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Les mathématiques entre explosion et place critique

L’année 2019-2020 a été déclarée année des mathématiques par le ministre de l’éducation nationale. La…
Publié le 17 juin 2020
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L’année 2019-2020 a été déclarée année des mathématiques par le ministre de l’éducation nationale. La nouvelle réforme du lycée nous offre l’occasion de contribuer à une meilleure compréhension de la place des mathématiques dans l’enseignement, du secondaire aux écoles d’ingénieurs.

Le nouveau lycée a relancé les débats sur la place des mathématiques dans l’enseignement secondaire car la réforme affiche clairement l’ambition de les positionner au carrefour des disciplines proposées, en vue de garantir à tous les élèves l’acquisition d’une culture scientifique générale. Le deuxième objectif de cette réforme est de permettre, à ceux qui le désirent, d’approfondir leurs savoirs selon différents parcours adaptés aux études supérieures et aux métiers qu’ils envisagent. Cette réforme donne donc plus de place aux mathématiques, mais selon des formes multiples, propres aux besoins de chaque élève pour se projeter vers sa réussite future. Nous ne pouvons qu’adhérer à cette évolution qui vise à mieux prendre en compte les évolutions de la société et de ses sciences et techniques, et qui corrigera dans le futur cette étiquette de discipline de sélection accolée depuis longtemps aux mathématiques.

Au sein des sciences, on assiste à l’explosion des relations entre la mathématique et les autres disciplines. Depuis le début des années 2000, l’académie des sciences et les sociétés mathématiques françaises ont beaucoup publié sur le sujet et formulé des recommandations pour une évolution vers un enseignement des mathématiques plus adapté aux réalités nouvelles[1]. Ces publications permettent de mieux connaître les mathématiques et leurs interactions avec les autres domaines de recherche et d’enseignement, en particulier dans les écoles d’ingénieurs scientifiques.

 

Un ingénieur « transformateur » ou « convertisseur »

Dans les écoles d’ingénieurs généralistes scientifiques comme la nôtre les cursus des différentes formations s’appuient sur des disciplines, nommées sciences de base, composées de mathématiques, de sciences physiques, d’informatique, de SHS, communes à toutes les activités scientifiques et d’ingénierie. Les intentions majeures des programmes de mathématiques, les choix particuliers, et les compétences visées, s’inspirent des recommandations du SEFI : Mathematics Curricula in Engineering Education[2]. Pour mieux comprendre les intentions et la place des mathématiques dans les formations d’ingénieurs en regard de l’ambition du nouveau lycée, revenons sur ce qu’est un ingénieur[3] généraliste.

La particularité de l’ingénieur généraliste, spécificité française, est qu’il connait ses fondamentaux dans les disciplines scientifiques de base, et peut travailler dans n’importe quelle industrie. Il intervient en « transformateur » ou « convertisseur ». Avec l’émergence des nouvelles technologies et situations industrielles (Big Data, Quant, Augmentation de cadences de production, gestion et prédiction des risques, etc), l’ingénieur absorbe des signaux de nature diverse et doit passer maître dans l’art d’analyser, modéliser, synthétiser des problématiques complexes, mais aussi décider des méthodes et restituer les résultats dans un format intelligible pour des publics ciblés (collaborateurs, clients, chef de projet, décideur financier, RH,…). Dans ce contexte, comment prendre en compte les adéquations et différences entre les mathématiques enseignées dans un cursus de formation ingénieur et les mathématiques du nouveau lycée.

Une fois son école intégrée, l’élève-ingénieur change son rapport aux disciplines enseignées. Les connaissances et compétences sont acquises pour elles-mêmes et non pour un classement scolaire. Au lycée, c’est la technicité calcul qui est mise en avant plus que la réflexion hypothético-déductive, l’analyse et la synthèse. Le calcul est consubstantiel de l’activité mathématique. Il s’agit d’acquérir de bons automatismes, or le sentiment personnel d’efficacité en mathématiques des lycéens est souvent lié à leur capacité de maîtrise des calculs. Les élèves faibles dans cette compétence abandonnent rapidement les mathématiques après le collège alors qu’une approche incluant la réflexion et le questionnement autonome permettrait de donner confiance à plus d’élèves en évitant le blocage de la technicité. Comme cela a été souligné dans le rapport Torossian-Villani par exemple, il est nécessaire que tous les élèves possèdent une base solide qui leur permette de dépasser leurs difficultés (en se réappropriant le calcul, l’intuition mathématique et logique). C’est alors seulement qu’ils peuvent appréhender à leur juste mesure les grandes problématiques : les élèves patients, ont le plaisir de le découvrir en école d’ingénieur. C’est bien trop tard pour beaucoup d’entre eux.

