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CGE – Séance plénière inaugurale Paris 2010 : accueil de Pierre Tapie, président de la Conférence des Grandes Écoles

Bienvenue à tous et à toutes. Notre congrès se tiendra dans différents lieux du Quartier…
Publié le 3 novembre 2010
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Bienvenue à tous et à toutes. Notre congrès se tiendra dans différents lieux du Quartier latin, à la fois prestigieux et symboliques, dont le grand amphithéâtre du Collège de France. Nos échanges rassembleront environ quatre cents participants et je tiens donc à tous vous remercier de votre enthousiasme. Nous tenterons ce matin de planter le décor de notre débat, avant de solliciter nos deux invités sur la question des défis de l’enseignement supérieur.

1) Quelques défis chiffrés
Entre 2000 et 2015, le nombre d’étudiants dans le monde passera de 100 à 200 millions, dont 70 millions d’étudiants asiatiques. Chaque année, l’enseignement supérieur mondial devra donc accueillir quelque 7 millions d’étudiants supplémentaires. La Chine et l’Inde devront pour leur part former près de 55 millions de jeunes. Pour cela, ces pays devront créer chaque semaine l’équivalent de deux universités de 20 000 étudiants. C’est là un défi immense.
Pour former ces nouveaux étudiants, il faut aussi former de nouveaux professeurs. L’étude des stocks en étudiants chercheurs des pays du monde est très instructive. L’Europe de l’Est, l’Inde et l’Amérique latine sont de féroces importateurs. L’Amérique du Nord se situe à l’équilibre, alors que l’Europe, même si cela est peu connu, est la première région du monde en termes de capacité exportatrice.

2) Une France pauvre ou bien dotée ?
Ce titre provocateur doit me permettre d’évoquer quelques aspects financiers. En termes de dépenses par étudiant, la France se situe en réalité sous la moyenne de l’OCDE. Avant les investissements massifs consentis par le Gouvernement actuel dans le cadre du Grand emprunt, les Etats-Unis dépensaient par étudiant deux fois plus que la France, et le Canada 1,5 fois.
A quelle sorte de formations ces coûts correspondent-ils ? Il est aussi intéressant d’examiner le niveau des investissements consentis non par étudiant mais sur toute la durée de la formation. La France se situe encore à un niveau assez faible, derrière le Danemark, le Japon, les Pays-Bas, le Royaume-Uni ou l’Allemagne, qui investissent tous entre 20 et 60 % de plus que la France.
Comment ces pays financent-ils cet effort ? Dans tous les pays, ces dépenses se répartissent entre les financements publics, les frais de scolarité et les revenus privés. Aux Japon, aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, l’importance de l’investissement s’explique par la forte contribution des financeurs privés, qu’il s’agisse des ménages ou des entreprises. En France, au contraire, 90 % de l’effort financier est assumé par l’Etat.
Lorsque l’on s’intéresse aux dépenses intérieures de R&D en pourcentage du PIB, on s’aperçoit que de nombreux pays, comme la Finlande, l’Allemagne, le Japon, la Corée ou les Etats-Unis ont accru leurs dépenses en recherche dans des proportions considérables. Dans ces pays, l’investissement en R&D atteint aujourd’hui 3,5 % du PIB. En 2008, la France ne consacrait à ce poste que 2 % de son PIB. Ce chiffre n’est récemment passé qu’à 2,2 %. Ces tendances spectaculaires illustrent bien les différents niveaux des efforts nationaux.
On peut ensuite s’intéresser à l’histoire de la poule et de l’œuf : l’investissement est-il un luxe, une conséquence ou un facteur de la richesse ? Un seul chiffre, à cet égard, me paraît suffisamment éclairant : les dix premières universités du classement du Shanghai, selon les données disponibles dans celui-ci, dépensent en moyenne 2,2 millions de dollars par chercheur et par an.

3) La France attire-t-elle ?
Sur la planète, la France est aujourd’hui le troisième lieu d’accueil des étudiants internationaux, après les États-Unis et le Royaume-Uni. En rapportant le nombre d’étudiants accueillis à la population étudiante locale ou à la population globale, la concentration des étudiants étrangers en France est même plus importante qu’aux Etats-Unis. La France est donc considérée comme une destination intéressante.
Cette attraction possède toutefois une caractéristique particulière : 50 % des étudiants étrangers en France proviennent du Maghreb. Ce chiffre atteint 63 % si l’on ajoute le Sénégal et le Cameroun. L’attractivité française auprès des pays émergents semble toutefois se renforcer, notamment auprès des étudiants chinois, qui représentent désormais 18 % de la population étudiante étrangère.

