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GrandAngle – Février 2025 – UPS

Publié le 27 février 2025
GrandAngle – Février 2025 – UPS
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Par Denis Choimet, Président de l'UPS

La diversité sociale dans les CPGE scientifiques

L’idée de conditionner au succès à un concours l’accès à certains métiers est apparue en France il y a près de trois cents ans, lorsque l’appartenance à une classe sociale donnée a été remise en question comme seule garantie de compétence. Le tournant décisif est celui de la Révolution Française, qui ouvrira à tous les citoyens l’accès aux concours – et aux classes y préparant – et créera dans un même temps les premières grandes écoles. Mais ce n'est que trois siècles plus tard, dans les années 1990, qu'a lieu la démocratisation des CPGE : elles voient leur nombre croître sensiblement en dehors des grandes métropoles, et le nombre des boursiers qu'elles accueillent double en l'espace de 20 ans[1]. Malheureusement, depuis lors, ces dynamiques ascendantes ont fait place à une quasi-stabilité, et à la rentrée 2024, la proportion de boursiers en CPGE s'établit à 28,3% (30,5% dans les classes publiques, très majoritaires).

[1] Près de 11 500 boursiers en 1996, près de 24 000 en 2016.

Il est intéressant de noter que les quotas de boursiers du secondaire instaurés à l'entrée en CPGE (loi ORE de mars 2018) n'ont eu aucun effet notable. Leurs promoteurs étaient certainement animés des meilleures intentions, mais la réalité du vivier n'étant pas suffisamment prise en compte, ces quotas ont parfois davantage contribué à mettre en difficulté un certain nombre d'étudiants qu'à leur ouvrir une voie de réussite.

Il est bien évident que le public accueilli en CPGE n'est pas un reflet satisfaisant de la diversité de la société française. Dans ce contexte, la tentation peut être grande d'imputer aux 87 000 étudiants de CPGE le manque de diversité sociale de l'enseignement supérieur français, qui en compte près de 3 millions ! En réalité, le défi qui est devant nous, celui du redémarrage de l'ascenseur social, concerne évidemment l'ensemble des filières sélectives. Il convient dès lors d'interroger la capacité de toutes ces formations à intégrer une part croissante de publics issus de milieux défavorisés et d'imaginer comment renforcer, dans ce cadre, le modèle d'intégration que constituent les classes préparatoires et les grandes écoles.

La tâche est d'envergure, car le vivier dans lequel recrutent les CPGE scientifiques est trié socialement : à la rentrée 2023, les élèves de Terminale de milieu très favorisé représentaient en effet[1]

  • 39% de l’effectif total des élèves de Terminale,
  • 47% des élèves ayant choisi la spécialité Mathématiques,
  • près de 60% des élèves ayant choisi la spécialité Mathématiques et l’option Mathématiques expertes (il s'agit du « cœur de cible » des CPGE scientifiques hors BCPST).

Un rapport de l'inspection générale de 2015 le soulignait déjà[2] :

« Les CPGE sont injustement les boucs émissaires de la panne de l’ascenseur social. [...] On tire en effet des conclusions hâtives, souvent accusatrices, du déséquilibre constaté entre la répartition sociale des classes de sixième et celle des classes préparatoires. […] Tous les efforts menés ces dernières années pour démocratiser les poursuites d’études en classes préparatoires atteignent vite leurs limites, dans la mesure où le vivier de recrutement est au départ très déséquilibré, en raison du long processus de distillation fractionnée à l’œuvre entre la sixième et la terminale. C’est avant tout à ce problème qu'il convient de s'attaquer prioritairement, sans bien sûr relâcher l'effort qui a été mené ces dernières années pour accueillir davantage de boursiers en classes préparatoires. »

Pour y remédier, les grandes écoles ont déployé de multiples dispositifs de promotion sociale, parfois en collaboration avec des associations étudiantes (« Des territoires aux grandes écoles », « OSER », etc.) ou les associations de professeurs de CPGE (UPS et UPSTI pour les CPGE scientifiques), à la fois en direction des lycéens et des élèves de CPGE. Citons, sans prétention à l'exhaustivité : « l'opération Monge » de l’École polytechnique, les programmes « Genius » (IPP[3] et Centrale Lyon), « Brio » (Centrale Nantes et IMT Atlantique) et « OSE InGÉ » (ISAE-Supaéro), ou encore le Summer Camp de CentraleSupélec et les stages « Coup de boost en CPGE » de l'IPP, sans oublier bien sûr les multiples « Cordées de la réussite ». Ces initiatives sont essentielles pour montrer notre détermination commune et inébranlable à ouvrir l’accès à la filière CPGE/grandes écoles à des publics qui, pour le moment, ne s’estiment pas concernés par ce cursus pourtant sécurisé et aux débouchés multiples et valorisants. Mais force est de constater que, pour le moment, elles ne modifient pas la donne de manière décisive, notamment dans les écoles les plus sélectives.

Cela n'implique en aucune façon qu'il faille se résigner. Les propositions qui suivent se veulent concrètes et susceptibles de « passer à l'échelle ». Préférables aux mesures de « discrimination positive » (qui suscitent à juste titre des réserves au sein même de nombreuses grandes écoles et de leurs alumni) et de « quotas » (pas fatigants à mettre en œuvre mais inefficaces car sans action sur le vivier), elles auront avantage à être portées auprès de la tutelle aussi bien par les associations de professeurs de CPGE que par les grandes écoles, bénéficiant ainsi de la crédibilité et du prestige de ces dernières.

