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Dans l’enseignement supérieur et la recherche aussi, le Royaume-Uni quitterait une Union européenne (UE) qui lui convenait bien !

Les conséquences du Brexit pour les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche sont…
Publié le 26 novembre 2019
Dans l’enseignement supérieur et la recherche aussi, le Royaume-Uni quitterait une Union européenne (UE) qui lui convenait bien !
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Les conséquences du Brexit pour les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche sont encore incertaines. Dans un contexte de rebondissements politiques permanents, non seulement plusieurs calendriers et scénarios de sortie et de futures relations sont encore possibles, mais le scénario d’un maintien in fine du Royaume-Uni dans l’UE n’est pas exclu.

Mais à défaut de pouvoir en prédire les conséquences, le Brexit révèle déjà en matière d’enseignement supérieur et de recherche comme dans d’autres secteurs, un paradoxe : le Royaume-Uni quitte une UE qui lui ressemble et lui bénéficie.

 

Une Europe de l’enseignement supérieur très… « britannique » : ouverture et coordination, mais sans intégration

Malgré son refus d’intégrer la zone euro et l’espace Schengen, c’est paradoxalement une UE où l’influence du Royaume-Uni était réelle que les citoyens britanniques ont choisi de quitter lors du referendum du 23 juin 2016. Une UE par exemple davantage marquée par l’aboutissement du marché intérieur que par des volontés d’intégration politique, fiscale et sociale poussée, conformément à la vision britannique traditionnelle du projet européen.

Il en va de même en matière d’Europe de l’enseignement supérieur et de la recherche. Celle-ci est assez fidèle à une vision « britannique » de la construction européenne dans ses attendus comme dans son fonctionnement : pas de communautarisation ou d’harmonisation à marche forcée ni d’importants transferts de compétences vers les institutions européennes, mais davantage des efforts de coordination et de coopération si, et lorsque cela est dans l’intérêt des États membres et de leurs acteurs économiques et sociaux.

Les politiques en matière d’éducation, de formation professionnelle, de jeunesse et de sport sont ainsi des compétences dites « d’appui » dans l’UE : cette dernière ne peut intervenir que pour coordonner ou soutenir les politiques des États membres, et ses actes juridiquement contraignants ne doivent pas nécessiter une harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres. Il en va différemment en matière de recherche, politique de compétence dite « partagée », c’est-à-dire que l’UE comme les États membres, sont habilités à légiférer et adopter des actes contraignants. Mais là encore, pas d’harmonisation forcée des législations et politiques des États membres, mais davantage une recherche de synergies, de mises en réseau, de renforcement de l’efficacité collective. Une démarche seyant au Royaume-Uni, lequel a su en tirer profit.

 

Le Royaume-Uni, acteur important de l’Europe de la recherche et des dispositifs d’échanges :

S’ils ne sont pas les seuls, les acteurs du secteur de l’enseignement supérieur du Royaume-Uni ont été parmi les plus actifs dans leur opposition au Brexit. Ils continuent à ce jour d’exercer un lobbying actif sur le gouvernement britannique pour que celui-ci adopte des mesures permettant de contrecarrer les possibles impacts négatifs du Brexit sur leur activité. L’association des universités britanniques « Universities UK »[1] est ainsi un contributeur actif aux débats sur le Brexit Outre-Manche, et produit régulièrement des notes d’analyse et recommandations à destination des autorités britanniques, en groupe d’intérêt soucieux du maintien de ses activités dans de bonnes conditions.

Les enjeux sont réels. Le Royaume-Uni est, par exemple, un bénéficiaire important des financements européens en matière de recherche : dans le cadre des financements prestigieux du European Reseach Council (ERC), les chercheurs basés au Royaume-Uni se sont vu allouer 540 millions d’euros rien que sur le dernier tour d’Advanced Grant de cet ERC[2]. Leur prestige, leur internationalisation et leur performance, ont fait des universités britanniques des récipiendaires et acteurs importants de cette « Europe de la recherche » où circulent savoirs, enseignants-chercheurs, mais aussi étudiants et doctorants.

En matière de mobilité étudiante, des statistiques de la Commission européenne montrent néanmoins que les britanniques voyagent moins que leurs homologues du continent : en 2017, 16 561 étudiants britanniques avaient bénéficié du dispositif Erasmus, contre 43 905 étudiants français (premier pays pourvoyeur de jeunes européens en échange), 40 959 allemands ou encore 40 079 espagnols. Une sous-représentation du Royaume-Uni qui reflète peut-être, en filigrane, une moindre européanisation en profondeur de la société britannique, ainsi que de plus grandes difficultés à voyager pour des raisons linguistiques. Car en matière d’accueil, le Royaume-Uni était, pour la même année, l’un des principaux pays d’accueil d’étudiants Erasmus, avec 31 727 étudiants (derrière l’Espagne et l’Allemagne mais devant la France).

Les débats budgétaires européens distinguent parfois des contributeurs nets (ceux qui payent davantage au budget européen qu’ils n’en reçoivent) et des bénéficiaires nets (ceux qui en reçoivent davantage qu’ils n’y contribuent) : en matière d’échanges universitaires, contrairement à la question budgétaire, le Royaume-Uni est ainsi un bénéficiaire net : il accueille plus d’étudiants européens qu’il n’en fournit à cette européanisation concrète que constituent les mobilités étudiantes.

