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L’évaluation équitable est-elle possible ?

Par la signature des chartes handicap de 2008 et 2019, la Conférence des grandes écoles…
Publié le 26 novembre 2020
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Xavier Quernin

Par la signature des chartes handicap de 2008 et 2019, la Conférence des grandes écoles a engagé ses écoles membres dans le développement d’une ambition inclusive, répondant à là fois à une obligation légale et à un engagement sociétal essentiel, en faveur des étudiants en situation de handicap.

Depuis 2018, les baromètres annuels de la CGE sur ce sujet montrent une forte croissance du nombre de ces étudiants dans les différents cursus de formation proposés par ces établissements.

Cela illustre un véritable engagement de nos écoles, de leurs équipes pédagogiques, dans la mise en place d’aménagements et d’accompagnements pour faciliter l’accès aux cursus académiques.

Le souhait de cet édito, est d’amener à une réflexion qui pourrait paraitre utopique et en contradiction avec les règlements pédagogiques associés aux diplômes que nos établissements délivrent : l’idée de briser la sacro-sainte évaluation commune pour garantir l’égalité et la justesse d’évaluation.

Julien Soreau

Car celle-ci n’a rien de juste.

Si nous voulons évaluer le niveau de compétences en langue vivante d’un étudiant sourd profond, lui faire passer la partie listening d’un TOEIC n’a pas de sens : le reading ou le writing seront plus appropriés.

Il en est de même pour les étudiants qui ont des formats cognitifs différents. Qu’ils aient un trouble du spectre autistique, un TDAH ou un trouble « dys », si nous voulons évaluer leur juste niveau, il est important de choisir la forme d’évaluation la plus ajustée. En témoigne Thomas[i], étudiant, qui en passant du Toeic au Linguaskill, plus adapté à son fonctionnement, a vu son score d’anglais passer de B1 à C1 !

Nous parlons ici des étudiants considérés comme en situation de handicap. Mais nombre d’étudiants ont des formats cognitifs particuliers, comme les élèves intellectuellement précoces ou les hauts potentiels. Certains d’entre eux ont pu être reconnu durant leurs études secondaires comme « élève à besoins spécifiques », par rapport à leur format d’intelligence[ii]. Un format qui ne rentre que difficilement dans les « moules académiques » classiques, mais qui ont besoin d’une attention particulière pour qu’ils puissent s’exprimer pleinement. Nos collègues enseignants-chercheurs utilisent de plus en plus ces capacités cognitives différentes en développant des formes de pédagogies innovantes.

Mais l’évaluation reste le « talon d’Achille » de l’accompagnement de ces étudiants. Sur recommandations de médecins désignés par les CDAPH des aménagements sont mis en place pour permettre une garantie d’équité. Mais du temps en plus, principal aménagement proposé, est-il vraiment la solution, alors qu’il peut être source d’épuisement en particulier pour des épreuves de longue durée ? Pour un étudiant ayant une intelligence davantage « visio-spatiale », ne faudrait-il pas tout simplement lui proposer de répondre aux questions par des schémas ? Pour un étudiant qui apprend tout en se mouvant dans l’espace, lui imposer de rester assis sur une chaise pendant deux heures pour restituer ses connaissances est-ce vraiment adapté ? Idem pour ceux qui apprennent leurs cours en chantant ou en les jouant.

Adapter chaque évaluation à chaque étudiant, serait donc la véritable solution d’équité face à l’évaluation et donc à la diplomation qui est le curseur de validation d’un niveau de compétences. Est-ce utopiste ? Peut-être, car cela nécessiterait des moyens conséquents – humain, matériels et financiers – d’accompagnement pédagogique.

Mais ces périodes de confinement nous ont invité à explorer de nouvelles formes d’évaluation, à distance. Celles-ci étaient souvent davantage portées sur la recherche et l’utilisation de compétences que sur l’acquisition de connaissances. Des adaptations d’évaluation qui ont pu montrer qu’il est possible de jauger autrement l’assimilation d’un cours, en sollicitant différemment leurs apprentissages et leurs intelligences.

Alors, parmi tous ces chamboulements apportés par le covid 19 sur nos campus, pour nos étudiants et les différentes équipes, ne pouvons-nous pas voir dans ces adaptations notre capacité à faire évoluer les évaluations pour répondre non plus à une situation, mais des situations différentes ?

 

[i] Témoignage de Thomas*, étudiant à UniLaSalle, campus de Rennes :

« En tant que dyslexique, l’apprentissage d’une nouvelle langue a toujours été une épreuve du fait que j’éprouve déjà des difficultés en lecture dans ma propre langue maternelle. Durant toute ma scolarité j’ai toujours performé en expression et compréhension oral, en classe et pendant les séjours à l’étrangers comme l’Erasmus, mais en revanche la partie compréhension et expression écrite m’a toujours posée problème. Vu que le système éducatif français évalue les compétences des élèves principalement sur la partie écrite, ma moyenne en anglais à toujours plafonnée à 10, souvent réhaussée par une note de participation oral en classe à faible coefficient.