  1. Mettre en œuvre une politique d'orientation digne de ce nom. On ne peut à la fois pleurer sur le faible nombre de boursiers dans les grandes écoles et se satisfaire que la doublette Spé maths + Maths expertes constitue un vivier socialement trié[4]. Vu la gravité de la situation, il faut demander aux pouvoirs publics une campagne exceptionnelle de promotion de la Spécialité mathématiques auprès des lycéens issus des milieux « non initiés » (les grands oubliés de la réforme du lycée), avec des objectifs chiffrés, et affirmer très clairement son caractère indispensable pour entreprendre des études scientifiques de haut niveau. Il faut enfin accompagner et multiplier les initiatives de promotion des sciences et de l’ingénierie qui existent déjà sur le terrain, afin d'offrir aux lycéens des « modèles inspirateurs » et de stimuler ainsi l'envie de s'engager dans ce type d'études.
  2. Atteindre les « prescripteurs de l'orientation ». Les chefs d'établissements, les professeurs principaux et les PsyEN sont les grands acteurs de l'orientation au lycée. Malheureusement, ils ont fréquemment une image datée, voire erronée des CPGE et des grandes écoles (climat de compétition forcenée, risque d'échec aux concours, etc). De nombreux lycées n'envoient pas d'élèves en CPGE, ou très peu. Or, s'il est difficile d'atteindre tous les lycéens faute de ressources humaines suffisantes, il est beaucoup plus aisé de s'adresser à ce public plus restreint. C'est ainsi que, cette année, des réunions de présentation du continuum CPGE/Grandes écoles ont été organisées dans une dizaine d'académies, avec la participation de nombreux professeurs de CPGE, le soutien de plusieurs grandes écoles (Mines de Paris, Mines de Saint-Étienne, Ponts et Chaussées, CentraleSupélec) et parfois celui des rectorats. Ces « prototypes » n'attendent que d'être imités !
  3. Maintenir et développer les internats dans les lycées à CPGE, ouverts y compris le week-end. Ce point est crucial pour les étudiants issus de milieux sociaux défavorisés ou isolés géographiquement.
  4. Réaffirmer la légitimité de l'année de 5/2, tout spécialement précieuse pour les candidats issus de milieux défavorisés. Une statistique est éloquente : dans les grands concours communs, l'écart entre le taux de boursiers parmi les inscrits 3/2 et parmi les inscrits 5/2 est de l'ordre de 10 points. Il y a donc là un vrai levier de promotion sociale[5].
  5. Accroître le recrutement dans les filières technologiques des CPGE (TSI, TPC, etc.). Ces filières rassemblent souvent davantage d'étudiants boursiers que les filières générales. Il y a donc là une importante source de diversité sociale pour les grandes écoles, en même temps que l'opportunité de recruter des candidats valeureux, motivés, et au profil différent[6].
  6. Ne pas manquer le rendez-vous de la rénovation de la filière ATS. Après avoir souffert dans un premier temps de la réforme du BUT, cette filière connaît une nouvelle jeunesse, avec une rénovation complète de la formation en vue de garantir une formation sur une année entière. Parallèlement, une refonte du concours va être engagée, avec une double finalité de classement et de validation, afin de s'adapter aux deux voies FISE et FISA. Écoles et entreprises pourront ainsi recruter des étudiants mieux formés et au niveau consolidé. Espérons qu'elles répondent présent !

Les classes préparatoires et les grandes écoles ont un rôle éminent d'ascenseur social à jouer et se sont mobilisées de longue date dans la diversification et l'accompagnement des publics qu'elles accueillent. Donner accès à cette formation structurellement adaptée à la promotion sociale à un plus grand nombre de jeunes issus de milieux défavorisés est un objectif prioritaire. Il ne pourra être atteint que par un engagement durable des pouvoirs publics en faveur d'un projet pédagogique de qualité dans le secondaire et d'un renforcement de l'accompagnement à l'orientation. Des actions ciblées des classes préparatoires et des grandes écoles peuvent compléter efficacement une telle politique. Il y a là le support d'une belle collaboration, au service d'une très noble cause.

[1] Note n°24-06 de la Depp de mars 2024.

[2] Les parcours scientifiques et techniques dans l’enseignement secondaire, du collège à l’enseignement supérieur (rapport de l'Inspection Générale de l'Éducation Nationale), Erick Roser, décembre 2015

[3] Institut Polytechnique de Paris

[4] et aux deux tiers masculin.

[5] auquel plusieurs concours s'intéressent de près, par exemple en maintenant les « points de jeunesse » aux boursiers 5/2, avec des premiers résultats encourageants.

[6] Ces filières sont actuellement sensiblement défavorisées aux concours. Par exemple, le rapport nombre de places / nombre d'inscrits s'établit pour les candidats TSI à 3% au concours Centrale-Supélec et à 7% au CCINP, contre 7% et 18,5% pour les candidats MP.

Fondée en 1927, l'UPS est une association loi 1901 qui fédère près de 2800 professeurs de mathématiques, physique, chimie et informatique exerçant en classes préparatoires scientifiques (hors classes agro-véto), soit plus de 90% des professeurs de ces classes.

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