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Les sciences sociales : un axe important sinon clé de compréhension des phénomènes organisationnels

Quel est le rapport entre Bourdieu, Foucault, Boltanski, Douglas et Lévi-Strauss ? Ils sont parmi…
Publié le 3 avril 2017
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Quel est le rapport entre Bourdieu, Foucault, Boltanski, Douglas et Lévi-Strauss ? Ils sont parmi les auteurs les plus cités dans les recherches en management publiés dans des revues scientifiques. Les sciences sociales étant en effet un axe important sinon clé de compréhension des phénomènes organisationnels, ces approches sont venues concurrencer les approches économiques (théorie de l’agence, théorie des coûts de transaction..) mobilisées de longue date pour comprendre l’entreprise et les organisations. Mais quel est l’impact de ce type de recherche sur l’enseignement du management dans les Universités et Ecoles de commerce ? Pourquoi et comment prendre en compte les sciences humaines et sociales ?

Pourquoi prendre en compte le social et ce qui fait société dans l’enseignement du management ?

Les outils de gestion ne sont pas simplement des techniques calculatoires ou organisatrices. Leur substrat technique, qu’il est bien sûr fondamental pour un manager de maîtriser, est toujours ancré dans le social. En effet, l’outil de gestion intègre à des degrés divers les modes d’interaction entre acteurs, et les valeurs qui parcourent la société. Son utilisation ne peut donc être coupée des réalités politiques, des jeux d’acteurs et des croyances qui les environnent. Comprendre l’acte managérial, c’est être capable de maitriser les dimensions techniques de ces outils mais aussi d’être capable de les replacer dans leur contexte politique et social. Il est donc important de former les étudiants à cet exercice très particulier de remise en contexte afin de dépasser une application purement instrumentale du management, nécessairement vouée à l’échec car amputée de l’une de ses dimensions constitutive. Cela signifie également de défendre l’idée qu’il n’existe pas une solution unique mais une multitude de solutions en fonction des contingences sociales qu’il faut apprendre à décrypter ; c’est alors une partie de l’incertitude qui devient lisible aux acteurs. En effet, le social ne se laisse pas conduire, il réagit aux pressions qui s’exercent sur lui dans un constant jeu social d’actions-réactions.

Comme toute organisation est encastrée dans un environnement institutionnel, il ne saurait donc être question d’enseigner le management sans prendre en compte cette donnée. Si l’enseignement d’un management global, international, désencastré (sans droit du travail, sans compréhension des relations sociales locales, sans connaissance des mécanismes locaux de régulation) peut faire sens pour une poignée de managers globaux, ces derniers ne constituent qu’une minorité infime. Nous pensons d’ailleurs qu’un tel raisonnement est faux. Tous les managers, même ceux appelés à des fonctions globales, doivent être capable de comprendre ces rapports du management au social et du global au local ; la globalisation n’étant qu’une extension socioculturelle contemporaine de ce modèle encastré du management.

Il nous faut donc lutter contre une idée trop souvent partagée que le management se réduit à une somme de techniques, a-contextuel, a-historique, et faites de recettes qui marchent en vue de maximiser le fonctionnement de l’organisation ou la valeur créée.

Comment alors prendre en compte le social et ce qui fait société dans l’enseignement du management ?

La première marche pour faire accéder des étudiants de formation initiale ou continue à cette exigence interprétative est de jouer la carte de la pluridisciplinarité. L’économie et les mathématiques, fondamental socle de l’enseignement dans nos domaines, ne peuvent suffire à elles-seules pour analyser l’entreprise. Une pratique de gestion doit toujours être replacée dans son contexte historique d’apparition. Sa généalogie doit être précisée. De nos jours, parler de bien-être au travail ou d’entreprise libérée, par exemple, n’exonère pas d’une remise en perspective. Toute pratique doit en effet être vue moins comme une nouveauté mais bien comme un élément structurant, dont la mode peut-être éphémère.
La deuxième marche est d‘outiller les étudiants avec des grilles de lecture sociologiques, anthropologiques et psychologiques pour comprendre les phénomènes organisationnels. Nous avons la chance en France de disposer de nombreux auteurs importants de ces disciplines qui ont été la plupart du temps formés en France, ont produit en français et ont des disciples dans nos institutions. Il est parfois choquant de voir l’ignorance qu’en ont certains dans la recherche en management, où s’exprime, aujourd’hui, trop souvent une forme d’hégémonie culturelle nord-américaine. Cette colonisation intellectuelle est encore plus choquante quand ces travaux, ce que le champ de langue anglaise appelle les French theorists, sont réimportés via les canaux intellectuels anglo-saxons, seule voie possible pour certains de leur légitimité dans notre univers.

