Quel est le rôle joué par la recherche dans une école de management en 2020 ? Les réponses des professeurs sont claires et nettes et … sans nouveauté : la recherche reste l’élément décisif pour recruter, évaluer et rémunérer des professeurs.
Pourtant, bien qu’elle soit essentielle pour la compétitivité des écoles et la progression des carrières des professeurs, la pertinence même de la recherche pour les managers interroge. Cela non plus n’est pas nouveau : il y a dix ans, une série d’études a souligné que la recherche n’était pas pertinente pour les managers, que beaucoup de chercheurs ne connaissaient pas les besoins des managers, ou encore que les journaux académiques publiaient souvent des articles peu efficaces pour les managers. On peut dire que très peu de choses ont changé depuis la publication de ces études. La recherche continue d’être menée comme d’habitude. L’écart entre les chercheurs et les praticiens n’a pas diminué. La recherche en gestion n’a pas gagné en pertinence pour le monde économique et commercial.
Une des explications est qu’il y a eu très peu de changement dans la structure et les démarches des écoles de management. Récemment, les critiques ont décrit les écoles de management comme des écosystèmes qui renforcent la stabilité et récompensent la continuité.
Aujourd’hui dans le marché des écoles de management, elles considèrent souvent la production de la recherche comme leur principal avantage concurrentiel non financier. Ainsi les publications dans des journaux à « impact élevé » ont une influence directe sur la façon dont les écoles de management recrutent et rémunèrent les professeurs. De part cette importance donnée aux citations, les revues axées sur la théorie sont souvent en tête de liste des classements. En tant que chercheurs désireux de publier dans des revues prestigieuses, nous sommes obligés de nous concentrer sur les contributions théoriques de nos travaux plutôt que sur les implications pratiques. Cette dynamique renforce le statu quo du classement des revues et continue de décourager la recherche orientée vers les praticiens.
Quand bien même les chercheurs s’intéressent aux problématiques rencontrées par les managers, le temps pris pour mener la recherche peut rendre ses résultats obsolètes quand ils sont enfin rendus publics. Dans un milieu qui évolue toujours plus rapidement, les managers et les décideurs ne veulent pas ou ne peuvent pas attendre des années pour des solutions à leurs problématiques. Les recherches publiées rapidement utilisent souvent un jargon académique qui rend leurs conclusions incompréhensibles.
Afin que les chercheurs publient régulièrement dans les revues prestigieuses, les écoles de management allègent leur charge de travail. Ce processus crée des voies parallèles dans les écoles, certains professeurs suivant une voie en recherche, d’autres en enseignement. En utilisant des fonds de recherche ou des bourses d’études pour réduire nos heures d’enseignement, nous nous déconnectons et creusons l’écart encore plus avec nos étudiants et des praticiens pour lesquels nous écrivons.
Pour combler ce fossé entre les chercheurs et les praticiens, un changement de paradigme est nécessaire. Les écoles pourraient par exemple repenser leur façon d’évaluer les professeurs en allant plus loin que leurs nombres de publications et citations. Ce faisant, les écoles de management créeraient un contexte permettant aux chercheurs d’échanger avec les managers et de mieux cerner les problèmes auxquels ils font face. Les écoles de management pourraient encourager la participation des chercheurs dans les chaires, les centres de recherche ou encore d’autres cadres institutionnels, qui encouragent les collaborations entre chercheurs et praticiens et développent des connaissances pratiques qui répondent aux défis des managers. Les doyens et directeurs d’établissement jouent un rôle essentiel dans un tel processus de changement.
Quelques écoles de management ont déjà pris des mesures pour encourager les chercheurs à produire une recherche efficace, rapide et orientée vers les besoins des praticiens, et donc regagner leur confiance.
Les organismes d’accréditation et les associations professionnelles disciplinaires jouent également un rôle important dans le changement du statu quo. Leurs rôles et responsabilités doivent être évalués de façon aussi critique que ceux des rédacteurs de revues et des organismes de classement, pour encourager les chercheurs à écrire pour les entreprises plutôt que sur les entreprises.
Les managers eux-mêmes ont un rôle important dans le succès de ce changement. Les managers pourraient s’engager de façon plus proactive dans les collaborations avec les chercheurs. Ils pourraient faciliter un accès plus facile à leurs entreprises pour donner aux chercheurs la possibilité d’étudier les problèmes managériaux dans un milieu professionnel. Ils pourraient aussi prendre en compte le fait que les solutions exigent parfois une réflexion stratégique et une prise de décision à plus long terme plutôt qu’une solution rapide.
Combler le fossé entre chercheurs et managers n’est pas une démarche unilatérale. Il faut un effort collaboratif de toutes les parties prenantes pour changer la place actuelle de la recherche dans les écoles de management et réaliser une recherche en management efficace.
Pour en savoir plus sur la recherche menée à l’ESSEC, veuillez consulter le portail ESSEC Knowledge.
Stefan Gröschl,
professeur à l’ESSEC
A propos de Stefan Gröschl
Stefan Gröschl est professeur à plein temps à l’ESSEC. Stefan est largement connu pour son expertise en matière de gouvernance responsable et de gestion de la diversité, et les aspects liés à la gestion internationale des ressources humaines. Il a partagé cette expertise avec les académiques comme avec la société civile dans de nombreux livres, chapitres de livres, et articles. Grâce à ses recherches et cours, Stefan a reçu de nombreuses missions d’institutions académiques à travers le monde. Il est membre du comité éditorial et éditorialiste pour de nombreuses revues académiques internationales de management. Stefan a travaillé avec des organisations gouvernementales et des entreprises privées, et il a développé et mené des programmes d’entraînement pour des entreprises en France et à l’international.
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