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Production et transmission des savoirs et de la connaissance : toute la beauté et la noblesse du rêve européen initial

Si le Guinness des records nous apprend que la plus ancienne université au monde serait…
Publié le 28 mars 2018
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Si le Guinness des records nous apprend que la plus ancienne université au monde serait celle d’Al Quaraouiyine au Maroc, fondée vers 877, c’est bien l’Université de Bologne qui jette les bases de l’Université européenne telle que nous la connaissons encore mille ans plus tard.

Ce modèle, plus encore que les alliances des princes, a fait naître une véritable identité européenne où philosophes, scientifiques, juristes – quand ils n’étaient pas tout cela à la fois – ont guidé l’essor intellectuel d’un continent et contribué à son rayonnement universel.

La constitution progressive des Etats-nations au détriment d’une unité dans la diversité aura eu raison de cette ambition intellectuelle, la prééminence européenne prenant définitivement fin avec les conflagrations du XXe siècle. Sur les cendres d’un continent apparemment condamné à laisser le flambeau à l’Amérique, puis l’Asie et l’Afrique, un projet tente depuis de renaître et sa finalité s’est progressivement enlisée dans le marécage des moyens, des procédures et d’intérêts nationaux toujours en embuscade.

Après tant d’années d’atermoiements, il semblerait enfin qu’avec l’impulsion du Président de la République, la lumière d’un nouveau rêve européen illumine à nouveau l’avenir d’une Europe ne renonçant à sa place dans le concert de l’humanité. C’est très heureux et apprécié hors de France. Il est bien plus heureux encore que l’inspiration renaisse par ce qui a constitué toute la beauté et la noblesse du rêve européen initial : la production et la transmission des savoirs et de la connaissance !

Avec l’élan présidentiel ressurgit aujourd’hui ce projet d’universités européennes que reprend avec enthousiasme toute la communauté de l’Enseignement supérieur.

Frédérique Vidal, notre ministre de l’Enseignement supérieur, déclare avec raison et pragmatisme que les modèles de l’université européenne restent libres et à co-construire. A juste titre, l’avènement d’un modèle efficace va difficilement de pair avec un empilement de contraintes bureaucratiques, statutaires et réglementaires !

 

Quel modèle pour quel projet ?

En revenant aux sources, avec l’envie d’une coopération européenne approfondie et sur fond d’échanges d’étudiants et de chercheurs, quelles peuvent être les finalités et les caractéristiques d’un tel projet ?

Repensons l’Europe pour ce qu’elle est et ce qu’elle peut apporter à la formation des jeunes Français, Européens et internationaux avant de nous perdre dans le dédale des moyens, des procédures et des modalités. L’Europe a-t-elle une identité propre, définie, délimitée ? Un simple regard sur son Histoire nous montre bien que l’Europe, dès son origine, est la confluence de sources qui lui sont extérieures : l’hellénisme naît d’un dialogue méditerranéen, le christianisme est une religion issue d’Asie Mineure, les invasions dites barbares sont venues d’Asie… On touche sans doute là le cœur de ce qui constitue l’Europe : notre continent s’est toujours nourri d’influences intellectuelles et culturelles extérieures. L’Europe est un continuel mélange d’elle-même et de ce qui n’est pas elle-même. Sa géographie particulière et non délimitée en est à la fois une cause probable et l’illustration évidente.

Ces mélanges culturels favorisent une autre caractéristique du savoir européen : le prolifique mélange des savoirs. Avant que l’hyperspécialisation ne mette progressivement à mal ce creuset inestimable, l’honnête homme européen refusait de privilégier un type de savoir sur un autre.

L’axe fort et lisible d’un possible modèle d’enseignement supérieur européen résidera dans cette double dimension du multiculturel et de l’interdisciplinaire. Cependant nos étudiants, issus des universités ou des grandes écoles, s’engagent surtout dans des accords d’échange ou de doubles-diplômes, au sein d’un même champ disciplinaire. Si les apports d’une vision allemande du droit ou d’une approche espagnole du marketing peuvent être utiles à l’étudiant déjà spécialiste de ce domaine, combien plus fécond serait l’ajout d’une discipline supplémentaire à leur cursus !

 

Quid des Grandes écoles ?

Les Grandes écoles peuvent jouer un rôle moteur dans ces évolutions. D’une part parce que nos étudiants français sont majoritairement issus de classes préparatoires justement bâties sur ce principe d’interdisciplinarité. D’autre part parce que les Grandes écoles sont déjà nombreuses à proposer des doubles-diplômes, certes majoritairement nationaux, à leurs élèves : les étudiants des écoles de management suivent fréquemment des cursus en droit ou en mathématiques à l’université, certaines écoles d’ingénieur et de management proposent des doubles-diplômes à leurs meilleurs étudiants…

 

Systématisons ces deux mouvements d’intégration.