La troisième marche est la mise en situation délibératives des étudiants mettant en évidence non pas la bonne solution mais une pluralité de solutions ancrées dans leur contexte. Il s’agit ici de construire un management contextualisé permettant de prendre au sérieux la position de l’autre. On n’éduque plus seulement aux méthodes mais aussi à leurs conditions d’acceptation et d’utilisation. De même, il ne saurait être question d’étudier des pratiques sans interroger leurs fondements éthiques, c’est-à-dire les conséquences qu’elles ont sur les acteurs, les collectifs ou la société dans son ensemble (environnement, discriminations, justice..). C’est une manière de contribuer à l’élaboration d’un modèle socio-économique équilibré, respectueux de la nature et garantissant la cohésion sociale.

A titre illustratif, les points, dont nous venons de parler, correspondent aux éléments que nous soumettons chaque année aux étudiants de l’Executive MBA de Paris Dauphine depuis maintenant près de vingt-ans. Des cours aussi fonctionnels et techniques que la comptabilité, le marketing, le contrôle de gestion ou la statistique sont ainsi systématiquement passés aux filtres des SHS et intègrent dans leur programme une philosophie gestionnaire d’inspiration sociétale. Telle est notre propre réponse aux exigences que nous venons de soulever.

 

Nicolas Berland et Jean-François Chanlat
Co-directeurs
EMBA Paris Dauphine

A propos de Nicolas Berland

Nicolas BERLAND est Professeur à l’Université Paris-Dauphine et directeur de DRM (Dauphine Recherche en Management, 88 chercheurs et 120 doctorants). Il co-dirige également la chaire « Ethique et gouvernement d’entreprise » de la fondation Paris-Dauphine. Il est spécialisé en sociologie de la performance, en contrôle de gestion et dans le pilotage des organisations. Son approche est résolument orientée vers l’étude de l’articulation du contrôle de gestion aux processus stratégiques et aux processus de management de l’entreprise. Il mobilise des techniques d’investigations qualitatives (études de cas, interviews) mettant en perspective longitudinale les phénomènes étudiées.
Ses recherches l’ont conduit à étudier l’histoire des pratiques de contrôle de gestion, les expériences de « gestion sans budget » menées par certaines entreprises et l’implantation de contrôle de gestion en milieu public (la Police nationale par ex. des conseils généraux, des villes.). Il s’intéresse également au pilotage de la performance en lien avec le développement durable. Il a publié “Contrôle de gestion, perspectives stratégiques et managériales” chez Pearson et « Contrôle de gestion » chez Que Sais-je ?
Son dernier axe de recherche l’amène à étudier l’impact de la financiarisation sur les modes de pilotage des organisations au travers d’études de cas historiques, de cas contemporains de downsizing et de récits de vie de managers.

A propos de Jean-François Chanlat

Professeur en sciences des organisations à l’Université Paris-Dauphine, et directeur de l’Executive MBA, Jean-François Chanlat est un spécialiste international de l’anthropologie des organisations et du management interculturel; sociologue et anthropologue de formation, ses principaux intérêts d’enseignement et de recherche concernent la théorie des organisations, le comportement organisationnel, l’anthropologie des organisations, la sociologie de l’entreprise, le management interculturel, les études critiques et le stress professionnel. Il est coresponsable scientifique de la Chaire Management de diversité. Il est rédacteur en chef adjoint la revue Management international et membre du comité scientifique de plusieurs revues nationales et internationales. Auteur d’une quinzaine d’ouvrages et de nombreux chapitres d’ouvrage et d’articles de revue publiés dans plusieurs langues, il est régulièrement invité à faire des conférences et des séminaires en Amérique latine, en Afrique, en Europe, au Canada et dans la zone Asie-Pacifique sur ces sujets.

Le Professeur Chanlat est diplômé de l’Ecole des HEC de Montréal. Il est également titulaire d’un Ph D en sociologie de l’Université de Montréal, et a effectué ses post-doctorats à l’université de Berkeley, à Brunel University à Londres et à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) à Paris. Il a enseigné 23 ans à HEC Montréal avant de se joindre à Dauphine

A propos de l’Université Paris-Dauphine

L’Université Paris-Dauphine est un grand établissement d’enseignement supérieur exerçant des activités de formation (initiale et continue) et de recherche dans le champ des sciences des organisations et de la décision (gestion, économie, droit, sciences sociales, journalisme, mathématiques et informatique). L’Université Paris-Dauphine est l’une des universités leader en Europe dans son domaine, avec 569 chercheurs et enseignants-chercheurs permanents et assistants, 8 800 étudiants en formation initiale dont 39 % en Licence, 56 % en Master et 5 % en Doctorat, et une offre de formations de 6 Licences, 22 mentions de Masters et 5 programmes doctoraux, largement ouverte à l’apprentissage. Paris-Dauphine est membre fondateur de Paris Sciences et Lettres Research University. C’est la seule université française accréditée Equis et membre de la Conférence des Grandes Ecoles. Pour en savoir plus : www.dauphine.fr

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