projet nécessitait une préparation plus approfondie et un financement plus important. Pour un voyage estimé supérieur à 5 mois, une recherche de sponsors s’imposait. Le dialogue avec Dassault Systèmes a été spontané puisqu’ils étaient à la fois intéressés par ma démarche sportive et impliqués dans mes recherches fondamentales en réalité virtuelle.

La technique s’acquiert par l’expérience. Dans un club, on vous entraîne, mais c’est surtout par mes différentes courses que j’ai appris à connaître mes capacités. Avant de partir à Pékin, les gens me demandaient si je m’entraînais davantage. En fait, non, je courais 10 kilomètres par semaine. Je connais les réactions et les alertes que mon corps exprime : lorsqu’il fait trop chaud, si je force, je vais tomber malade. Concernant la technique de course, j’ai une course rasante qui sollicite peu les muscles. Je ne l’ai pas travaillée, elle est naturelle. En revanche, lors de ma course Paris-Pékin, il y a une étude qui a été faite par des biologistes pour savoir si ma foulée allait encore évoluer ; or, elle a évolué. Ils ont mesuré le centre de gravité (qui en général « saute » énormément), le mien monte de quelques centimètres seulement. Ils ont fait des tests avant et 5 mois après Pékin : résultats surprenants avec une baisse de 20% de ma puissance musculaire, mais un déroulé moins traumatisant pour les muscles également. Mon corps s’est adapté à l’effort : une réduction de la puissance pour une meilleure longévité !

Enfin pour répondre aux critères de mon quotidien virtuel, nous avons un axe prioritaire qui est d’intégrer en permanence l’utilisateur au cœur d’un environnement virtuel. On privilégie les capacités d’adaptation de l’utilisateur en fonction de l’environnement. C’est un parfait parallèle entre ma façon de courir et l’exercice de mon métier et de mes recherches.

CGE : Les jeunes que l’on retrouve au sein de nos grandes écoles, cherchent souvent les meilleurs chemins pour leur construction personnelle et la meilleure intégration dans la vie professionnelle, quel fil conducteur pourriez-vous leur conseiller pour trouver un itinéraire équilibré ?

P.F. : Je leur dirais de garder en tête que notre adaptabilité est quasi sans limite. Certains de mes étudiants se mettent des barrières en ne cherchant que des voies professionnelles ou des axes de recherche monolithiques. Ils sont figés dans leur idée. Si l’on m’avait dit à 25 ans que je ferai Paris Pékin en courant, je n’y aurais pas cru ! A mon époque, l’informatique n’était pas autant développée, nous étions esclaves de la machine et je me disais que je n’entrerais jamais dans ce milieu là, pourtant… Il ne faut pas rester ignorant de sa capacité d’adaptation. A Mines ParisTech, l’encadrement est là pour montrer la multitude d’aiguillages qu’il existe et chaque fois qu’un étudiant ou qu’un chercheur trouve une nouvelle voie, nous sommes à la fois enchantés de la découvrir et de la partager pour les générations futures.

CGE : Vos voyages, ou vos aventures dirais-je, ont une grande caractéristique internationale. Les grandes écoles se veulent plus attractives pour les étudiants étrangers et investissent pour se positionner en ce sens. Que pensez-vous des valeurs ajoutées d’un amphi intégrant 30% d’étudiants étrangers ?

P.F. : L’intérêt est le partage de la culture, peu importe le pourcentage, même si, à partir de ce taux, l’émulation est optimisée. Ce qui est intéressant, c’est que cela permet d’observer à la fois les différences et les points communs. Lorsqu’ils voyagent, la plupart des gens se focalisent surtout sur les différences avec leur quotidien, leurs partis pris et leurs acquis, c’est dommage.

Concernant mes voyages, ils sont aussi devenus réalité par l’ouverture du monde. Jadis, faire Paris-Pékin de telle sorte était impossible. L’histoire construit les citoyens du monde et même si certains semblent retranchés dans leur tour d’ivoire, d’autres dans les villages se soucient peu de l’histoire, c’est l’humain qui prime. Les gens sont très accueillants et vous offrent tout. Contrairement aux idées préconçues, je n’ai jamais été agressé ou volé dans mes voyages dans des pays lointains.

L’ouverture aux autres permet une approche différente de son propre pays. Ces étudiants étrangers ont un fond commun avec les étudiants français et la barrière de la langue n’en est pas une !

CGE : Pour les néophytes, comment pourriez-vous différencier la réalité « réelle » et la réalité « virtuelle » ?

P.F. : La réalité virtuelle permet de voir ce qui peut être possible et n’est surtout pas un deuxième monde où l’on irait se réfugier. C’est utile au réel, utile pour communiquer, distraire, mais également de manière professionnelle, pour soigner, former. Kant disait qu’on ne peut pas comprendre totalement la réalité. On en a seulement une certaine perception. L’attitude d’une personne face à la réalité virtuelle ou au monde réel est la même. On vit déjà dans un monde qui a été construit, qui n’est pas naturel au sens originel. Le virtuel est simplement un autre monde qui est construit, aussi, mais qui n’est pas forcément une copie du réel, c’est une représentation différente de la réalité. En revanche, c’est toujours l’homme est qui est au cœur de ces systèmes : en ce sens, le virtuel fait partie du réel.

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