Président de la commission depuis juillet 2006, docteur d’État ès sciences physiques (1971), il a fait l’essentiel de sa carrière universitaire à Nantes. Il est notamment professeur puis directeur de l’IRESTE (1995-1999), l’école d’ingénieurs de l’université de Nantes et sera porteur du projet Polytech’Nantes, première école polytechnique universitaire française. Créateur, puis coordonnateur du réseau Polytech, il sera vice-président de la CDEFI (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs), administrateur puis directeur de l’École polytechnique de l’Université de Nantes. Auteur de près d’une centaine de publications dans les revues internationales, Bernard Remaud est chevalier de l’Ordre du Mérite (1996), médaillé d’Argent du CNRS (1990), officier dans l’Ordre des Palmes académiques (1989).
CGE : Quels sont selon vous les principaux enjeux des procédures de mesure de la qualité des écoles et des formations ?
B.R. : Les enjeux sont nombreux, l’assurance qualité est un sujet primordial dans les discussions au sein de l’Union européenne. Les différents vocables nécessitent d’ailleurs un éclaircissement car ils sont parfois sources de confusions :
- dans les écoles il y a d’abord les outils de mesure internes et l’auto-évaluation.
- du point de vue externe, il existe plusieurs processus :
- L’évaluation : ce sont des experts qui publient un rapport mais sans mandat ou jugement de conformité. S’en saisissent ensuite les établissements ou les ministères de tutelle, s’ils le jugent utile.
- L’accréditation : c’est un jugement de conformité par rapport à un référentiel, donc un jugement avec une décision. En termes de structure au niveau européen il y a ENQA (European Association for Quality Assurance in Higher Education) qui regroupe les agences qui font de l’évaluation et les agences qui font de l’accréditation. Dans beaucoup de pays ce sont d’ailleurs les mêmes structures. Au sein de ENQA, nous avons créé un sous-groupe ECA (European Consortium for Accreditation in higher education), spécifique aux agences qui font de l’accréditation.
- Habilitation : c’est ce que fait le ministère quand il traduit nos avis d’accréditation ou nos « décisions » pour les écoles privées en actes juridiques règlementaires.
La CTI a débuté ses activités en 1934. La qualité de ses statuts lui a permis de se fondre dans le moule des exigences européennes de manière très naturelle. Il y eu des réglages à faire, notamment à partir de l’an 2000 pour nous adapter aux nouvelles normes internationales, mais désormais la CTI est reconnue membre actif à partir entière de ENQA, mais aussi inscrite à EQAR (European Quality Assurance Register). Créé par les ministres de l’espace européen, EQAR recense les agences satisfaisant les standards les plus exigeants (un peu plus de 20 actuellement).
Les enjeux de la qualité
La démarche qualité d’une école doit inclure 2 aspects : le référencement externe (par la CTI et autres agences) et l’outil interne d’amélioration continue. La façon dont les écoles s’approprient ces démarches pour leur management interne est primordiale, notamment par la création et l’exploitation de systèmes d’information et de tableaux de bord. Je suis d’ailleurs surpris que depuis 15 ans, avec les systèmes d’accréditation cycliques mis en place à la CTI nécessitant des fiches synthétiques qui n’ont pas beaucoup bougé, il y ait des écoles qui dépensent une énergie folle, quelques mois, ou pour certaines quelques semaines, avant le dépôt de dossier, pour reconstituer plusieurs années d’historique et de données statistiques. D’où l’intérêt, et certaines écoles l’ont fait, de constituer un tableau de bord interne de pilotage et de management, c’est l’élément essentiel pour que l’accréditation périodique soit d’abord l’occasion d’une véritable réflexion stratégique de l’école, basée sur la mise en perspective de ces données. Il est aussi regrettable qu’il n’y ait pas une meilleure homogénéité des méthodes et des approches de ces processus dans les écoles. Il y a une évidente économie d’échelle et de partage d’outils de management à mettre en œuvre pour créer des systèmes d’information interne des écoles et automatiser les mises à jour des tableaux de bords au moment souhaité, sans mobiliser toutes les énergies dans l’urgence. Le résultat aujourd’hui, c’est que l’on ignore combien d’ingénieurs sont diplômés en France, et que des données fausses circulent ici ou là, par exemple sur le développement de l’apprentissage pour les ingénieurs. Que ce soit les données des ministères pour les cotisations des écoles par exemple ou d’autres sources, il n’est pas rare que les décalages ou les erreurs de données soit importantes.
Les enjeux internationaux
Au niveau européen, le débat s’articule autour du ranking, du benchmarking et de l’accréditation, avec un dossier politique très intéressant : la Commission européenne pousse beaucoup vers les classements (en réaction au classement de Shanghaï), alors qu’au sein de l’espace européen (impliquant environ 45 pays), les agences revendiquent plutôt l’évaluation, l’accréditation et ne souhaitent pas s’impliquer dans le ranking, estimant que c’est un autre métier. L’Union européenne a lancé un projet de méthodologie de classement des institutions et des programmes par grands domaines, porté par le CHE (Centre allemand pour le développement de l’enseignement supérieur). Un des premiers domaines testés sera celui des formations d’ingénieurs. Le problème du ranking est la collecte des informations, qui interpelle aussi les agences d’évaluation. En ce sens, à la CTI comme dans les autres agences, nous devons impulser la publication de données sincères et claires sur les offres de formation, en distinguant bien celles qui sont publiables des autres. En lien avec la CEFDG pour les écoles de gestion, nous sommes en train de créer une fiche de descripteurs en ce sens, intégrée à la procédure d’accréditation. La direction des écoles s’engagera sur la sincérité des données, qui seront publiques, donc exploitables par tous, y compris par ceux qui font du ranking.