En dirigeant une école de management européenne implantée sur six campus accrédités dans leur pays (à Berlin, Londres, Madrid, Paris, Turin, Varsovie et demain Luxembourg) et disposant chacun d’une équipe de direction et d’un corps professoral propres, je peux témoigner que le rêve d’Emmanuel Macron est possible. En effet, ESCP Europe fait la promesse à chaque étudiant qu’il doit étudier sur plusieurs campus pour être diplômé. Ce qui est vrai pour l’enseignement vaut aussi pour la recherche : un corps professoral quotidiennement irrigué par d’autres approches culturelles et par un accès à plusieurs champs d’observation produit un savoir plus innovant utile aux managers et aux entreprises européennes.

Le mouvement d’intégration horizontale (multiculturelle) est le fruit de plusieurs années de développement avec la création de nos campus européens (Allemagne et Royaume-Uni en 1973, jusqu’à la Pologne en 2015). Quant à l’intégration verticale (multidisciplinaire) elle se traduit déjà par des partenariats avec Paris I, Mines ParisTech et CentraleSupelec en France, mais également le Politecnico de Turin et la Politecnica de Madrid. Dans les années à venir les écoles de design, de code, d’arts ainsi que des doubles diplômes universitaires dans chaque pays où nous sommes présents vont faire renaître cette ambition européenne.

Entre révolution technologique permanente et aléas géopolitiques, seule cette approche « européenne » permettra aux décideurs formés en Europe d’avoir un impact sur le monde.

Avec l’Observatoire NetExplo spécialisé dans les innovations digitales, j’ai mené une étude auprès de grandes entreprises. Les talents de demain, évoluant dans un monde où le mot « digital » aura la même évidence que le mot « électrique », devront présenter des solides capacités d’écoute et d’intelligence sociale et multiculturelle, être interdisciplinaires et formés à la pensée systémique. Quelle zone du monde autre que l’Europe peut offrir cela dans un espace aussi rapproché ?

L’évidence est là, l’enseignement supérieur national n’est plus le seul échelon pertinent. Tous les modèles ne réussiront pas. Les modèles robustes et pérennes auront ceci de commun : 1. une vision de long terme, 2. de la liberté d’action, 3. des moyens et 4. un apprentissage maîtrisé de la coopération. C’est ce mélange, accompagné de la volonté politique commune et de la mise en évidence des multiples initiatives réussies qui propulsera l’Europe en bonne compétition avec les autres continents.

Quand ces modèles existeront, alors la création d’un diplôme européen, au-delà des questions évidentes de lisibilité, aura pris tout son sens.

 

Frank Bournois
Directeur général ESCP Europe
Professeur des Universités

 

A propos de Frank Bournois

Agé de 51 ans, Frank Bournois est Professeur des universités, classe exceptionnelle, à l’Université Panthéon-Assas Paris 2 en management général et management interculturel, directeur du CIFFOP (Centre interdisciplinaire de formation à la fonction personnel). En 2014, il est Visiting scholar à l’université de Princeton. Au cours de son parcours universitaire, il a été, entre 1999 et 2008, professeur affilié et directeur scientifique de la chaire « Dirigeance d’entreprise » à ESCP Europe. Il a également enseigné et dirigé (1997-2001) le service études et enseignements de défense à l’IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale). En parallèle, Frank Bournois a développé des activités scientifiques et de conseil auprès de grands groupes industriels en matière de détection et de préparation de leurs futurs dirigeants. Il a également présidé (2010-2013) la Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion des écoles de management (ministères de l’industrie et de l’enseignement supérieur et de la recherche). Il est membre du conseil d’orientation de l’Institut Montaigne, du Cercle Turgot et du Cercle de l’entreprise. Agrégé des Facultés, Docteur et HDR (habilitation à diriger des recherches) en sciences de gestion, MBA (Aston University-GB) et EM Lyon, Frank Bournois a dirigé plus de 60 thèses de doctorat et HDR en sciences de gestion. Il est l’auteur ou le co-auteur d’un grand nombre de publications dans les revues scientifiques françaises et internationales, ainsi que d’ouvrages de référence dans le domaine du management.

A propos de l’ESCP Europe

Fondée en 1819, ESCP Europe a formé plusieurs générations de dirigeants et d’entrepreneurs. Grâce à ses six campus urbains à Berlin, Londres, Madrid, Paris, Turin et Varsovie, et à son identité profondément européenne, ESCP Europe propose des formations managériales interculturelles ainsi qu’une perspective globale des problématiques liées au management international. ESCP Europe accueille chaque année 4 600 étudiants et 5 000 cadres-dirigeants d’une centaine de pays différents, leur proposant une large gamme de formations en management général et spécialisé (Bachelor, Masters, MBA, Executive MBA, Doctorat-PhD et formation continue).

ESCP Europe fait partie des 1% d’écoles de commerce au monde à être triplement accréditées (AACSB, AMBA, EQUIS).

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