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Violences sexistes et sexuelles : quel rôle des Grandes écoles pour combattre et prévenir

Des avancées incontestables Faire de la prévention, sensibiliser, former à la lutte contre les violences…
Publié le 2 décembre 2022
Violences sexistes et sexuelles : quel rôle des Grandes écoles pour combattre et prévenir
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Des avancées incontestables

Faire de la prévention, sensibiliser, former à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles est un enjeu prioritaire pour les établissements d’enseignement supérieur déjà activement engagés depuis plusieurs années dans la lutte contre les VSS. Le Plan National d’actions de lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS), lancé il y a un an, ainsi que le récent doublement du budget qui y est consacré[1] témoignent de cet engagement. Ainsi, dans la plupart des universités et des grandes écoles, des sessions de formations pour les étudiants et les personnels ont été lancées, des cellules de signalement se déploient, des campagnes de sensibilisation aux stéréotypes de genre et au consentement se multiplient. Les étudiantes et étudiants sont aussi de plus en conscients que les établissements d’enseignement supérieur ont un rôle déterminant à jouer dans la prévention, le traitement et les actions des VSS. Le nombre croissant de signalements confirme cette conscientisation, et ne doit pas effrayer les établissements, au contraire.

L’interface entre le disciplinaire et le judiciaire

Toutefois, certaines difficultés restent à régler. L’une des plus importantes réside dans l’articulation entre le traitement disciplinaire au sein de l’établissement et la procédure judiciaire de ces situations de VSS, notamment concernant la prise en charge de la victime et les mesures à prendre pour éloigner le(s) agresseur(s). En effet, en cas de signalement, l’établissement a obligation d’agir (même sans plainte au pénal) pour protéger la victime. L’école doit en effet veiller en priorité à cela et peut prendre immédiatement des mesures conservatoires à l’égard du ou des suspect(s), notamment l’éloignement, l’obligation de l’enseignement à distance ou encore la prononciation d’une exclusion temporaire (le temps de l’enquête et de la procédure disciplinaire).

L’école est le premier relai, toutefois elle ne se substitue pas à la justice, et se doit de travailler en partenariat avec les services juridiques et de police adaptés. Elle accompagne et oriente la victime vers ces services pour éventuellement déposer plainte. Quant aux agresseurs, même si la présomption d’innocence reste un principe pénal, elle demeure un principe moral pour les établissements et doit rester centrale dans le traitement des plaintes.

Pour la communauté étudiante non plus, cette question n’est pas toujours claire. A leurs yeux, le fait que l’école doive sanctionner les violences est aujourd’hui une évidence. Mais ils ou elles ne souhaitent pas toujours porter plainte (défiance à l’égard de la justice, processus long et douloureux, irréversible, parents non-informés…). L’établissement devient alors un relai majeur sans soutien judiciaire.

La question du périmètre de responsabilités

Une autre difficulté renvoie à l’imprécision du périmètre de responsabilités des établissements, notamment quand les VSS ont lieu à l’extérieur de ceux-ci, dans des soirées, majoritairement entre étudiants. Beaucoup de ces événements (« hors les murs ») ont un lien fort avec l’établissement. Les soirées organisées sous son égide ou par les associations de ses étudiants, ou simplement relayées en son sein engagent la responsabilité a minima morale de l’établissement. Cette responsabilité, ou tout du moins ce « droit de regard et d’intervention » peut même s’étendre à des soirées privées, des groupes de discussion. A cet égard, de nombreux établissements ont fait évoluer leur règlement intérieur, pour se donner les moyens réglementaires de sanctionner si besoin. A l’EM Normandie, « les débordements, dénigrements oraux, manque de respect, écrits ou véhiculés via Internet portant atteinte à l’image de l’école, ou incriminant le personnel ou les étudiants, peuvent justifier la saisine du Conseil de Discipline et être sanctionnés »[i]. Les VSS dans un cadre privé rentrent ainsi dans ce cadre élargi, et une enquête interne est désormais systématiquement enclenchée.