Les enjeux pédagogiques
La CTI n’a pas un modèle unique d’école, nous cherchons à faire comprendre que c’est à l’école de définir son projet, et notre accréditation -notamment sa durée- repose sur l’adéquation du projet aux standards certes, mais surtout sur l’adéquation des objectifs et des moyens que l’école met en oeuvre. Un « petit » (au sens de la notoriété) établissement ayant un projet clair et cohérent peut ainsi bénéficier d’une période d’accréditation supérieure à un établissement de forte envergure, qui s’appuiera trop sur ses acquis, avec un manque de réactivité ou une absence de réflexion anticipatrice sur l’évolution des attentes du marché.
CGE : Dans la définition des objectifs d’excellence et d’acquisition de compétences scientifiques, technologiques et professionnelles des établissements délivrant le titre d’ingénieur, quelles sont les valeurs ajoutées et distinctives de la CTI pour tendre vers un processus d’accréditation optimisé ?
B.R. : A la CTI, dans sa démarche d’accréditation des formations, nous sommes au point sur le jugement du management, l’organisation et le suivi du diplômé. En revanche, nous devons faire des efforts sur certains aspects de l’évaluation de la formation. Non pas nous concentrer sur les volumes horaires, mais mieux analyser la façon dont l’école organise et évalue l’acquisition par l’élève des compétences nécessaires pour sa vie professionnelle d’ingénieur.
Le modèle de la CTI, qui fonctionne et a ses vertus, atteint peut-être ses limites aujourd’hui : dans ce modèle, tous les membres de la CTI participent aux missions. Il n’y a pas de « board » ici qui ne va pas sur le terrain et qui valide le travail d’un groupe de rapporteurs ; une approche que nous considérons moins pertinente, notamment parce qu’il est difficile d’atteindre une cohérence entre les différentes équipes et dans l’étude des différents dossiers.
Notre mission est naturellement sur le terrain avec un groupe à minima de trois personnes de la CTI et une équipe renforcée par des experts extérieurs. Mais nous sommes tous des bénévoles et la disponibilité de chacun n’est pas égale, aussi atteignons-nous la limite de notre disponibilité pour pouvoir traiter les dossiers dans des délais raisonnables, que ce soit pour les écoles ou pour les établissements étrangers. De nombreuses réflexions sont en cours pour faire évoluer encore la CTI.
CGE : Que pensez-vous de la dimension professionnalisante des Mastères Spécialisés accrédités par la CGE et des passerelles de plus en plus recherchées pour des qualifications d’ingénieur-manager ?
B.R. : Nous avons une très bonne estimation de ces formations qui sont clairement des formations bac+6 et répondent à un besoin du marché. Nous avons entamé une réflexion sur les diplômes de spécialisation que nous accréditons. Nous avons constaté que certaines écoles transformaient leur 3ème année en année de spécialisation pour des motifs qui ne nous paraissaient pas pertinents. Pour la CTI toutes les formations à bac +6, même dispensées par des écoles prestigieuses, doivent avoir une réelle valeur ajoutée.
A la CTI, nous sommes convaincus que la double compétence en cinq ans est impossible ou trop fragile, sauf à de rares exceptions. Double compétence signifie rallongement des études. Je pense notamment à la formation d’ingénieur-manager, qui me paraît plus cohérente à 30/35 ans, une fois que l’on a déjà fait son chemin et acquis une expérience en entreprise.
CGE : La CGE, par la voix de son président Pierre Tapie, tire le signal d’alarme sur les conséquences possibles d’une réforme de la taxe d’apprentissage (article paru dans les échos du 17 février 2011, copie ci-jointe), notamment pour le financement des établissements. Quel est votre point de vue sur l’apprentissage ?
B.R. : Je ne connais pas le détail de la réforme, les écoles sont plus pointues que nous sur la question de la collecte des fonds. Mais ce qui est notable c’est l’engagement réel des écoles d’ingénieurs dans cette voie, avec plus de 170 diplômes accessibles par l’apprentissage à ce jour. Ce sont 3 000 diplômés aujourd’hui et 4 000 à 5 000 dans trois ans. Je pense que la pratique et la pédagogie de l’apprentissage ne sont pas les mêmes pour les écoles d’ingénieur et les écoles de commerce ; au-delà des compétences comportementales communes à tous, il y a l’acquisition d’un socle scientifique et technique beaucoup plus contraignant pour les ingénieurs.