4) Les défis sociaux sont-ils nationaux ?
Plusieurs chiffres parus dans une édition récente du Monde interpellent. Au fur et à mesure du parcours étudiant, la part des enfants issus de classes supérieures (cadres et professions libérales) augmente très régulièrement, passant de 16 % en 6ème à 51 % pour les bacs reçus avec mentions Bien ou Très Bien. Ce pourcentage reste ensuite stable dans les filières d’excellence post-bac. A l’inverse, la proportion des étudiants issus de parents ouvriers ou inactifs décroît régulièrement au fur et à mesure du parcours universitaire. Ces données semblent plus fiables que l’observation du nombre des étudiants boursiers. En effet, 25 % des bourses accordées par le système actuel touchent des étudiants issus de milieux sociaux favorisés.
Dans Les Sociétés et leur école, François Dubet et Marie Duru-Bellat ont récemment réalisé un benchmark international des systèmes d’enseignement du monde entier, et ce sur la base de plusieurs critères. Selon ce travail, la France présente un niveau d’inégalités moyen par rapport aux autres pays. L’étude démontre aussi que l’emprise du diplôme est en réalité moins forte en France que dans la plupart des pays de l’OCDE. En revanche, la France présente un niveau élevé de reproduction sociale. Ce sont toutefois l’Italie, le Royaume-Uni et les États-Unis qui affichent la corrélation la plus forte entre des niveaux élevés de reproduction sociale et d’emprise du diplôme.
Cette étude permet donc de dissiper certaines idées reçues. Les neuf plus grandes universités ne comptent sur leurs bancs que 2,5 % de boursiers, soit un pourcentage nettement inférieur aux 10 à 15 % qu’affichent en France les écoles les moins ouvertes aux jeunes d’origine sociale modeste.

5) Quelle organisation française originale ?
Les plus grandes originalités du système français ne sont pas celles que l’on croit. Par rapport au modèle international, l’Université française se distingue par son caractère public (le terme d’université est même réservé aux établissements publics), ainsi que par leur forte spécialisation disciplinaire.
Au contraire, les grandes écoles françaises semblent plus proches du modèle des universités internationales. D’ailleurs, il est amusant de noter que les deux idéogrammes qui, en chinois, expriment l’idée d’ « université », se traduisent littéralement par « grande » et « école ».
Les véritables spécificités françaises sont en réalité rarement évoquées. Tout d’abord, la plus grande part de la recherche d’excellence est assurée par des chercheurs qui n’enseignent que rarement. Ensuite, la recherche reste faiblement financée par le privé. L’État centralisé est omniprésent. Enfin, en matière de gouvernance des universités, les originalités sont aussi nombreuses.
La scène française présente aujourd’hui plusieurs questions ouvertes. Faut-il développer le modèle des méga-universités pour développer la visibilité de nos établissements sur le plan international ? Quelle taille critique rechercher ? Quelle place accorder aux différents classements ? Comment traiter les enjeux de la multidisciplinarité, de la valorisation et de l’entrepreneuriat ? Les diplômes doivent-ils être délivrés ex ante ou ex post ?
Si les interrogations sont nombreuses, le système français présente dans le même temps certaines performances véritablement remarquables. La France, qui ne représente que 1 % de la population mondiale, a obtenu 33 % des médailles Fields, qui récompensent chaque année les mathématiciens les plus méritants. Les business schools françaises apparaissent régulièrement dans les premières places des classements internationaux.
Faut-il donc chercher à copier d’autres modèles ou bien approfondir encore davantage le nôtre ? La question est donc de savoir si l’enseignement supérieur français doit changer de paradigme. Il s’agit aujourd’hui d’identifier un type d’établissement capable de répondre à la demande massive en enseignement supérieur, de proposer des formations d’élite, et de mobiliser ensuite des sources de financements adaptées. Le premier objectif de l’enseignement supérieur doit-il être d’offrir aux jeunes une solide culture générale ou plutôt de leur assurer de trouver un métier ?
Plusieurs autres questions restent ouvertes. Qui formera les futurs universitaires qui constitueront la masse des étudiants à venir ? Comment attirer dans un premier temps et retenir ensuite les universitaires et les étudiants les plus remarquables ?
Finalement, la France peut-elle changer d’ambition ? Cela sera sans doute nécessaire si elle souhaite préserver sa place dans l’enseignement supérieur mondialisé. Pour cela, parmi les 7 millions d’étudiants supplémentaires mondiaux intégrant chaque année l’enseignement supérieur, la France devra tenter d’accueillir 50 000 jeunes. En dix ans, cela aboutirait à un triplement de la population des étudiants étrangers, qui passerait ainsi de 250 000 à 750 000. Parmi ces 500 000 nouvelles recrues, 400 000 seraient autofinancés et 100 000 recevraient des bourses, pour un enjeu financier total s’élevant à 5 milliards d’euros. C’est là un défi extrêmement ambitieux. Pour le relever, la France peut toutefois s’appuyer sur un modèle d’ores et déjà très attractif.

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