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Entretien avec Sylvie Ayral : La fabrique des garçons – Sanctions et genre au collège – et une sélection des actualités DD dans les écoles

Sylvie Ayral est professeure agrégée d’espagnol, enseignante en collège, et docteure en sciences de l’éducation.…
Publié le 22 mars 2012
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Sylvie Ayral est professeure agrégée d’espagnol, enseignante en collège, et docteure en sciences de l’éducation. Elle est également membre de l’Observatoire de la violence à l’école et du réseau bordelais Mixité, parité, genre. Elle publie La fabrique des garçons Sanctions et genre au collège (Ed PUF 2011).

CGE : Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel ?

S.A. : Au moment où je vous parle j’ai vingt-sept ans de métier dont quinze comme institutrice. J’ai commencé par une des dernières classes uniques (26 élèves, 8 niveaux !). En maternelle/primaire j’ai été directrice d’école et je suis depuis une douzaine d’année professeure agrégée d’espagnol dans le secondaire, d’abord en lycée et maintenant en collège. Cette année je suis également chargée de mission à la Direction de la pédagogie du rectorat de Bordeaux.

CGE : Quelles sont vos missions à la Direction de la pédagogie ?

S.A. : Je collabore avec les inspecteurs « vie scolaire » sur la prévention de la violence et du harcèlement, je travaille aussi sur les risques psycho-sociaux et notamment la souffrance des enseignants. J’accompagne les établissements qui montent des projets en lien avec la parentalité et l’amélioration des relations avec les parents d’élèves. Et enfin je participe aux instances qui proposent et portent les projets innovants et expérimentaux.

CGE : Comment êtes-vous arrivée à l’approche « genre » dans votre parcours ?

S.A. : Je me suis rendu compte que si l’on avait porté une grande attention à l’accompagnement du parcours des filles, on avait par contre laissé de côté celui des garçons. On a beaucoup travaillé à l’émancipation des premières en les encourageant à aller vers des domaines traditionnellement « réservés » aux garçons mais on a très peu pris en compte le fait que ces derniers soient surreprésentés dans le décrochage et la violence scolaires. Je me suis donc dit qu’on ne pouvait pas faire évoluer les choses si l’on oubliait la moitié de la population !

CGE :
Quelle raisons expliquent cet oubli à votre avis ?

S.A. : On a tendance à naturaliser les comportements, pour parler de la violence par exemple en considérant qu’elle est inhérente à la nature masculine. On invoque les gènes, les hormones, quelque chose qui a toujours été comme cela depuis la nuit des temps, comme une espèce de fatalité masculine. Mais tous les garçons ne sont pas violents, loin de là ! Il s’agit surtout d’une frange des garçons qui monopolise notre attention, ce qui rend invisible la « majorité silencieuse » des filles et des garçons plus doux. Non seulement on fait du comportement de quelques-uns une généralité masculine mais on est passé en quelques années de la notion « d’enfance en danger » à celle « d’enfance dangereuse » ! Malgré tout, et même si tous les garçons ne sont pas concernés, la violence, sous toutes ses formes, y compris sexiste et homophobe, reste très majoritairement masculine au collège comme ailleurs

CGE : Dans vos écrits vous dites que ces comportements sont plus rarement la manifestation de problèmes ou de troubles du comportement que celle de conduites sexuées ritualisées. Cela ne rappelle-t-il pas certaines sociétés traditionnelles ou le passage à l’âge adulte pour un garçon est souvent ritualisé par des actes violents ?

S.A. : Tout à fait, que ce soit dans nos sociétés occidentales ou dans certaines sociétés dites «primitives » (cf. les travaux de Maurice Godelier), le but, pour le garçon adolescent, est de répondre à l’injonction sociale de se démarquer hiérarchiquement de tout ce qui est féminin. Dans les sociétés primitives on va extraire le garçon de la société des femmes et lui faire subir un tas d’épreuves, généralement tenues secrètes, à l’issue desquelles il ressortira avec le statut d’homme, sa virilité ayant été validée par ses pairs. L’« adolescence » n’aura duré, au mieux, que deux ou trois jours. Dans nos sociétés occidentales la plupart des grands rites ont disparu : plus de service militaire, de moins en moins de communions, plus de passage de la culotte courte au pantalon… Xavier Pommereau a expliqué comment les adolescents ont tendance à se fabriquer de pseudo-rites de substitution. Ce que j’ai démontré, c’est que nos adolescents masculins instrumentalisent le système disciplinaire à l’école, (d’autant que la majorité des enseignants sont des enseignantes !), pour se démarquer hiérarchiquement du féminin et créer leurs propres rites de passage. Concrètement un jeune qui reçoit une punition de la part de son professeur, surtout s’il s’agit d’une femme, suite à un acte d’indiscipline, ressort auréolé de cet acte de « bravoure » aux yeux de ses pairs. Les filles elles- mêmes participent à la perpétuation de ce rite puisqu’elles déclarent préférer les « rebelles », les « populaires» aux garçons sages et « ennuyeux ». Cela pose bien entendu la question plus vaste de ce qu’est être adolescent aujourd’hui, comment on le devient, comment on passe à l’âge adulte alors même que nombre d’adultes refusent de vieillir et adoptent des comportements d’adolescents.