CGE : Dans la progression de la stratégie de développement de la CTI pour 2011-2012, quelle est la place de l’accréditation des formations proposées à l’étranger par des établissements français et des passerelles avec des établissements étrangers ?
B.R. : Nous travaillons, avec la CGE et avec d’autres, sur notre référentiel par rapport à l’internationalisation. Nous souhaitons que les écoles soient beaucoup plus claires sur leurs objectifs en la matière, sur les moyens envisagés. Nous ne pouvons accepter de voir des établissements se lancer dans l’internationalisation juste par effet de mode. En ce sens, nous avons lancé avec nos partenaires européens des groupes de travail pour essayer d’affiner une grille d’analyse des critères qui définissent une ouverture internationale ou une implantation à l’étranger, pour déterminer un référentiel commun qui, peut-être demain, déboucherait sur un label.
Concernant nos interventions à l’étranger, nous avons toujours deux marchés : les écoles françaises qui s’implantent à l’étranger (Chine, Inde, Maroc…) et les établissements étrangers qui cherchent un label international, comme par exemple, toutes les formations belges francophones qui veulent être accréditées CTI, ainsi qu’une partie des formations flamandes.
Le marché européen est immense, avec une floraison d’offres, de diplômes et de formations. Donc, chacun recherche des marques pour renforcer son image. La marque CTI existe, est porteuse de grandes valeurs dans l’enseignement supérieur et est surtout recherchée parce la CTI est une des rares agences européennes qui soit spécialisée dans l’ingénierie, qui est accréditée par les instances internationales et reconnue par tous.
Quant à l’accueil des étudiants étrangers, nous souhaitons affiner les analyses. Trop d’attention est portée sur le quantitatif et les effets sont susceptibles d’être parfois contre-productifs et déséquilibrés. Comment sont accueillis les étudiants ? Quels sont les risques d’isolement communautariste ? Que font les écoles pour les ouvrir à la culture française ? Quel est l’apport des étudiants étrangers à la culture internationale de l’école ? Ce sont de vrais enjeux.
Nous sommes également très sollicités au niveau international pour le transfert de compétences et de savoir-faire dans l’accréditation d’écoles d’ingénieurs. Nombre de pays cherchent à développer leur processus qualité en venant chercher l’expérience des agences comme la nôtre.
Propos recueillis par Pierre Duval
Chargé de mission Communication
Mieux connaître la CTI
La CTI est un organisme indépendant, chargé par la loi française depuis 1934 d’évaluer toutes les formations d’ingénieur, de développer la qualité des formations, de promouvoir le titre et le métier d’ingénieur en France et à l’étranger.
La CTI peut, selon la loi, mener toute investigation dans un établissement de formation d’ingénieur, conformément à la nature de ses missions. Ainsi, de par ses missions et compte tenu de sa composition, de son expérience et de ses visites régulières dans les écoles, la CTI s’assure de la qualité des formations d’ingénieur et de leur adaptation permanente au contexte européen et international, académique et professionnel, et en apporte la garantie. Elle n’a pas pour objet la certification individuelle que constitue l’attribution des diplômes d’ingénieur. Elle ne classe pas les écoles. La CTI est ainsi de droit et de fait la cheville ouvrière de l’accréditation et donc de l’habilitation des formations d’ingénieurs.
Les missions de la CTI comprennent :
- L’évaluation et l’accréditation de toutes les écoles d’ingénieurs françaises qui souhaitent être habilitées à délivrer un titre d’Ingénieur diplômé. Sur avis de la CTI, l’habilitation des écoles publiques est donnée par le ou les ministres concernés. L’habilitation des écoles privées est donnée par le ou les ministres concernés sur décision de la CTI.
- A leur demande, l’évaluation et l’accréditation des établissements étrangers délivrant des diplômes et des titres étrangers d’ingénieur. L’avis résultant de l’accréditation peut notamment donner lieu, à la demande des gouvernements concernés, à l’« admission par l’État » de ces diplômes et titres. Celle-ci est formulée par le ministre chargé de l’enseignement supérieur.
- La formulation d’avis sur toutes questions concernant les titres d’ingénieur diplômé. La CTI élabore en particulier les critères et les procédures nécessaires à l’accomplissement de ses missions et notamment à la délivrance du titre d’ingénieur. Elle contribue à l’amélioration continue des formations d’ingénieurs et à leur intégration dans l’espace européen et international.
Mieux connaître le label EUR-ACE
La CTI est membre fondateur de EUR-ACE (Accréditation des formations d’ingénieurs en Europe). La CTI a obtenu en 2007 le label EUR ACE des agences d’accréditation ; elle est donc elle-même accréditée pour délivrer le label aux formations qu’elle habilite. Cette accréditation lui a été renouvelée en 2008 pour 5 ans.
Les promoteurs du programme EUR-ACE ont décidé de décliner le label EUR-ACE aux formations d’ingénieurs satisfaisant des critères de qualité reconnus en Europe (programme ENAEE). Ce label sera délivré aux formations par les agences accréditées EUR-ACE. Sont éligibles pour le label EUR-ACE, les formations d’ingénieurs habilitées pour la durée maximale lors des campagnes d’habilitation périodiques.