Accueil 5 Recherche & Transferts 5 La parole à Bruno Parmentier, Directeur général du Groupe ESA (École supérieure d’agriculture d’Angers)

La parole à Bruno Parmentier, Directeur général du Groupe ESA (École supérieure d’agriculture d’Angers)

CONSTRUIRE LE SIÈCLE BIOTECH ET TROUVER D’AUTRES VOIES POUR NOURRIR L’HUMANITÉ En 1998, dans une…
Publié le 3 février 2011
Partager l'article avec votre réseau

CONSTRUIRE LE SIÈCLE BIOTECH ET TROUVER D’AUTRES VOIES POUR NOURRIR L’HUMANITÉ

En 1998, dans une vie antérieure où j’étais éditeur (éditions La Découverte), j’ai publié un livre intitulé «Le siècle biotech» du spécialiste américain de prospective économique et scientifique Jérémy Rifkin, fondateur et président de la Foundation on Economic Trends de Washington. Ce fut pour moi une révélation : les biotechnologies pourraient jouer au XXIe siècle un rôle au moins aussi important que l’informatique et internet réunis à la fin du XXe. A la limite, écrivait-il, on dira dans un siècle que le principal rôle historique de l’informatique aura été de décrypter le génome et de permettre le démarrage de la vraie révolution biotech.

J’ai voulu participer à cette aventure. Ma première idée était de diriger une faculté de médecine : difficile pour un ingénieur (civil) des mines. Ce fut donc une école d’agriculture, ce milieu étant finalement plus ouvert.

Et là j’ai découvert un autre défi : celui de nourrir l’humanité. Nous n’avons à vrai dire aucune idée de la façon dont nous allons faire pour nourrir 9 milliards de terriens au milieu du siècle, en augmentant de 70 % la production agricole mondiale, alors même que les technologies agricoles, qui ont fait des progrès fulgurants au XXe siècle, permettant de nourrir 4,5 milliards de personnes de plus sur les mêmes terres, arrivent au bout de ce qu’elles peuvent donner. Elles étaient toutes dans le « plus », de plus en plus fortement consommatrices des ressources de la planète, et aujourd’hui, il va falloir apprendre à produire avec moins, un défi autrement plus difficile et stimulant :

  • Moins de terres : malgré notre irresponsabilité, qui nous fait défricher la forêt vierge à raison d’une superficie équivalente à la Grèce chaque année, nous cultivons de moins en moins de surfaces, car nous urbanisons, polluons et érodons encore plus vite. En 1960, il nous fallait nourrir toute l’année 2 humains sur chaque hectare cultivé, aujourd’hui 4 et demain il faudra être capable d’en nourrir 6 !
  • Moins d’eau (ou, ailleurs, trop d’eau) : le réchauffement de la planète va largement dérégler le régime des précipitations, alors même que nous arrivons près du maximum des surfaces irrigables, et que nombre de nappes phréatiques et de lacs vont s’assécher à force d’irrigation.
  • Moins d’énergie, alors que les technologies de la « révolution verte » en étaient très gourmandes, principalement à cause de la mécanisation, la fabrication des engrais et les transports de matières premières agricoles autour de la planète. De plus, non seulement il va falloir apprendre à produire le porc, le fromage et le pain avec moins d’énergie, mais en plus il va falloir trouver de moyen de produire à la fois de la nourriture, de l’énergie et des matières premières industrielles de nos champs.
  • Moins de chimie, car l’acceptabilité sociale des engrais et des produits phytosanitaires (qui ont permis d’augmenter considérablement les rendements agricoles) n’est plus ce qu’elle était, et alors même que les quatre fonctions agricoles possiblement assistés par la chimie (nourrir et soigner les plantes, éloigner insectes et mauvaises herbes) ont déjà été largement explorées, et qu’on n’en voit pas d’autres apparaître.

Dans le même temps, nous allons devoir affronter le résultat de nos inconséquences : réchauffement de la planète, crises sanitaires et baisse de la biodiversité.

C’est dire si les défis proposés à nos étudiants des filières agro-bio-véto sont fondamentaux et… passionnants. D’autant plus que toute une partie des solutions possibles, le transfert de gênes, sera durablement interdite aux Européens par une opinion publique très hostile à ces pratiques. Il faudra donc former des « petits génies de la bio », qui sauront comprendre et combiner au mieux, et beaucoup mieux qu’aujourd’hui, les forces écologiques, pour produire « plus et mieux avec moins ». Ils devront promouvoir une agriculture et un élevage « écologiquement intensifs », qui intensifieront efficacement les processus écologiques, comme on a intensifié dans le passé les processus industrialisés. Tout en assurant une sécurité sanitaire croissante et une qualité alimentaire à la hauteur des attentes sociétales, à l’heure où, bien qu’on n’ait jamais aussi bien mangé, les problèmes issus de l’alimentation (obésité, allergies, intolérances, diabètes, problèmes cardiaques, anorexie, boulimie, orthorexie, etc.) ne cessent de croître.

Nous comptons actuellement 1 milliard de personnes qui ont faim, le chiffre le plus important de toute l’histoire humaine, et un nombre encore supérieur de gens en surpoids ! Si nos ingénieurs et nos vétérinaires ne résolvent pas ce problème, il va empoisonner la paix mondiale et miner nos sociétés au XXIe siècle… Finalement, il faut vraiment inventer sans tarder ce siècle biotech, avec des technologies inventives, surprenantes, qui respecteront la planète et ses maigres ressources, et aussi nos cultures et nos croyances, car elles toucheront à leurs fondements même : qu’est-ce qu’un homme, une espèce, une génération, etc.? De nouvelles voies pour produire donc, plus l’éthique qui devra aller avec, et une vraie capacité de dialogue avec les différentes visions du monde, naturalistes et spiritualistes, humanistes et antihumanistes, religieuses et laïques.

Heureusement qu’il reste deux ressources naturelles encore largement sous exploitées : le génie de l’homme et le génie de la femme ! Et deux bonnes nouvelles : nous avons de nouveau davantage de bons candidats pour participer à cette aventure et nous sommes un des seuls secteurs scientifiques où les filles veulent vraiment s’investir, cette mixité devant permettre d’avoir une approche plus diverse, donc, je l’espère, plus ouverte et plus féconde.

Bruno Parmentier
Directeur Général du Groupe ESA


Bruno Parmentier est l’auteur de :
« Nourrir l’humanité, les grands problèmes de l’agriculture mondiale au XXIe siècle », aux éditions La Découverte. En savoir plus…
« La fin du manger simple », à paraître à l’automne 2011, aux éditions du Seuil.

 

Partager l'article avec votre réseau
Loading...