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« Informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique afin, notamment, d’éclairer ses décisions »

C’est parfois une tentation forte, face à un problème, de se laisser tenter par des…
Publié le 22 janvier 2017
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C’est parfois une tentation forte, face à un problème, de se laisser tenter par des solutions simples et radicales. C’est au contraire la tâche éminente de l’homme politique, en tant que représentant responsable de ses concitoyens, d’appréhender la complexité d’un contexte déterminé par de multiples paramètres pour orienter la décision publique au mieux de l’intérêt général.

Une décision publique est en effet un arbitrage entre diverses considérations : l’emploi, dans des sociétés minées par le chômage ; la sécurité, pour des populations qui acceptent de moins en moins les risques ; la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre pour participer à l’effort mondial contre le changement climatique ; l’indépendance nationale, lorsqu’il faut éviter une mainmise directe ou indirecte d’une puissance étrangère ; l’éthique, telle qu’elle s’est construite à travers l’histoire culturelle de la nation, car elle varie d’un pays à l’autre, et elle évolue sous l’influence des générations successives ; et aussi le savoir scientifique, dans son état le plus à jour, pour tous les domaines où il peut jouer un rôle.

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) est au cœur de cet exercice de la responsabilité politique lorsqu’il s’applique à l’évaluation des questions scientifiques et technologiques émergentes, en vue de préparer des évolutions éventuelles du cadre législatif.

C’est en constatant, au début des années 1980, que le développement des sciences et des techniques suscitait de nouveaux problèmes et de nouvelles inquiétudes, à l’occasion d’un certain nombre de débats tels ceux concernant les orientations des programmes nucléaires, spatiaux ou du plan « câble », que le Parlement a décidé de créer l’OPECST. Il a pour mission, aux termes de la loi du 8 juillet 1983, « d’informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique afin, notamment, d’éclairer ses décisions ». À cette fin, il « recueille des informations, met en œuvre des programmes d’études et procède à des évaluations. »

De fait, ces trois modes de fonctionnement évoqués par la loi rendent bien compte de la nature des travaux de l’OPECST

– il « recueille des informations » : c’est ce qu’il fait en organisant plusieurs fois par an des auditions publiques, collectives, contradictoires sur des sujets justifiés par l’actualité : typiquement, le survol des centrales nucléaires par des drones, la menace d’expansion des maladies à transmission vectorielle illustrée par la propagation géographique du virus Zika, le brouillage des téléphones portables dans les prisons, ou encore les synergies entre les sciences humaines et les sciences technologiques en lien avec le problème de la radicalisation islamiste. Cette forme de recueille d’information, héritée des « hearings » à l’américaine se révèle particulièrement efficace pour traiter des sujets ciblés, et ces auditions donnent lieu à une publication qui intègre les conclusions de l’OPECST, sorte de débriefing qui permet de formuler des recommandations ;

– il « met en œuvre des programmes d’études » : c’est le mode principal de travail pour l’Office, déclenché par une saisine d’un organe interne du Parlement (commission, groupe politique); en l’occurrence, c’est par ce canal qu’il travaille actuellement sur l’intelligence artificielle et la modification ciblée du génome ;

– il « procède à des évaluations » : c’est un mode de fonctionnement en application d’une disposition législative. L’article 15 de la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieure et à la recherche confie à l’OPECST une évaluation biennale de la stratégie nationale de recherche. L’évaluation triennale du « Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs » (PNGMDR) lui est commandée par l’article 6 de la loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs.

Un retour sur trente années d’évaluation scientifique et technologique en amont du travail législatif montre aujourd’hui combien la création de l’Office était pertinente pour traiter des questions faisant une place à la science, au point que des structures similaires ont été progressivement mises en place sur son modèle dans d’autres pays d’Europe.

