On parle beaucoup du Green IT, on l’applique peu, on en connait rarement tous les tenants et aboutissants. Nicolas Gutowski de l’école d’ingénieur ESAIP et Olivier Philippot de la société Kaliterre via leur participation à de nombreux réseaux Green IT (Green Lab Center, Green Code Lab et Alliance Green IT) reviennent sur les réels enjeux du green IT pour les entreprises et les ingénieurs. Regards croisés entre le monde de l’entreprise et le monde de l’enseignement et de la recherche.
L’usage des technologiques est croissant mais quel est vraiment l’impact sur l’environnement ?
Nicolas Gutowski : Les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont responsables de 2 % des émissions mondiales de CO2 (rapport Gartner). Constat d’autant plus inquiétant que les pratiques actuelles comme l’usage de plus en plus prépondérant d’Internet augmente ce chiffre. Est-ce un mal nécessaire pour résoudre d’autres maux de notre société et continuer notre progression technique ?
Olivier Philippot : La « digitalisation» de l’économie (dématérialisation, virtualisation ou tout simplement cloud) est par exemple actuellement présentée comme une avancée pour l’environnement par de nombreux acteurs. Si l’on regarde de plus près, les gains environnementaux ne sont pas si clairs que cela. Le matériel étant la cause principale de la consommation électrique et de nombreuses sources de pollutions, s’en affranchir peut paraître séduisant. C’est ce que la dématérialisation ou le cloud promettent. Mais, en appliquant à la technologie la loi de Lavoisier, énonçant « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », on peut dire : « La matérialité ne disparaît pas, elle se transforme simplement ».
D’autant plus que l’effet rebond (paradoxe de Jevons) renforce cet impact. Son principe est simple : il s’agit de « l’augmentation de consommation liée à la réduction des limites à l’utilisation d’une technologie ». Si l’on simplifie l’accès à une technologie alors on augmente mécaniquement son taux d’utilisation et donc son impact environnemental. Cet effet s’est ressenti ces dernières années avec l’accès à une source infinie de données avec Internet : le nombre d’impressions n’a jamais été si important.
Face à cette situation, il était nécessaire de réfléchir à l’aspect économique mais aussi environnemental des TIC. Le Green IT traite cela par deux démarches interdépendantes. La démarche Green for IT a pour but de rendre le système informatique moins polluant tant dans le matériel que dans les pratiques. La démarche IT for Green (ou Green IT 2.0) a pour but d’utiliser les TIC pour diminuer les gaz à effet de serre.
Quels sont les enjeux pour les entreprises et collectivités ?
Olivier Philippot : L’intégration des bonnes pratiques dans les organismes est donc un axe qu’il ne faut pas négliger.
Tout d’abord d’un point de vue économique : non seulement l’optimisation qu’apporte le Green IT va permettre de réduire les besoins énergétiques mais aussi les coûts de possession (TCO) des entreprises. En effet, le Green IT préconise de prolonger la durée de vie des TIC, car les impacts se concentrent principalement lors de la phase de fabrication. Ceci réduit automatiquement les investissements.
Ensuite, du point de vue environnemental, le Green IT est un passage obligatoire. Que ce soit via la législation (obligation de reporting de responsabilité sociétale des entreprises, bilan carbone, taxe carbone…) ou via une politique de développement durable volontaire, les TIC sont des leviers d’amélioration importants.
Les enjeux sont d’autant plus importants pour les organismes qu’ils engagent de nombreuses parties prenantes. Les principaux interlocuteurs sont les informaticiens et les managers qui gèrent le parc informatique et applicatif. Leur rôle va être de déployer les solutions de gestion de l’alimentation des PC, de consolider les serveurs, de suivre l’efficience énergétique des centres de données… Sur le sujet Green IT, ils seront en interaction avec de nombreux autres acteurs. Les acheteurs vont, par exemple, être un point d’entrée pour l’intégration de plus de responsabilités : mise en place de critère RSE (responsabilité sociétale des entreprises) dans les achats, évaluation et suivi des fournisseurs…
L’organisation doit aussi prendre en compte le Green IT, car elle sera elle-même évaluée en terme de développement durable par des parties prenantes extérieures : client en recherche de fournisseurs responsables, collectivités souhaitant travailler avec des acteurs locaux engagés… Ce constat sera d’autant plus fort quand l’entreprise développera des innovations technologiques et devra intégrer le Green IT dans sa recherche et développement.
