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Raccrocher les wagons

Publié le 29 février 2024
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Les CPGE en débat

La contribution des associations de CPGE

Si l’on s’en tient aux données quantitatives, le temps est au beau fixe pour les classes préparatoires ! Après plusieurs années d’incertitude, leur effectif a connu à la rentrée 2023 une augmentation notable (+4 % en première année), l’augmentation du nombre des étudiants touchant les trois filières commerciale, littéraire et scientifique. Selon l’enquête réalisée à la rentrée 2023 par l’APLCPGE [1] et le CEPREMAP [2], près de 9 étudiants sur 10 actuellement en deuxième année de CPGE referaient ce choix. Selon l’Observatoire de la vie étudiante enfin, les CPGE sont la formation qui recueille le taux de satisfaction des étudiants le plus élevé (77 %) dans l’ensemble de l’enseignement supérieur. C’est un tout autre tableau, pourtant, qui ressort du feu nourri des articles de presse qui se succèdent, invariablement à charge, présentant le modèle CPGE comme « daté », « en perte de vitesse », archétype de « l’entre-soi ». Des étudiants (d’un certain milieu) y expliquent avoir voulu échapper à tout prix à « l’enfer des prépas » en privilégiant par exemple un cursus à l’étranger, bien plus « épanouissant ». La récente affaire des fermetures des classes parisiennes a par ailleurs bien montré la difficulté à saisir une lisibilité, voire une cohérence, dans la politique ministérielle concernant les CPGE. Finalement, tout se passe comme si l’on voulait faire payer aux 82 000 étudiants de CPGE le manque de diversité sociale de l’ensemble de l’enseignement supérieur français, qui en compte près de 3 millions. Pour être tout à fait franc, les associations de professeurs de CPGE se sont parfois senties bien isolées dans la tourmente. Il est certain qu’une déclaration dans la presse, engageant le prestige et l’autorité des Grandes écoles et réaffirmant leur attachement aux CPGE (que nous connaissons !) serait de nature à ramener les débats dans le champ de la rationalité [3]. Pour autant, ces associations ne veulent surtout pas rester cantonnées dans une posture défensive, encore moins conservatrice. Les lignes qui suivent se veulent donc un plaidoyer pour un renforcement du lien qui unit les Grandes écoles à leur « amont », lien qui, de notre point de vue, s’est par trop distendu ces dernières années, notamment sur la question du recrutement. Elles veulent aussi apporter un certain nombre de propositions concrètes.

Rendre de la lisibilité au continuum CPGE-GE

Dans l’environnement de plus en plus concurrentiel de l’Enseignement supérieur, il est devenu très difficile pour les jeunes qui ne sont pas issus du « sérail » de tracer leur route, d’autant que la réforme du lycée ne leur facilite pas la tâche en matière d’orientation. Les salons étudiants se multiplient, mais ils sont pris d’assaut par quantité d’écoles privées lucratives dont le niveau est souvent inversement proportionnel à la puissance publicitaire. Les écoles post-CPGE y sont plus rarement présentes, sauf pour y présenter leurs Bachelors. Si l’on n’est pas issu d’un milieu « initié », comment s’y retrouver ? Il faut en finir avec la discussion byzantine qui consiste à se demander éternellement si les CPGE entrent dans le système LMD ou sont une « anomalie franco-française ». En réalité, les CPGE ne sont pas une formation en deux ans, mais le continuum CPGE/GE est une formation en cinq ans. Il faut que les lycéens sachent que ce parcours est ouvert à tous, sécurisé, et connaît un taux de réussite parmi les plus élevés de l’enseignement supérieur. Il faut également qu’ils soient informés de ses atouts : gratuité, pluridisciplinarité, haut niveau, maillage du territoire, suivi individualisé, diversité des débouchés, etc. Cette promotion de la filière CPGE/GE ne pourra se faire sans l’intervention des Grandes écoles dont les CPGE demeurent, dans de nombreux cas, un pourvoyeur majoritaire. Il ne s’agit évidemment pas de promouvoir une voie d’accès aux Grandes écoles au détriment des autres, tout aussi légitimes ! Il s’agit de mettre un terme à un bashing aussi ciblé que systématique, en s’adressant aux lycéens, mais aussi aux professeurs et aux proviseurs des établissements secondaires, afin que tous bénéficient d’une information exacte susceptible de produire des choix éclairés. C’est exactement ce que vient de faire la CDEFM en lançant sur les réseaux sociaux la campagne #PREPARETOI de promotion très explicite et très spécifique de la filière CPGE, à laquelle elle « réaffirme son attachement fort », afin de « promouvoir cette filière auprès du plus grand nombre ».