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L’OPECST est pourtant loin d’être en situation de monopole dans le domaine de l’évaluation scientifique en France. Outre les Académies, celles des sciences, des technologies, de médecine, de pharmacie, diverses agences du Gouvernement, comme l’ANSES, ou le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (France Stratégie) produisent des études sur l’impact des évolutions technologiques. Le Conseil économique, social et environnemental rend aussi parfois des avis sur certaines de ces évolutions.

Au sein du Parlement lui-même, l’OPECST ne bénéficie d’aucune exclusivité, et les commissions s’approprient bien plus fréquemment qu’autrefois des questions scientifiques ou technologiques qui touchent à leur domaine de compétence, ce qui est le cas de certains aspects de la révolution numérique pour les commissions des lois, des affaires économiques ou des affaires culturelles.

Sa place dans la décision politique n’en est pas moins tout à fait originale, car, quoique son domaine soit dévolu tout entier à la science et à la technologie, ses activités le situent en amont et en aval des procédures budgétaires et législatives.

D’une part, en effet, il constitue par ses études, y compris sous la forme plus légère des auditions publiques, un outil d’information et de prospective en amont de la loi. D’autre part, il participe, pour son champ de compétence, à la troisième fonction du Parlement à côté du vote du budget et du vote de la loi, qui est la fonction de contrôle des administrations publiques. En effet, certains organismes de régulation dans des domaines scientifiques ou technologiques, comme l’Agence de biomédecine, l’Autorité de sûreté nucléaire ou le Centre scientifique et technique du bâtiment doivent, en vertu de la loi, lui présenter chaque année leur rapport d’activité.

Au sein des institutions parlementaires, l’OPECST se distingue également par un fonctionnement évitant de façon assez générale la polémique politique et le combat partisan.

Les questions dont il est saisi sont souvent conflictuelles dans la société : les OGM, les nanotechnologies, les gaz de schiste, le traitement et le stockage géologique des déchets nucléaires ou la bioéthique (cellules souches, procréation assistée, exploration du cerveau, greffes d’organe, épigénétique).

Mais l’Office s’est donné pour objectif d’aborder ces questions de manière sereine et pluraliste, dans le but d’alimenter de la manière la plus complète et objective possible le débat public.

D’abord, en soustrayant ses travaux à la pression des feux médiatiques : certaines auditions sont publiques et les rapports sont finalement présentés à la presse, mais les phases de discussion, de construction du consensus, restent internes. Ensuite, le fonctionnement de l’OPECST, composé de dix-huit députés et dix-huit sénateurs, traduit une recherche d’équilibre : dans la désignation des rapporteurs des études, souvent un duo, la « triple parité » (majorité-opposition, député-sénateur, homme-femme) est privilégiée autant que possible ; la présidence de l’OPECST est confiée alternativement, tous les trois ans, à un député, puis à un sénateur, le sortant conservant la position prééminente, parmi les membres de sa chambre, de « Premier vice-président » ; de fait, la concertation entre le Président et le Premier vice-président (appartenant toujours à l’autre chambre) est permanente. Ce travail dans un esprit très ouvert a permis qu’un consensus ait quasiment toujours pu être établi sur les conclusions des rapporteurs.

L’obligation de s’appuyer sur les connaissances scientifiques contribue également à inscrire les travaux de l’OPECST dans une logique d’intérêt général.

Chaque étude mobilise systématiquement une équipe de scientifiques autour des rapporteurs (un comité de pilotage) qui les aide à appréhender les enjeux plus en profondeur si c’est nécessaire. C’est ainsi que l’OPECST se trouve en contact permanent avec tous les organismes de recherche de France, qui ont été amené à le considérer comme leur relais privilégié avec le monde politique.

L’OPECST assure encore une meilleure solidité et pérennité à ses analyses en veillant au pluralisme de ses sources. C’est en organisant cette consultation pluraliste que la dimension de l’éthique est prise en compte en tant que telle, certains sujets de bioéthique (les cellules souches, les dons d’organes, la procréation artificielle) conduisant même à auditionner des représentants des religions.

