L’Anthropocène est le nouveau paradigme en émergence pour appréhender les changements globaux, et les symptômes et risques induits. Au sens strict, l’Anthropocène est envisagé comme étant une nouvelle époque géologique stratigraphique où les activités humaines exercent des forces désormais aussi puissantes que les dynamiques naturelles. Plus largement, l’Anthropocène s’impose d’ores et déjà comme un cadre de compréhension et de conceptualisation de la complexité croissante des relations Homme-Nature, avec de nombreuses dynamiques en interactions, une accélération généralisée, une architecture global/régional/local en réorganisation permanente, et donc des trajectoires prospectives très incertaines et risquées.
Le changement climatique est l’une des composantes de ce changement global. Il illustre bien la complexité au sens scientifique du terme, avec ses effets d’échelles et multidimensionnels, ses défis pluridisciplinaires et méthodologiques, ses inconnues et incertitudes. Il illustre également les défis humains associés, allant de la perception à l’adaptation et à l’anticipation, et couvrant le large spectre qui va de l’assimilation individuelle aux transformations sociétales et géopolitiques. D’autres aspects du changement global se combinent au changement climatique, en particulier les surexploitations et dégradations de ressources, les changements d’occupation du sol et l’urbanisation, les perturbations des cycles hydrologique et biogéochimiques, les réseaux et flux de la mondialisation… La tragédie des communs, au sens du Prix Nobel E. Orstrom, est actuellement à l’œuvre dans plusieurs domaines du changement global, dont le changement climatique, les tensions sur les ressources en eau, l’érosion de la biodiversité, et elle menace les facettes essentielles de la sécurité : alimentation, santé, énergie, événements catastrophiques, conflits en particulier. La complexité intrinsèque, les limites de l’observation, et le manque de recul sur le changement en cours limitent l’appréhension cognitive de l’ensemble. Chaque acteur individuel, économique, institutionnel se concentre donc spontanément sur certains aspects, et se projette dans l’avenir à plus ou moins longue échéance, selon ses perceptions, ses compétences, ses objectifs et ses prises de risque.
Les cadres que nous formons actuellement, notamment dans le champ des sciences du vivant, devront exercer une intelligence nouvelle lors des quarante d’ans d’exercice professionnel qui s’ouvrent à eux, et en tant que citoyens. Ils devront être en veille, détection et compréhension des changements en cours, non seulement dans leur domaine de spécialité et de proximité, mais de manière holistique. Ils devront jongler avec les dynamiques de la nature physique et biologique ; les logiques économiques, systémiques, de territoire, de filière et de téléconnection ; les changements tendanciels, co-évolutifs et de rupture ; les emboîtements entre causes et conséquences à différentes échelles. Ils auront à gérer des crises multidimensionnelles nouvelles, devront piloter des stratégies d’adaptation voire de survie, et pourront identifier des chemins de transformation, d’innovation et de coopération.
Il est de notre devoir de formateur de permettre à nos étudiants et nos interlocuteurs de développer les compétences sous-jacentes à cette intelligence de l’Anthropocène. Nous le faisons déjà pour partie en associant dans de nombreux cursus des démarches scientifiques, d’ingénierie et de management ; en articulant différentes logiques ; et en développant les agilités informationnelles, relationnelles et numériques. Mais ces compétences et leur mise en œuvre doivent désormais dépasser les approches sectorielles, et être mises dans la perspective systémique, dont les Objectifs de Développement Durable formulés par l’ONU fixent le cap collectif et éthique pour le moyen terme.
Christophe Cudennec
Professeur d’hydrologie
AGROCAMPUS OUEST
1- En cohérence avec le Guide Compétences Développement Durable & Responsabilité Sociétale, développé par la CGE et la CPU, 2016 – accessible en ligne : http://reunifedd.fr/?articleforge_summary=guide-competences-developpement-durable-responsabilite-societale
A propos de Christophe Cudennec
Christophe Cudennec est Professeur d’hydrologie à AGROCAMPUS OUEST, à Rennes, où il coordonne des enseignements pluridisciplinaires, des innovations pédagogiques transversales, et des recherches sur les enjeux liés à l’eau au sein de l’unité SAS mixte avec l’INRA. Il est Secrétaire Général de l’Association Internationale des Sciences Hydrologiques, actif dans l’exploration collective des questions liées au changement hydrologique. Il est expert auprès de l’UNESCO et de l’Organisation Mondiale de la Météorologie ; est membre réviseur du GIEC ; et a participé à la synthèse 2016 du Programme International Géosphère-Biosphère sur le concept d’Anthropocène.
A propos de AGROCAMPUS OUEST
AGROCAMPUS OUEST est un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP), de type Grand Etablissement, en sciences du vivant et de l’environnement, placé sous la double tutelle du Ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt (MAAF) et du Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche (MENESR). Il développe ses missions dans les domaines de l’agronomie, de l’alimentation, de l’environnement, de l’horticulture et du paysage.