Favoriser la promotion sociale et accroître la féminisation

Accroître le nombre de boursiers dans les Grandes écoles (en particulier les plus sélectives), et celui des jeunes filles dans l’ensemble des Écoles d’ingénieurs est un enjeu prioritaire. Pour y parvenir, l’instauration de quotas est une solution tentante, mais qui nous semble présenter deux inconvénients. Tout d’abord, les quotas sont sans effet sur le vivier. Or, pour ne citer qu’un exemple, le vivier des jeunes filles faisant plus de 6 heures de mathématiques par semaine en Terminale a été divisé par 3 par la dernière réforme du lycée [4]. On sait aussi que les élèves d’origine sociale très favorisée sont surreprésentés dans ce même enseignement [5]. Par ailleurs, instaurer des quotas laisse à penser qu’il existerait un « plafond de verre » qui ferait obstacle à l’accession des jeunes filles aux CPGE scientifiques [6]. Une observation attentive montre au contraire que, dans les filières les moins féminisées, le taux de jeunes filles classées en position d’être appelées par les lycées à CPGE est souvent sensiblement supérieur à la proportion de candidates. C’est au moment de l’admission que les choses se gâtent, car elles optent fréquemment (et tout à fait librement, espérons-le !) pour d’autres formations. Il s’agit donc d’accroître et de diversifier le vivier, en agissant en amont du processus d’orientation, c’est-à-dire avant la classe de Première. Cela nécessite un engagement sans précédent de communication, d’information et d’accompagnement dans lequel les étudiants et étudiantes des Grandes écoles peuvent jouer (et jouent déjà !) un irremplaçable rôle d’ambassadeurs ou de tuteurs. D’autres mesures essentielles, qui relèvent de la puissance publique, peuvent recueillir très utilement l’appui des Grandes écoles, comme le développement des internats ou le soutien aux structures dites « de proximité ». Enfin, les CPGE technologiques, sans oublier les CPGE ATS, sont susceptibles d’apporter aux Grandes écoles une part supplémentaire de la diversité qu’elles recherchent. Accroître le nombre de places proposées aux candidats de ces filières – actuellement défavorisées de ce point de vue – contribuerait à leur conférer un regain d’attractivité.

Réunir les acteurs de la filière pour réfléchir aux CPGE de demain

Pour qui les connaît de près, les CPGE ont considérablement évolué depuis une trentaine d’années : diversification en filières accessibles aussi bien aux bacheliers technologiques que généraux, évolution de la notation, suivi individuel renforcé, etc. Les filières scientifiques ont été pionnières pour donner aux sciences de l’ingénieur et plus récemment à l’informatique leur statut de discipline à part entière ; elles proposent aussi une initiation à la recherche personnelle dans le cadre des TIPE. Plus encore, l’effectif des CPGE a plus que doublé depuis les années quatre-vingt : elles accueillent désormais des bacheliers de profils et de niveaux extrêmement diversifiés, plus seulement les plus brillants d’entre eux. Continueront-elles d’évoluer ? C’est une évidence. Encore faut-il que cette évolution préserve ce qui fait leur efficacité, et se fasse en fonction des besoins de la nation plutôt que des lubies du moment. Cet « ADN » des CPGE nous semble pouvoir être résumé en un petit nombre de principes :

  • unité de la formation (par opposition à l’hybridation et au saupoudrage) ;
  • recrutement sur concours dans les Grandes écoles : pas besoin d’allumer son téléviseur pour se convaincre de la pertinence du concours pour produire de l’émulation, donc du haut niveau, sans pour autant – dans le cas des CPGE – laisser quiconque au bord du chemin ;
  • temporalité de la formation : la pédagogie CPGE, ordonnée à l’établissement d’un socle et sanctionnée par un concours, n’est pas identique à la pédagogie GE, ordonnée à une formation plus professionnalisante. Chaque chose en son temps.

Réfléchir autrement que dans l’urgence aux CPGE de demain nécessite de faire se rencontrer régulièrement les acteurs de la filière : directeurs de Grandes écoles, représentants des CPGE et opérateurs de concours. Pour le moment, ce type de rencontre n’existe pas : les réunions-bilans des concours sont très utiles mais n’ont pas la même finalité, et les préoccupations des groupes de travail de la CGE et de la CDEFI couvrent un spectre si large qu’on y aborde très rarement les questions spécifiques aux CPGE. Nous proposons à nos partenaires des Grandes écoles et des concours de créer une instance indépendante visant à développer une réflexion prospective à long terme sur le continuum CPGE/GE et d’alimenter par ses travaux les échanges avec le ministère de l’Enseignement supérieur. Faire monter un plus grand nombre de lycéens de tous milieux dans les wagons des CPGE, raccrocher solidement ces derniers à la locomotive des Grandes écoles, voilà un beau défi pour les années à venir !

Jean-François BEAUX, président de l’UPA Rémy BOULARD, président de l’UPLS Denis CHOIMET, président de l’UPS Damien FRAMERY, président de l’APPLS Sébastien GERGADIER, président de l’UPSTI Alain JOYEUX, président de l’APHEC

UPA : Union des professeurs des classes préparatoires aux grandes écoles agronomiques, biologiques, géologiques et vétérinaires UPLS : Union des professeurs enseignant les disciplines littéraires dans les classes préparatoires scientifiques UPS : Union des professeurs de classes préparatoires scientifiques APPLS : Association des professeurs de première et de lettres supérieures UPSTI : Union des professeurs de sciences et techniques industrielles APHEC : Association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales

[1] Association des proviseurs de lycées à CPGE.
[2] Centre pour la recherche économique et ses applications.
[3] Il faut toutefois saluer les éloquentes prises de positions récentes de trois directeurs et directrice d’écoles de l’Institut Polytechnique de Paris sur LinkedIn.
[4] Cette baisse touche désormais également les CPGE commerciales : selon la note n°3 du SIES de février 2024, le nombre d’étudiantes inscrites dans cette filière a reculé de 0,8 %, alors que l’effectif global a augmenté de 6,1 %.
[5] Note 23-06 de la DEPP (mars 2023).
[6] Autres que la filière BCPST, fortement féminisée.
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