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Transformer le réel pour le rendre acceptable

Avec un paroxysme atteint lors de la crise des gilets jaunes fin 2018/début 2019, le…
Publié le 4 novembre 2019
Transformer le réel pour le rendre acceptable
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Avec un paroxysme atteint lors de la crise des gilets jaunes fin 2018/début 2019, le lien entre les élites et le peuple semble distendu. L’Ena et les hauts fonctionnaires ont assez rapidement été désignés comme boucs émissaires.  Comme l’a écrit Paul-François Schira dans le numéro 167 de la revue Commentaires, « la France se contemple dans l’Ena, et n’aime pas l’image qui lui est renvoyée ».

Les Grandes écoles, notamment celles de la haute fonction publique, auraient-elles donc failli ?

Lors de sa conférence de presse du 25 avril 2019, le Président de la République a indiqué sa volonté de réformer la haute fonction publique, en termes de recrutement tout d’abord, afin qu’elle soit à l’image de la société d’aujourd’hui.

Le sentiment général est en effet que la France a reculé sur la diversité par rapport au début de la Vème République. Que l’Ena et les autres écoles du service public « ne sont plus des filières méritocratiques, où, quand on vient d’une famille d’ouvrier, de paysan, d’artisan, on accède facilement à l’élite de la République », selon les termes d’Emmanuel Macron. Mission a donc été confiée à Frédéric Thiriez pour faire des propositions, dans le prolongement de la loi de transformation de la fonction publique promulguée le 6 août 2019.  Il doit remettre son rapport d’ici fin novembre 2019.

Le paradoxe est que la France a connu dans les cinquante dernières années une révolution sans précédent avec la massification de l’accès à l’enseignement supérieur. Le nombre d’étudiants a été multiplié par huit depuis 1958 pour atteindre deux millions et demi aujourd’hui. La démocratisation lente et désormais ancienne de l’école depuis Jules Ferry concerne aussi les Grandes écoles et les Universités.

Comme l’avaient montré Valérie Albouy et Chloé Tavan  dans la revue Économie et statistique n°410  en 2007, la part de jeunes obtenant un diplôme du supérieur a doublé, passant de 21% pour les générations nées entre 1960 et 1962 à 42 % pour celles nées entre 1975 et 1977. Tous les milieux sociaux en ont bénéficié ; les Grandes écoles et Universités accueillent aujourd’hui un public qui en était auparavant largement exclu.

Pour autant, si pour les enfants d’ouvriers les probabilités d’être diplômé du supérieur ont été multipliées par trois entre les générations 1948-1951 et 1975-1977, elles restent encore trois fois moins élevées que celles des enfants de cadres (77 % contre 25 %).

Selon les données du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, 38 % des élèves du supérieur sont aujourd’hui boursiers, mais ils sont seulement 26% à l’Ena, entre 11 et 19 % dans les autres Grandes écoles, dont 11 % à l’Ecole Polytechnique, qui ne réunissait que 2 % d’enfants d’ouvriers et d’employés dans sa dernière promotion (4% à l’Ena).

Même si de nombreuses initiatives ont été prises au sein des Grandes écoles, avec des opérations d’ouverture envers les élèves issus des lycées défavorisés (bourses, programmes de remise à niveau, classes préparatoires…), les résultats ne sont pas au rendez-vous. La France est encore en retard par rapport à d’autres pays européens sur ces questions d’inégalités sociales ET territoriales dans l’accès à l’enseignement supérieur.

 

Par voie de conséquence,

« comme l’ENA, les Grandes écoles françaises sont un levier de transformation sociale et politique du pays« , a déclaré la ministre, Frédérique Vidal, en juin 2019 à l’assemblée générale de la Conférence des grandes écoles.

 

L’autre enjeu de la réforme à venir est de repenser la formation des hauts fonctionnaires pour qu’elle soit plus ouverte au monde académique, à la recherche, à l’international.

