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L’Entreprise libérée et comment l’enseigner

Depuis quelques années, l’entreprise libérée suscite un immense intérêt et une forte adhésion. Des centaines…
Publié le 26 février 2018
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Depuis quelques années, l’entreprise libérée suscite un immense intérêt et une forte adhésion. Des centaines d’organisations privées et publiques allant des PME à Airbus, Décathlon, Michelin et à la Sécurité sociale ont entamé leurs démarche de libération. Cette forme d’organisation donne aux salariés la liberté et la responsabilité complètes pour entreprendre toute action qu’eux-mêmes (pas leurs supérieurs ou les procédures) estiment être les meilleures pour la vision de leur entreprise.

En érigeant la liberté d’initiative et la responsabilité en principes fondamentaux de leur mode de fonctionnement, ces entreprises permettent à leurs salariés de satisfaire leurs besoins universels d’égalité intrinsèque, de la réalisation de soi et de l’autodirection. Ainsi, chaque jour, ces salariés vont au travail non pas parce qu’ils doivent mais parce qu’ils en ont envie et une fois sur place, ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. La conséquence—mais pas la finalité—de cette forme d’organisation est que les entreprises libérées sont bien plus performantes que leurs concurrents classiques.

L’entreprise libérée n’a pas seulement suscité l’adhésion de centaines de patrons qui ont décidé d’articuler cette philosophie dans leur entreprise. Les managers français, diplômés de grandes écoles, eux-aussi—selon une étude récente de la FNEGE—ont jugé l’entreprise libérée comme le sujet le plus influent dans le domaine du management. Il est alors légitime de demander comment l’enseigner à nos étudiants, question qu’on me pose souvent.

Le premier élément de réponse est que l’entreprise libérée n’est pas un modèle, mais une philosophie. Je sais qu’il n’est pas aisé d’enseigner une philosophie dans une école de management. Les modèles d’entreprise sont inspirés de modèles de l’économie. Les économistes proposent des lois pour expliquer les phénomènes économiques au niveau des pays, des marchés, des firmes ou des individus. Cependant leurs modèles ne fonctionnent que grâce à des hypothèses sur des conditions réelles : « la compétition est parfaite », «l’individu est rationnel », etc.

Par mimétisme, peut-être, la recherche en management est également portée sur des modèles, quitte à faire des hypothèses sur les conditions réelles. Le problème est que, comme l’a remarqué Michael Porter il y a quelques décennies, les managers doivent agir dans les conditions réelles qu’ils ne peuvent pas idéaliser, sauf à en payer le prix.

Gobee.bike a développé un modèle d’entreprise très innovant par rapport au Velib. Il était parfait pour fournir les vélos en libre-service à un nombre illimité d’usagers… dans un pays idéal, comme le Danemark, par exemple. En France toutefois, dans les conditions réelles d’incivisme, l’entreprise a vu en quatre mois plus d’un milliers de ses vélos volés et 3400 endommagés. Son modèle était parfait dans des conditions idéales, mais dans les conditions réelles de France, l’entreprise a jeté l’éponge après 4 mois.

C’est pour cela que la plupart de dirigeants et de managers ne construisent pas de modèles pour orienter leurs actions. Pour des problématiques de business process, ils ont des cadres de référence : les estimations de couts, des attentes sur la demande… Pour les problématiques organisationnelles et humaines, ils élaborent des philosophies plus ou moins explicites : « pour rendre le client heureux, il faut que le salarié soit heureux », « l’entreprise est tout d’abord les relations humaines »…

Ce qui nous amène au deuxième élément de réponse. La meilleure méthode pour enseigner une philosophie est connue depuis Socrate. Il s’agit donc de créer dans la salle du cours un espace de dialogue avec les étudiants. Une façon de le faire consiste en ateliers où les étudiants  préparent leurs interrogations par rapport à tel ou autre aspect de cette philosophie d’entreprise. Cette méthode est très adaptée en formation continue. Pour les étudiants en formation initiale, pour ceux qu’on appelle « élèves » et qui n’ont pas d’habitude d’interpeller « le professeur »,  j’inverse les rôles. Ce sont eux qui enseignent et moi qui écoute. Cela ressemble à une méthode « étude de cas », sauf qu’ils n’ont pas droit au PowerPoint et doivent parler de manière créative.

Il est trop tôt pour dire si cette méthode est effective. Toutefois, je crois que l’innovation pédagogique va de pair avec l’innovation sociale, dont l’entreprise libérée est un exemple.

Isaac Getz
ESCP Europe

 

 

A propos d’Isaac Getz

Isaac Getz est Professeur de Leadership et de l’Innovation à ESCP Europe. Il a fait des études d’ingénieur en Mathématiques Appliquées et en Computer Science, est diplômé d’un Master in Science de Management, d’un Doctorat en Psychologie et d’une HDR en Gestion. Il a été professeur visitant aux Universités Cornell, Stanford et à l’Université du Massachusetts. Il a publié de nombreux travaux sur des sujets liés à l’innovation, à la créativité, à la transformation organisationnelle et au leadership libérateur. Ces travaux l’ont conduit dans plus de 300 entreprises en France et dans le monde.

Conférencier actif sur le leadership, l’innovation, la transformation de l’entreprise et sur  l’implication de salariés, il a animé des conférences et des séminaires pour de nombreuses entreprises et publics Executive. De plus, il co-anime l’écosystème de libération d’entreprises et d’administrations en France.

 

A propos de l’ESCP Europe

Fondée en 1819, ESCP Europe a formé plusieurs générations de dirigeants et d’entrepreneurs. Grâce à ses six campus urbains à Berlin, Londres, Madrid, Paris, Turin et Varsovie, et à son identité profondément européenne, ESCP Europe propose des formations managériales interculturelles ainsi qu’une perspective globale des problématiques liées au management international. ESCP Europe accueille chaque année 4 600 étudiants et 5 000 cadres-dirigeants d’une centaine de pays différents, leur proposant une large gamme de formations en management général et spécialisé (Bachelor, Masters, MBA, Executive MBA, Doctorat-PhD et formation continue).

ESCP Europe fait partie des 1% d’écoles de commerce au monde à être triplement accréditées (AACSB, AMBA, EQUIS).

 

 

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