 

Incertitudes et ajustements Pré- et Post-Brexit

Comme dans les autres secteurs, les conséquences d’un éventuel Brexit dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche demeurent incertaines faute de visibilité sur les futures relations entre le Royaume-Uni et l’UE. L’épisode est néanmoins déjà révélateur de fractures et créateur de défis et adaptations pour le Royaume-Uni.

Les interrogations sur la perte d’attractivité des acteurs britanniques du secteur en sont un exemple. Dans une récente note, le groupement des universités britanniques-déjà cité-rappelait ainsi les risques de ne plus apparaitre comme un partenaire de choix en matière de recherche, de perte d’attractivité vis-à-vis de partenaires et de talents internationaux et européens (enseignants comme étudiants)[3]. Au-delà de possibles conséquences réglementaires et financières objectives, le climat d’incertitude créé par le Brexit peut avoir un impact plus diffus : moindre attractivité des postes au Royaume-Uni pour des enseignants-chercheurs européens faute de certitude sur les conditions professionnelles et sociales (maintien des financements européens de recherche, retraites, couverture maladie, etc.), baisse du nombre d’étudiants désireux de se rendre au Royaume-Uni en raison d’éventuelles complications administratives, image d’un Royaume-Uni se recroquevillant sur lui-même, etc. Quelle que soit l’issue du processus de séparation en cours, le Brexit expose le Royaume-Uni à une perte de Soft Power, en matière d’Europe de l’enseignement et de la recherche comme dans d’autres domaines.

Comme le fait parfois leur gouvernement en matière de coopération diplomatique, de sécurité et de défense, des acteurs universitaires britanniques privilégient et développent actuellement dans ce contexte des coopérations bilatérales pragmatiques. Comme s’il fallait sauver l’ancrage européen des universités britanniques dans l’après-Brexit, certaines d’entre elles ont entamé un programme ambitieux d’accords bilatéraux avec des homologues européens, couvrant des enjeux de recherche comme d’échanges d’étudiants et de personnels : une sorte de re-bilatéralisation de la coopération universitaire et scientifique pour en sauver l’ouverture européenne[4].

 

Quelle qu’en soit l’issue, la séquence « Brexit » ouverte par le referendum de juin 2016 aura été, dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche comme dans d’autres, un bon révélateur de la nature et des enjeux de la participation du Royaume-Uni à l’Union européenne.

 

[1] https://www.universitiesuk.ac.uk/

[2]No Deal Briefing”, https://www.universitiesuk.ac.uk/, 08/2019.

[3] Securing an effective Post-Brexit settlement for UK Universities: https://www.universitiesuk.ac.uk/policy-and-analysis/reports/Pages/briefing-securing-effective-post-Brexit-settlement.aspx

[4] https://www.qs.com/how-will-uks-higher-education-sector-remain-connected-europe-following-brexit/

Bastien Nivet,
enseignant-chercheur à l’EMLV

 

A propos de Bastien Nivet

Titulaire d’un master de relations internationales de l’université de Leeds (Royaume-Uni) et docteur en science politique, Bastien Nivet est enseignant-chercheur à l’EMLV depuis 2010. Il est aujourd’hui responsable du premier cycle du programme grande école, et cordonne à ce titre les trois premières années du programme.

Les enseignements et travaux de recherche de Bastien Nivet portent sur les questions européennes et internationales. Il est l’auteur de nombreux articles académiques ou de vulgarisation et de trois livres sur ces sujets. Dans le cadre des formations de l’EMLV, ses enseignements consistent à former de futurs cadres et managers ouverts et alertes sur l’environnement européen et géopolitique.

 

A propos de l’EMLV Paris

L’EMLV (Ecole de Management Léonard de Vinci) est une école supérieure de commerce et de management post-bac visé Bac+5 – Grade de Master – dispensant un programme Grande Ecole. Sa formation généraliste sur 5 ans ouvre vers de nombreuses spécialités. Parmi les points forts de l’école figurent le digital, le marketing, les RH, la finance, l’innovation et l’entrepreneuriat dans le contexte actuel de transformation digitale des entreprises. L’école située à Paris La Défense, accueille chaque année une promotion de sportifs de haut niveau dans le cadre d’un parcours adapté. Des enseignements et projets transversaux (20% du cursus) pouvant aller jusqu’à des doubles-diplômes existent avec les autres écoles du Pôle Léonard de Vinci (Ingénieur-Manager avec l’ESILV et Digital Marketing & Data Analytics avec l’IIM). La formation permet aux étudiants d’appréhender rapidement les exigences et codes de l’entreprise en France et à l’international. 1800 élèves – 6200 anciens élèves. Accréditée par EPAS et labellisée EESPIG, l’EMLV est membre d’AACSB, de l’EFMD, d’AMBA, de la CGE, de Campus France, de l’UGEI, de l’IAB, de Global Compact et de LearningLab Network – www.emlv.fr / www.devinci.fr

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