La séparation Grandes écoles et Universités est encore une spécificité française. Certes les Grandes écoles ont su nouer des partenariats et s’intégrer dans le système LMD (licence-master-doctorat), mais le modèle d’organisation de l’Ena et des autres Grandes écoles pourrait évoluer avec, par exemple, la création dans chaque établissement d’un poste de doyen-associé chargé des relations avec les universités sur le territoire.

De même, plutôt que de partir dans un débat sans fin sur la gratuité de l’enseignement supérieur, ne vaudrait-il pas mieux articuler le système des bourses d’État sur critères sociaux ET territoriaux avec celui proposé par les Grandes écoles ?  De simplifier ainsi les démarches des élèves et de leur famille en harmonisant les règles au niveau des bourses comme des autres modalités d’aide (prêt d’honneur, engagement de service dans la fonction publique ou dans une entreprise partenaire, accompagnement par un mentor…).

Parallèlement aux gilets jaunes, a émergé dans les derniers mois d’autres mouvements portés par les jeunes générations, avec des exigences nouvelles en termes de responsabilité sociale et environnementale à l’égard de l’État, des collectivités territoriales et des entreprises, voire de la société dans son ensemble.

La réforme de l’Ena et des autres Grandes écoles est donc aussi l’occasion, au travers de nouveaux schémas d’organisation, de nouveaux contenus comme d’outils de formation, de considérer les colères du monde et d’apporter des éléments de réponse rationnels, à celles et ceux, parmi les jeunes générations, qui veulent que les choses changent plus vite et plus en profondeur.

 

Gilles Duthil
secrétaire général de l’association des anciens élèves de l’Ena

 

A propos de Gilles Duthil

Gilles Duthil est depuis février 2017 secrétaire général de l’association des anciens élèves de l’Ena www.aaeena.fr.

Ancien élève d’HEC, du CNAM (3ème cycle d’économie de la santé et du social), puis de l’ENA (promotion Jean de La Fontaine), Gilles DUTHIL est magistrat financier au sein de la Chambre Régionale des Comptes d’Ile de France. Spécialisé dans le secteur santé/social, expert sur les questions liées à l’économie du vieillissement, il a un double cursus dans le public et le privé (secteur de l’assurance et de la protection sociale).

 

A propos de l’association des anciens élèves de l’Ena

L’École Nationale d’Administration (ENA) a été créée au lendemain de la Seconde Guerre par ordonnance du Gouvernement provisoire de la République française alors présidé par le Général de Gaulle. Préparée par la Mission provisoire de réforme de l’administration animée par Michel Debré, alors maître des requêtes au Conseil d’État, l’ordonnance du 9 octobre 1945 entendait « refondre la machine administrative française« , principalement en démocratisant le recrutement des hauts fonctionnaires d’État, grâce à la mise en place d’un concours d’accès unique à la fonction publique. Depuis, l’ENA a continuellement fait évoluer ses structures et ses enseignements afin de rester fidèle aux principes de 1945.

L’Association des Anciens Elèves de l’Ena (AAEENA) a été créée, quelques mois après l’Ecole, le 26 octobre 1947, et reconnue d’utilité publique par décret du 13 mars 1961.

Elle a pour but d’établir des relations amicales et un lien de solidarité et d’aide mutuelle entre les anciens élèves de l’Ena (près de 10 000 anciens élèves ou diplômés français et étrangers) et de les représenter auprès des Pouvoirs Publics ; elle apporte son appui aux élèves de l’École.

Elle a également pour objet de promouvoir les valeurs du service public et de contribuer au-delà de la communauté de ses membres au rayonnement de l’Ena, tant en France qu’à l’international.

Dans le cadre de la réflexion sur la transformation de l’Ena et de la haute fonction publique (mission Thiriez), elle participe à une plateforme de propositions communes avec l’association des administrateurs territoriaux de France (AATF) et l’association des directeurs d’hôpitaux (ADH).

Pour plus d’information, www.aaeena.fr

 

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