Le TOEIC est l’examen que les écoles d’ingénieur font passer à leurs élèves par défaut pour la validation d’un niveau B2 malgré le fait qu’il ne soit pas forcément adapté à tous les profils d’élève. En effet, cette épreuve est très longue, donc cela demande un grand temps de concentration, et la partie de la compréhension orale ne laisse pas le temps a un élève dyslexique de lire la totalité des réponses possible durant l’écoute.

C’est pour ces raisons que l’on m’a conseillé de valider mon niveau B2 en anglais grâce à un autre examen, le Linguaskill (ex BULATS), développé par l’université de Cambridge. Ce test est dit adaptatif, c’est-à-dire que la difficulté des questions s’adapte en fonction de notre réponse précédente. Le test à une durée de 85 minutes maximum et la partie compréhension orale permet une double écoute à chaque question tout en pouvant déclencher cette écoute quand on le souhaite, après avoir lu la question et les réponses par exemple. Ce test beaucoup plus adapté à mon profil m’a permis d’évaluer mes compétences en anglais et non ma capacité de concentration sur le long terme ainsi que ma rapidité comme aurai pu le faire le TOEIC. Alors que ma note au TOEIC était de 555/995 (B1) en septembre 2019, j’ai réussi à obtenir la note maximale de 180+ (C1 or above) au Linguaskill un an après, sans avoir la sensation d’avoir beaucoup progressé en anglais. »

*prénom changé

[ii]  Howard Garner, distingue de huit formes d’intelligences : verbale, logico-mathématique ,musicale, corporelle, visuelle et spatiale,  naturaliste,  interpersonnelle, intrapersonnelle. Les forme de l’intelligence, Howard Garner, ed.Odile Jacob, 1997

 

Xavier Quernin  et Julien Soreau,
animateurs du GT handicap de la CGE

 

A propos de Julien Soreau

Educateur spécialisé de formation et investi sur le champ de l’éducation pour tous sur le territoire havrais depuis 2004, Julien SOREAU rejoint l’EM Normandie en 2014, au service de la vie associative. Il pilote depuis 2016 la politique Handicap de l’Ecole, et plus globalement l’accompagnement personnalisé des étudiants sur les 5 campus de l’EM Normandie, au sein du service Equilibre et Inclusion, dont il est responsable.

Julien SOREAU est également co-responsable du groupe « Handicap » de la conférence des Grandes Ecoles depuis 2018, et membre actif du Groupe d’Ouverture Sociale de la CGE depuis 2014. Il anime, au sein du réseau local havrais CHEERS, le groupe Egalité des Chances, créé en 2019, et qui a pour vocation de fédérer les initiatives en terme d’ouverture sociale et d’orientation, entre les établissements du secondaire et du supérieur.

Le service Equilibre et Inclusion de l’EM Normandie accompagne cette année 140 étudiants en situation de handicap et/ou à besoins spécifiques, dans tous les aspects de leur scolarité. Le service anime en interne le Réseau de Relais Handicap (une vingtaine de collaborateurs directement investi sur le champ du Handicap et de l’Inclusion, nommés dans les services-clé).

Le service pilote également l’ensemble des actions de prévention, la politique Egalité des Chances et d’Egalité Femme/Homme, et les dispositifs de soutien et d’écoute psychologique à destination des étudiants. Il a en gestion le Fonds Social Etudiant.

 

A propos de Xavier Quernin

Educateur spécialisé de formation, Xavier Quernin est en charge de la mission handicap de l’Institut polytechnique UniLaSalle depuis 2011. Ce service accompagne à ce jour 180 étudiants en situation de handicap. UniLaSalle est une école d’ingénieurs post-bac qui propose à ses 3500 étudiants 6 formations d’ingénieurs reconnues par la CTI : Agronomie et agro-industries, Alimentation et Santé, Sciences de la Terre et Environnement, Energie-Numérique, I-Safe, et Génie de l’Environnement. UniLaSalle est implanté sur quatre sites : Beauvais, Rennes, Rouen et Amiens.

Xavier Quernin est également co-animateur du groupe « Handicap » de la Conférence des grandes écoles, association qu’il représente au Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées en tant que membre titulaire de cette assemblée.

Enfin, il est en charge de la rédaction du rapport sur la mobilité internationale des étudiants en situation de handicap, dont la CGE et UniLaSalle ont été mandaté par le gouvernement.

 

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