Par le Pr. Didier Truchot, Professeur Emérite des Universités en Psychologie Sociale, Université Marie et Louis Pasteur
Une santé qui se dégrade chez les étudiants.
Depuis plus d’une vingtaine d’années, les recherches portant sur la santé des étudiants et quelle que soit leur discipline, déplorent une dégradation croissante de leur santé physique et psychologique. Ce constat concerne tous les pays occidentaux. Campbell et al., (2022) rapportent ainsi que, selon une enquête réalisée en 2020 auprès de 10 universités britanniques, non seulement un étudiant sur cinq a un problème de santé mentale et que « près de la moitié ont connu un problème psychologique grave pour lequel ils ont estimé avoir besoin d’une aide professionnelle », mais que ces résultats sont en augmentation dans un rapport de 1 à 3 par rapport à la même enquête réalisée en 2018. Dans une méta-analyse portant sur 64 études comportant au total 100 187 étudiants répartis à travers le monde, Li, Zhao, Chen et al. (2022) indiquent que la prévalence de la dépression est de 33,6% et celle de l’anxiété de 39%.
Concernant la France, dans une enquête menée entre le 28 avril et le 27 juin 2016 auprès de 18 775 étudiants, Frajerman, Chevance, Chaumette et Morvan (2023) observent un taux d’épisode dépressif majeur de 15,8% sur les 12 derniers mois. Sur la même période, le taux d’idéations suicidaires est de 9%. Plus récemment, dans une recherche menée auprès de 1 435 étudiants français, Kokou-Kpolou, Jumageldinov, Park et al. (2021) observent que 20,3% souffrent d’une dépression modérée et 22,8% d’une dépression sévère.
De manière globale, une santé également dégradée chez les étudiants vétérinaires.
Or les recherches menées dans différents pays nous apprennent que les étudiants vétérinaires souffrent, eux aussi, d’une mauvaise santé psychologique. : des recherches menées en Europe et en Amérique du Nord montrent que les étudiants vétérinaires présentent des degrés de dépression et d’anxiété plus élevés que la population générale et sont plus nombreux à avoir des idéations suicidaires (Cardwell et al., 2013 ; Schunter et al., 2022). De plus, ils sont généralement plus nombreux que les étudiants des autres filières à souffrir de détresse psychologique.
Toutefois, force est de constater que les études portant sur la santé des étudiants vétérinaires sont rares et ont été conduites principalement dans les pays anglo-saxons (Etats-Unis, Australie, Royaume-Uni), ou encore Allemagne. En France, aucune étude sur la santé psychologique des étudiants vétérinaires, systématique et satisfaisante méthodologiquement, n’a été menée.
C’est la raison pour laquelle les 4 écoles nationales vétérinaires de France (ENVF[1]), conscientes des difficultés auxquelles font face leurs étudiants, ont voulu en savoir plus en commanditant une recherche destinée à combler ce vide.
Objectifs de l’étude et méthode.
Dans un premier temps, les objectifs du travail à réaliser ont été fixés en concertation avec un comité de pilotage constitué de représentants des quatre écoles nationales vétérinaires françaises. Il s’agissait de :
-1) D’abord dresser un état des lieux de la santé psychologique et physique des étudiants vétérinaires français. Ont-ils eux aussi une mauvaise santé ? Si oui, comment peut-on la caractériser ? Parallèlement, mener la même démarche concernant les ressources sur lesquelles s’appuient les étudiants pour s’engager positivement dans leur travail et pour maintenir un bien-être satisfaisant. Quel est leur degré de bien-être psychologique ?
-2) Ensuite identifier les variables liées au contenu et à l’environnement de travail des étudiants vétérinaires mais également à leurs caractéristiques individuelles, qui sont en lien avec leur mauvaise mais aussi avec leur bonne santé.
-3) Tout ceci, en vue de formuler des préconisations concernant les actions à mener pour améliorer la santé et la qualité de vie au travail des étudiants vétérinaires.
Dans un second temps, 39 entretiens individuels semi-directifs d’environ une heure ont été réalisés avec des étudiants des 4 écoles. Ces entretiens avaient pour objectif de recueillir les problèmes de santé ressentis, les différents tracas quotidiens, les facteurs de stress, de mal être, rencontrés par les étudiants vétérinaires au cours de leurs études, mais également les ressources sur lesquelles ils peuvent s’appuyer et leurs motifs de satisfaction.
Dans un troisième temps, à partir de l’analyse des entretiens, qui ont été entièrement retranscrits, et en tenant compte de la littérature existante, un questionnaire a été élaboré et adressé par courrier électronique à tous les étudiants en avril/mai 2024, suivi de deux relances.
Il s’agissait donc d’allier méthodologie qualitative (entretien) et quantitative (questionnaire).