CGE : Faut-il un rite pour passer de l’adolescence à l’âge adulte ? La construction identitaire ne commence-t-elle pas dans la toute petite enfance de toute façon ?

S.A. : Pourquoi seuls les garçons auraient-ils encore besoin de rites initiatiques dans notre société ? Si l’on considère que l’enjeu est de se démarquer du féminin et que l’on regarde les statistiques à notre disposition, on peut prendre la mesure des ravages que provoque ce type de représentations. Près de 97 % (INSEE 2010) des personnes incarcérées sont des hommes, 76 % des personnes qui se tuent en voiture sont des hommes (93 % en moto), dans les accidents avec taux d’alcoolémie illégaux 90 % touchent des hommes : mais aussi 80 % des personnes SDF sont des hommes et 75 % des élèves décrocheurs sont des garçons. Tant de violence, tant de souffrance, tant de morts parce qu’il faut être le plus fort, le plus rapide, montrer qu’on n’a pas peur, pas mal ? Le coût social du virilisme est bien lourd… Pourtant cela commence dès le plus jeune âge. Un petit garçon est presque systématiquement félicité pour ses prouesses physiques, il apprend à ne jamais montrer sa souffrance à tel point que rapidement il n’arrive plus à l’exprimer, voire à l’identifier. A titre d’exemple j’ai un petit neveu de 4 mois : alors que mon père lui tendait un doigt, il l’a serré dans sa petite main (comme le font instinctivement tous les bébés) et mon père lui a dit : « qu’est-ce que tu es fort, qu’est-ce que tu es costaud dis donc ! ». Voilà le genre de discours que l’on ne va jamais tenir à une petite fille. C’est vraiment pour montrer que par des milliers de petites interactions quotidiennes un garçon va se construire un personnage/carapace, devenir hermétique à une partie de ses émotions, certains parlent même d’un « faux moi ». Ceci est bien évidemment plus ou moins prégnant selon l’environnement dans lequel vit l’enfant et en premier lieu selon le modèle éducatif et les modèles de masculinité de son entourage. Mais lorsque l’on tombe dans la caricature on aboutit aux chiffres présentés précédemment.

CGE : Que préconisez-vous pour sortir des schémas reproductifs dont vous venez de nous parler ?

S.A. : Je crois que l’école est un levier politique majeur pour faire changer les choses puisque l’on accueille les enfants des deux sexes pendant une quinzaine d’années. Les espaces d’échanges, de mise en mots des émotions à travers les groupes de parole, les ateliers philo ou psycho, les pratiques artistiques et littéraires qui vont faciliter l’expression des émotions et de la relation aux autres et à soi vont permettre de faire émerger la vraie personnalité de ces garçons. Ensuite il faut organiser la lutte quotidienne contre tous les rapports de domination, surtout entre les garçons qui se structurent autour de l’homophobie et passent leur vie à donner la preuve de leur virilité et de son corollaire : leur hétérosexualité. Tout ce qui concerne l’éducation sexuelle et affective, mais dans une perspective relationnelle et non plus seulement biologique, va aussi favoriser l’évolution des rapports inter et intra genre. Il faut également militer pour une mixité active au sein des classes : tout ce qui va valoriser l’entraide et la coopération plutôt que la performance et la compétitivité, tout ce qui va rendre les garçons et les filles acteurs et actrices d’une société égalitaire va permettre de s’émanciper des stéréotypes de sexes. Il me semble tout aussi important de promouvoir les parcours dans les métiers du soin et de la sollicitude pour les jeunes garçons (le « care » en anglais), métiers traditionnellement associés à la sphère féminine et donc systématiquement désertés par ces derniers, que de diriger les jeunes filles vers les filières scientifiques et techniques. Or que constate-t-on ? Que, dès qu’un domaine professionnel est investi par les femmes, les hommes le désertent !