Le Green IT, en même temps qu’un vecteur de réduction de l’impact environnemental et économique, est donc un avantage concurrentiel pour nos entreprises : un investissement pour le futur.
Quels sont les enjeux pour les ingénieurs ?
Nicolas Gutowski : Afin d’atteindre les objectifs « Europe 2020 », dont le déploiement du Green IT, et de répondre au challenge du siècle qui s’est ouvert à nous avec la domination de l’ère de l’information (Big data), un enjeu de taille s’ouvre pour les écoles d’ingénieurs en informatique afin d’accompagner les entreprises dans la progression et le développement des nouvelles problématiques liées au Green IT.
Capable à la fois de mobiliser des compétences techniques de haut niveau, des connaissances et un savoir-faire ingénieur ainsi que des compétences transversales comme le management, la capacité à s’exprimer dans plusieurs langues, l’ingénieur que nous formons aujourd’hui serait-il donc devenu « has-been » ?
D’aucuns souriaient hier encore lorsque nous osions arborer fièrement notre drapeau de formation ESAIP Ingénieur en informatique durable . Pourtant aujourd’hui la Commission européenne considère le Green IT comme un des moteurs de la croissance des prochaines années.
De telles considérations nous amènent à comprendre clairement que notre avenir devra compter sur des ingénieurs « nouvelle génération » devant impérativement intégrer les notions de durabilité et d’éco-responsabilité durant leur cursus.
Les compétences de l’ingénieur en développement informatique ou en réseaux ne seront plus suffisantes. Ces ingénieurs devront être capables de savoir programmer et de déployer les systèmes d’information de demain en garantissant certes leur conformité aux attentes techniques, fonctionnelles et de métiers formulées mais tout en prenant en compte l’impact environnemental, économique et social de ceux-ci.
Ainsi, un nouveau parc informatique ne pourra être déployé au profit d’un ancien jugé trop obsolète sans avoir fait l’objet d’une étude en faveur de la prolongation de sa durée de vie, de son possible reconditionnement ou bien entendu de son recyclage. Les nouvelles machines mises à disposition devront être sélectionnées selon des critères reconnus par de vrais éco-labels ou des normes, évaluant l’efficacité énergétique (ex : EnergyStar), la durabilité (ex : EPEAT), ou encore l’extraction de matières premières respectant les normes éthiques et environnementales (ex : ISO 26000, ISO 14001).
En vue d’éviter la prolifération de ce que nous appelons les « obésiciels » (ou bloatware), le développement d’un nouveau logiciel également, devra être étudié et développé selon différents critères d’éco-conception à travers l’ACV (Analyse de cycle de vie). Allant de la fabrication (ex : nombre de fonctionnalités réellement nécessaires), en passant par son utilisation (ex : consommation énergétique x nombre d’utilisateurs) jusqu’à la gestion de sa fin de vie (ex : désinstallation), l’ensemble du cycle de vie du logiciel devra être mesuré, analysé et optimisé.
Depuis septembre 2011, l’école d‘ingénieur ESAIP (Angers), a commencé à relever le défi de former les ingénieurs informatique de demain. Forte de son équipe pédagogique dans les domaines pointus tels que le développement Java EE, Oracle, SQL Server, la certification Cisco, la certification Ethical Hacker, et aujourd’hui de ces intervenants-partenaires, experts français et européens du Green IT, elle a su construire et mettre en œuvre un nouveau syllabus innovant permettant de répondre « en partie » à la problématique du Green IT. « En partie » ? Car le reste c’est à nos futurs ingénieurs de le faire. »