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Le numérique, un accélérateur de la progression des femmes dans la fonction publique ?

Le rapport sur le dispositif des quotas de nominations par genre dans la fonction publique…
Publié le 29 août 2018
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Le rapport sur le dispositif des quotas de nominations par genre dans la fonction publique publié en 2017 fait un constat en demi-teinte.

La France affiche certes une progression de la part des femmes nouvellement nommées sur les postes d’encadrement supérieur d’un point par an depuis l’instauration de ce dispositif en 2012, atteignant ainsi 35 % de femmes nommées pour la première fois sur des emplois de direction en 2016. Ces progrès ne suffiront toutefois pas à lever le plafond de verre qui écarte encore de nombreux talents féminins du sommet des organigrammes. Le récent ouvrage Le plafond de verre et l’État[1], qui est le fruit d’une enquête approfondie dans quatre ministères, avance plusieurs pistes d’explication, parmi lesquelles figurent « la culture du présentéisme, les horaires extensifs et rigides (…) et l’opacité des critères de promotion. »

Eu égard à la flexibilité des horaires de travail qu’il permet, le numérique aurait pu être un puissant levier pour changer les habitudes de travail des cadres, qui sont également nuisibles à leur productivité. Dans Choisissez tout, l’ancienne directrice de l’École nationale d’administration (ENA), Nathalie Loiseau, témoigne ainsi de ce temps perdu dans l’administration parce qu’il n’est pas compté :

« celui des réunions qui commencent en retard, qui durent deux heures, dont le sujet n’est pas clairement posé à l’avance, […], dont il ne ressort rien d’autre que la date de la prochaine réunion… »

Une telle culture du présentéisme est particulièrement prégnante dans le secteur public où est portée aux nues la figure masculine du « grand commis de l’État » qui n’arrête jamais de travailler.

Si de nombreux ministères se sont dotés d’outils digitaux pour favoriser le travail nomade des cadres, ils ne semblent toutefois pas avoir défini une nouvelle stratégie d’organisation du travail des cadres, reconnaissant le droit à une plus grande flexibilité des horaires de bureau. Le ressenti est au contraire celui d’une amplification des horaires extensifs et rigides, le numérique véhiculant le mythe de l’immédiateté et d’une disponibilité permanente.

Le télétravail peut même se transformer en « plancher collant » pour les femmes. Dans un article paru le 12 juin 2018 paru dans la revue Havard Business Review intitulé « La culture de la flexibilité au travail n’aide pas les employés si elle les discrimine dans leur carrière », des chercheurs américains font ainsi ressortir une discrimination envers les femmes qui ont opté pour du télétravail aux États-Unis : parce que le télétravail est insuffisamment reconnu et valorisé, les femmes sont souvent écartées des promotions et moins bien payées que la moyenne des autres cadres, au motif qu’elles sont moins impliquées dans leur travail.

Conscient de ce blocage culturel, le gouvernement britannique a décidé, en 2014, de généraliser le droit à la flexibilité et au télétravail pour la majorité des emplois publics, y compris sur les postes de direction, sauf circonstances exceptionnelles et postes avec des nécessités de service dont le champ est bien circonscrit grâce à une liste préétablie. Une telle mesure devrait favoriser l’évolution du regard sur le télétravail qui ne devient plus un facteur discriminant pour les femmes, grâce à la valorisation d’un autre modèle de cadre dirigeant plus neutre, avec une vie professionnelle qui laisse davantage de place à la satisfaction des besoins de la vie privée.

Pour prévenir les syndromes d’épuisement, la meilleure considération du travail nomade des cadres doit s’accompagner d’une politique qui définit les limites d’une connexion aux outils de travail en dehors des situations d’urgence. Dans cette perspective, certaines entreprises allemandes ont ainsi mis en place un système qui bloque les serveurs en dehors de plages horaires de travail et des jours ouvrés pour limiter le flux de mails. C’est à cette double condition – définition d’une stratégie RH et des limites de son usage –  que le numérique sera porteur d’un progrès favorable à l’accès des femmes aux postes de direction dans le secteur public, comme dans le secteur privé.

[1] Le plafond de verre et l’État, la construction des inégalités de genre dans la fonction publique, ouvrage collectif publié en 2017, chez Armand Colin.

 

Nathalie Green
Administratrice civile
Promotion ENA Jean ZAY (2013)

 

A propos de Nathalie Green

Diplômée d’un Master Affaires publiques à Sciences po Paris et formée par l’École nationale d’administration (ENA), Nathalie Green est aujourd’hui rapporteure à la Cour des comptes, à la cinquième chambre en charge de l’évaluation des politiques sociales et des politiques du logement.

À sa sortie de l’ENA, Nathalie Green a servi pendant quatre ans à la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) au ministère de l’économie et des finances. Adjointe au chef du bureau du statut général et du dialogue social pendant deux ans, elle a ensuite été nommée chef du bureau de l’encadrement supérieur et des politiques d’encadrement. Elle a rédigé le rapport 2017 sur le bilan du dispositif des quotas de femmes sur les emplois supérieurs de l’État et a organisé un colloque en 2017 sur l’accès des femmes aux responsabilités supérieures de l’État en France.

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