Les variables incluses dans le questionnaire.
Pour décrire la santé des étudiants vétérinaires les variables suivantes ont été choisies sur la base des entretiens et de la littérature internationale :
- la dépression, l’anxiété et les idéations suicidaires ;
- les troubles alimentaires ;
- les troubles somatiques ;
- les addictions au smartphone, à l’alcool, aux poppers, au cannabis ;
- l’engagement dans les études ;
- le bonheur perçu.
Toutes ces variables ont été mesurées avec des échelles validées, dont les propriétés psychométriques ont été éprouvées. Seules les consommations de poppers et de cannabis n’ont pas été mesurées par des échelles validées mais par une question unique.
Les variables prédictives choisies pour expliquer la santé des étudiants vétérinaires ont été les suivantes :
- les caractéristiques sociodémographiques (âge, genre, etc.) ;
- les variables liées à la vie académique. (Heures de travail, loisirs, etc.) ;
- la situation financière (être ou non boursier, avec ou non contracter un prêt étudiant, etc.) ;
- le perfectionnisme ;
- les stresseurs perçus par les étudiants ;
-Les ressources perçues par les étudiants.
Le perfectionnisme a été mesuré par une échelle validée. Les stresseurs et les ressources ont été mesurés grâce à une liste d’items construits à partir de l’analyse des entretiens et de la littérature.
Au total, 1 612 questionnaires ont été entièrement renseignés, soit un taux de retour de 46%. Vu la charge de travail de ces étudiants, qui leur laisse peu de temps, et vu la longueur du questionnaire, ce taux de retour est très satisfaisant.
Les analyses statistiques ont permis de décrire l’état de santé des étudiants vétérinaires et les variables qui lui sont associées. Les résultats ont été présentés aux directions des 4 écoles et seront présentés aux Conseils des Etudes et de Vie Etudiante (CEVE) de ces établissements. Des présentations en amphithéâtres devant les communautés étudiante et enseignante sont également programmées. Un rapport complet de recherche sera prochainement disponible. Ces deux supports constitueront une base utile et rigoureuse pour construire, dans une logique concertée, un plan d’actions destinées à améliorer la santé psychologique des étudiants vétérinaires et à accroître leur bien-être.
[1] ENVF : EnvA (Paris), Oniris VetAgroBio (Nantes), VetAgro Sup (Lyon) et ENVT (Toulouse)
Campbell, F., Blank, L., Cantrell, A., Baxter, S., Blackmore, C., Dixon, J., & Goyder, E. (2022). Factors that influence mental health of university and college students in the UK: a systematic review. BMC public health, 22(1), 1778.
Cardwell, J. M., Lewis, E. G., Smith, K. C., Holt, E. R., Baillie, S., Allister, R., & Adams, V. J. (2013). A cross-sectional study of mental health in UK veterinary undergraduates. Veterinary Record, 173, 266–266. doi:10.1136/vr.101390
Frajerman, A., Chevance, A., Chaumette, B., & Morvan, Y. (2023). Prevalence and factors associated with depression and suicidal ideation among French students in 2016: a national study. Psychiatry research, 326, 115263. DOI: 10.1016/j.psychres.2023.115263
Kokou-Kpolou, C. K., Jumageldinov, A., Park, S., Nieuviarts, N., Noorishad, P. G., & Cénat, J. M. (2021). Prevalence of depressive symptoms and associated psychosocial risk factors among French University students: the moderating and mediating effects of resilience. Psychiatric Quarterly, 92, 443-457.
Li, W., Zhao, Z., Chen, D., Peng, Y., & Lu, Z. (2022). Prevalence and associated factors of depression and anxiety symptoms among college students: a systematic review and meta‐analysis. Journal of child psychology and psychiatry, 63(11), 1222-1230.
Schunter, N., Glaesmer, H., Lucht, L., & Bahramsoltani, M. (2022) Depression, suicidal ideation and suicide risk in German veterinary medical students compared to the German general population. PLoS ONE 17: e0270912.
Présentation :
Les quatre écoles nationales vétérinaires de France (EnvA, ENVT, Oniris VetAgroBio et VetAgro Sup) ont créé et déposé collectivement en 2020 une marque « ENVF » et mobilisent des moyens communs, avec le support du Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire, pour porter des projets collectifs. Des actions de coordination et de convergence entre les quatre établissements sont ainsi portées au bénéfice de chacun d’entre eux en créant en environnement synergique.
L’engagement des écoles se matérialise dans de nombreux domaines : la communication externe à travers la présence aux grands événements nationaux (Salon international de l’Agriculture…), la démarche de Développement Durable et Responsabilité Sociétale, l’organisation de concours et examens communs, d’actions de formation initiale et continue des publics vétérinaires, les outils informatiques et supports documentaires, les liens avec les partenaires professionnels…