Poursuivre la dynamique

A l’avenir, en plus de mieux définir ces interfaces, les établissements d’enseignement supérieur ont d’autres défis à relever :

  • Intensifier le travail de prévention et d’éducation à la sexualité (sur le consentement, les rapports filles-garçons, les comportements de séduction, les propos sexistes). Continuer d’en parler reste une priorité, notamment dans un contexte propice aux débordements (premier éloignement du cercle familial, réseaux sociaux, vie festive et accès facilité, démultiplié et massif des jeunes adultes à des contenus pornographiques violents et toxiques.)
  • Répondre systématiquement aux signalements des étudiantes et des étudiants, sur la base de process de protection des victimes, d’enquête et de sanctions adaptées à l’encontre des mis en cause. Ces process doivent être clairement et régulièrement portés à la connaissance de la communauté étudiante.
  • Consolider la gestion de « l’après-VSS » :
    • Tant en termes d’accompagnement psychologique de la victime (quels que soient les résultats de l’enquête interne et de la procédure disciplinaire), la prise en compte du traumatisme et de ses implications. A l’EM Normandie, cet accompagnement est décorrélé de l’enquête et il est perpétuel y compris en cas de non-lieu.
    • Les sanctions sont impératives, mais ne règlent pas tout : elles doivent être clairement expliquées aux parties prenantes et à la communauté. A fortiori, dans les cas où la plainte interne est classée sans suite (faute d’éléments corroborés et de preuves suffisantes), ces explications sont encore plus nécessaires. Un non-lieu dans une procédure interne ne signifie pas toujours innocence, et les établissements doivent faire preuve de pédagogie et d’exemplarité pour toujours protéger sa communauté étudiante.
    • Dans le cas de violences sexistes, prévoir, en plus des sanctions disciplinaires « classiques », des dispositifs pour les agresseurs en partenariat avec des associations militantes, pour éviter la reproduction de certains comportements et dérives (éducation post- VSS). Ce genre de sanctions dites « éducatives » ne nous semblent pas adaptées dans le cas de violences à caractère sexuelles, ou, tout du moins, que cela dépasse très largement le périmètre d’actions de l’établissement. Dans ce cas, une sanction disciplinaire forte (l’exclusion) est la meilleure des réponses.

Les défis sont nombreux. Les écoles ne pourront pas aller plus loin que la justice : elles ne disposent pas des capacités d’enquête, des ressources médico-légales et judiciaires. Néanmoins, si la sanction pénale n’est pas de leur ressort, dans tous les cas leur rôle est d’assurer en priorité la protection des étudiantes et des étudiants : les établissements ont une obligation morale de résultats sur ce point, et doivent accompagner fortement le mouvement de libération de la parole.

[1] 1,7 à 3,5 millions d’euros annuels

[i] Extrait du règlement intérieur de l’EM Normandie

Sabrina Tanquerel, Alice Duval et Julien Soreau

A propos de Sabrina Tanquerel

Sabrina Tanquerel est Professeure associée en gestion des ressources humaines et développement personnel, elle a rejoint l’EM Normandie en 2011. Ses recherches portent sur les politiques d’équilibre entre le travail et la vie privée, les comparaisons transnationales sur l’interaction entre les sphères professionnelle et non professionnelle, l’égalité femmes-hommes et le bien-être au travail. Avant de rejoindre l’EM Normandie, elle a travaillé pendant huit ans à l’étranger dans différentes multinationales.

A propos de Julien Soreau

Julien SOREAU est à l’EM Normandie depuis 2014. Ancien travailleur social sur le territoire havrais, il poursuit son engagement en faveur de l’éducation pour tous et pour une société réellement inclusive, en rejoignant le service Vie Etudiante de l’Ecole, avec notamment dans son scope la coordination des dispositifs de Cordées de la Réussite. Il à l’origine de la création d’un service Diversité et Egalité des Chances dédié en 2018, qu’il dirige depuis. En 2020, il prend la responsabilité du département Vie Etudiante à l’échelle du groupe EM Normandie. Engagé dans la communauté de l’enseignement supérieur sur ces thématiques sociétales, il co-anime notamment depuis 2017 le groupe Handicap de la CGE, et est un membre actif de la commission Diversité de la CGE.

Julien SOREAU dirige la cellule STOP Harcèlement de l’EM Normandie, dispositif d’alerte et de prévention interne, qu’il a co-créé avec Alice DUVAL.

A propos d’Alice Duval

Alice DUVAL a rejoint l’EM Normandie en 2014 et est depuis 2020 chargée de missions au service Équilibre et Inclusion, service en charge des thématiques de diversité, d’inclusion, d’ouverture sociale et d’égalité femmes-hommes. Alice DUVAL a cocréé le dispositif « STOP Harcèlement » de l’EM Normandie, dispositif de lutte contre le harcèlement, les discriminations et les VSS au sein de la communauté étudiante de l’école. Alice DUVAL est également porteuse, au nom de l’EM Normandie, du projet inter-établissements InÉDi, projet qui propose des ateliers de sensibilisation à l’Inclusion, à l’Égalité et à la Diversité auprès de 3 500 étudiants caennais. Elle participe enfin activement, aux côtés de Sabrina TANQUEREL, au GT Égalité Femmes/Hommes de la Conférence des Grandes Écoles.

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