A cette fin, l’Office recourt de plus en plus à l’outil de l’audition publique, collective et contradictoire, celle-ci permet de recueillir des informations et des éléments d’analyse considérés comme plus fiables et pertinents parce qu’ils ressortent d’un débat transparent et équitable organisé entre l’ensemble des parties prenantes d’un sujet : industriels, représentants de la société civile ou des pouvoirs publics, etc.

Depuis maintenant plus de trente ans, l’OPECST a pu ainsi prendre ses marques progressivement, en développant son influence grâce à son apport essentiel pour la législation sur quelques thèmes-clefs : la gestion des déchets nucléaires, la sûreté nucléaire, la bioéthique, les biotechnologies, les technologies des économies d’énergie.

Désormais, sa crédibilité lui permet de couvrir une large étendue de domaines, et l’Office remplit de surcroît une véritable fonction de médiation entre la communauté scientifique et le monde politique.

En reconnaissance de sa place désormais éminente dans l’évaluation scientifique et technologique, l’OPECST a reçu récemment, le 22 novembre 2016, une forme de consécration très symbolique : l’hommage officiel qui lui a été rendu par l’Académie des sciences, en formation solennelle, sous la coupole, lors de la célébration de son 350e anniversaire.

Cette réussite de l’OPECST a conduit divers parlements européens à s’inspirer de l’exemple français pour créer des structures homologues : d’abord le Parlement européen avec le STOA (Scientific and Technology Office Assessment), et le Parlement britannique avec le POST (Parliamentary Office of Science and Technology), puis plusieurs autres Parlements nationaux, l’allemand, le danois, le finlandais, l’italien, l’autrichien, le norvégien, le suisse, voire quelques « parlements » régionaux (Catalogne et Flandre, puis Wallonie). Certaines des structures concernées sont intégrées à leur parlement ; d’autres fonctionnent comme des cabinets de conseil travaillant pour le parlement national.

Un réseau informel d’échange, l’EPTA (European Parliamentary Technology Assessment), réunit ces organismes deux fois l’an pour une concertation sur leurs travaux respectifs en cours, avec une présidence tournante. L’OPECST a profité de sa présidence en 2015 pour fêter son trentième anniversaire, en organisant une conférence élargie à une trentaine de parlementaires venus de toute l’Europe, officiellement préparatoire à la COP21, sur « Le rôle de l’innovation dans la lutte contre le changement climatique ».

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L’expérience de l’OPECST depuis trente ans met en valeur un ingrédient essentiel à élaboration de décisions politiques qui intègrent à la fois tous les acquis de la connaissance scientifique, et toutes les préoccupations de l’opinion publique : le besoin d’un dialogue direct entre le monde politique et la communauté scientifique.

Aujourd’hui, le savoir scientifique du chercheur et le savoir social du politique devraient mieux se renforcer l’un l’autre, alors qu’ils coexistent encore souvent sans se rejoindre.

Il serait ainsi utile qu’à l’avenir, un plus grand nombre d’hommes politiques se retrouvent en capacité de juger directement des questions scientifiques, personnellement ou à travers des contacts de confiance. C’est une circonstance que l’OPECST a essayé de promouvoir depuis 2005 à travers son « partenariat avec l’Académie des sciences », en formant tous les deux ans une quinzaine de « trinômes » qui jumèlent un parlementaire avec un académicien et un jeune chercheur, afin que chacun découvre et comprenne mieux le monde professionnel de l’autre.

En attendant, l’OPECST a contribué pour sa part à une meilleure prise en compte de la science dans la décision politique. A l’abri des clivages partisans, basées sur la science, nourries par une consultation large et pluraliste, et aboutissant à des réorganisations inscrites dans la loi, les évaluations conduites par l’OPECST permettent pleinement d’appréhender la complexité des problématiques scientifiques et technologiques nouvelles, afin d’essayer de mieux cerner les conditions de leur insertion dans notre environnement social.

Jean-Yves Le Déaut
Député de Meurthe-et-Moselle
Président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

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