CGE : Vous cherchez en quelque sorte à redéfinir les valeurs masculines et féminines ?

S.A. : Je crois simplement que le bien-être des uns passe par le bien-être des autres. Il faut œuvrer sur le long terme. Cette construction exacerbée de l’identité masculine fait des dégâts sociaux énormes. Il y a de nombreux signaux de régression : on assiste d’un côté à une hyper virilisation des garçons et une hyper sexualisation des filles de plus en plus jeunes, la violence conjugale ce véritable fléau traverse l’ensemble des classes sociales et 150 000 jeunes sortent chaque année du système éducatif sans diplôme, dont une grande majorité de garçons. Bien sûr, d’autres facteurs expliquent ce constat mais on ne se rend pas compte à quel point le facteur genre est central.

CGE : Quelles conséquences, selon vous, cela a-t-il dans le monde du travail ?

S.A. : Cela pose en premier lieu le problème de l’orientation des élèves qui choisissent de façon soit disant « naturelle » tel ou tel secteur (domaine technique, technologique, scientifique vs domaine des services, du soin, de la petite enfance, des relations) alors que c’est bien entendu avant tout la conséquence d’une construction sexuée qui a démarré depuis la plus tendre enfance. Le plafond de verre perdure pour les filles, qui ont incorporé la domination masculine et qui, si elles réussissent globalement mieux que les garçons et sont plus diplômées, n’en acceptent ou ne recherchent pas pour autant facilement les postes de pouvoir et de décision. Concernant les garçons qui se sont construits sur la base d’une identité stéréotypée, il y a en gros deux cas de figure : ceux qui « réussissent » et qui deviennent des « grands hommes » (pouvoir, décision, responsabilités. .) et ceux qui n’arrivent jamais à atteindre cet « idéal » ou qui en sont déchus, à la faveur d’un accident de la vie. Ce sont souvent ceux-là que l’on retrouve dans les statistiques sur l’alcoolisme, la violence conjugale, le suicide etc. Car lorsque l’on n’a pas pu donner la preuve de sa domination on n’est plus grand-chose ; cela s’avère d’autant plus compliqué à gérer que l’on n’a jamais appris à exprimer ses émotions et ses sentiments. Ce type de construction de la masculinité rend l’homme finalement très vulnérable.

CGE : Quelle peut être la contribution de l’enseignement supérieur à une évolution sociétale ?

S.A. : La recherche-action surtout, car la recherche existe mais elle a du mal à descendre sur le terrain. On a multiplié les colloques dans les IUFM et les universités sur les dangers de cette construction mais, et c’est une question éminemment politique maintenant, il faut la transcrire dans les politiques éducatives. De nombreux décrets, conventions ou lettres préconisent déjà le traitement égalitaire des sexes mais entre les textes et la réalité du terrain il y a un océan. Cette volonté politique doit s’accompagner d’une formation des principaux acteurs. Sachant le taux de féminisation croissant de l’enseignement (à peu près 65 % de femmes en collège), il n’est pas inutile de comprendre que c’est non seulement le métier d’enseignant mais les apprentissages scolaires eux-mêmes qui sont dévalorisés aux yeux des garçons qui ont subi cette construction caricaturale.

CGE : L’homme doi-il en quelque sorte réinvestir le care (« soin » en anglais) et la sphère familiale ?

S.A. : C’est un des leviers importants pour changer la donne et sortir de l’aliénation des stéréotypes sexués. Il y a déjà des évolutions considérables : de nombreux hommes s’occupent merveilleusement bien de leurs enfants (et en sont très heureux !), partagent les tâches domestiques, mais ils sont loin d’être majoritaires, les chiffres sont têtus ! L’idéal serait que les rôles soient interchangeables… Les filles doivent d’ailleurs aussi davantage investir les domaines traditionnellement plus masculins : pourquoi l’homme devrait-il systématiquement être celui qui tond, sort les poubelles ou se sert de la perceuse ?
On a tous intérêt à ouvrir le champ des possibles et vivre dans une société plus égalitaire, je suis persuadée qu’il y plus de bonheur à la clé. Cette évolution au sein du foyer devrait bien sûr pouvoir se décliner à tous les niveaux de la société. Mais il y a encore tellement d’avantages à être un homme aujourd’hui, y compris en France, qu’il est difficile de renoncer à ses « prérogatives », quand bien même le monde construit sur des valeurs masculinisées donne tous les signes d’avoir atteint ses limites et se montre porteur d’une grande souffrance sociale.

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