 

L’ingénierie mathématique et la créativité

A IMT Atlantique, les compétences mathématiques fondamentales visées par les apprentissages sont omniprésentes car elles sont l’essence même de l’activité mathématique et sa contribution à la formation de l’esprit scientifique. On peut citer : chercher, expérimenter, modéliser, représenter, résoudre (en particulier à l’aide de schémas numériques approchés), analyser et critiquer les résultats. Se questionner sur les conditions d’existence d’une solution, unique ou pas, vérifier les hypothèses d’application d’une méthode, est aussi important que de faire aboutir le calcul. D’ailleurs, il existe encore des problèmes mathématiques non résolus (7 problèmes du millénaire (Institut mathématique Clay)) et si les solutions analytiques générales sont inconnues, les solutions particulières ou approchées font avancer la connaissance.

Au lycée, les exercices de mathématiques servent de gamme. Les sujets d’examens du BAC et des concours sont découpés en de nombreuses questions qui évaluent la connaissance de formules, de pratiques de calcul et d’astuces apprises par cœur. Aucune créativité n’est laissée à l’élève pour qu’il propose et justifie le choix de sa méthode. Dans nos enseignements, nous mettons en avant l’autonomie des étudiants, nous incitons l’échange de solutions argumentées (méthodes et registres). Les séances d’exercices de mathématiques de première année se font en équipe de 4 élèves qui doivent échanger, puis exposer et convaincre leur groupe. Les devoirs maison, par équipe également, permettent de proposer des exercices ouverts évaluant leur capacité à prendre en compte les hypothèses de travail, en autonomie, d’identifier les théorèmes applicables dans les espaces de travail identifiés, d’être efficaces et de mettre en perspective les résultats obtenus. Il y a peu de calcul pour les plus malins qui ont bien assimilé le cours et ont pris du recul. Une équipe pédagogique pluridisciplinaire les accompagne et permet d’illustrer l’intérêt des mathématiques dans les autres disciplines (physique, traitement du signal, informatique, sciences humaines…). En deuxième et troisième année, des enseignements mathématiques spécifiques à chaque thématique d’approfondissement sont proposés. Et pour ceux qui le souhaitent, la thématique Mathematical Computational Engineering permet d’aller plus loin. Ainsi chaque élève peut ajuster la dose de mathématiques qui lui convient et trouver son bonheur.

 

Les nouvelles sciences liées en particulier à l’explosion du numérique et de l’intelligence artificielle nécessitent une meilleure formation des esprits. Pour être efficaces et tenir la place de la France dans les défis à venir, les esprits doivent être formés à plus de capacités d’accumulation de connaissances, de synthèse et d’analyse.

Nous constatons que de plus en plus d’élèves sont convaincus qu’il suffit de surfer sur internet pour trouver une réponse à n’importe quelle question. Le questionnement, la créativité et la recherche de solutions « personnelles » qui mettent en œuvre une ingénierie, sont de plus en plus mal acceptées car elles demandent de l’effort.

Notre plus grand espoir est que les intentions de la nouvelle réforme, dont l’objectif est de redonner à l’enseignement des mathématiques son sens premier et former l’esprit à la démarche scientifique, soient réellement comprises. Ceci permettra d’unifier les objectifs fondamentaux et d’éviter au niveau supérieur le grand fossé qui décourage beaucoup d’élèves à faire des mathématiques car ils ont acquis des savoirs morcelés, vite oubliés après l’examen. La compétence de beaucoup d’élèves se limite par sécurité personnelle à de la restitution à court terme.

L’on devrait accorder moins d’importance à la quantité de contenu et privilégier l’activité personnelle réelle par la résolution d’exercices et problèmes qui nécessitent une ingénierie mathématique maîtrisée.

 

[1]Les mathématiques dans le monde scientifique contemporain : Académie des sciences, rst n°20-novembre 2005.

L’explosion des mathématiques SMAI 2002 : brochure disponible en téléchargent sur SMAI@math.fr

Mathématiques : l’explosion continue SMAI 2003.

[2]SEFI : Société Européenne pour la Formation des Ingénieurs.

[3]Définition du dictionnaire Larousse : personne que ses connaissances rendent apte à occuper des fonctions scientifiques ou techniques en vue de prévoir, créer, organiser, diriger, contrôler les travaux qui en découlent, ainsi qu’à y tenir un rôle cadre.

 

Par Safouana Tabiou (1)  et Valérie Burdin (2)
IMT Atlantique

 

 A propos de Valérie Burdin

Valérie Burdin est Enseignante-Chercheuse à IMT Atlantique. Elle a une formation universitaire en Mathématiques, et depuis plus de 20 ans, elle s’intéresse à la manière d’enseigner les Mathématiques pour l’ingénieur notamment en insistant sur l’interdisciplinarité de la discipline, la contextualisation et la mise en équations des problèmes d’ingénierie. Elle effectue sa recherche au Laboratoire LaTIM IINSERM 1101 en partenariat avec le CHRU de Brest.

 

A propos de Safouana Tabiou

Safouana Tabiou est enseignant-chercheur à  l’Ecole depuis  21  ans, chargée  des enseignements  de  mathématiques.  Dans  ce  cadre, elle a mené des  projets d’apprentissage  par  l’action en  mathématiques, et  développé  auto-math, pour la  formation  à  distance  et  la mise  à  niveau  de  candidats  non issus des CPGE.

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