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Écoles et transformation numérique : et si on se posait les bonnes questions ?

Quiconque analyse avec quelque recul l’évolution du marché de l’éducation se retrouve vite dans la…
Publié le 7 janvier 2020
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Quiconque analyse avec quelque recul l’évolution du marché de l’éducation se retrouve vite dans la situation d’Aldo, le héros du Rivage des Syrtes, le grand roman de Julien Gracq : à attendre une guerre, un bouleversement, une invasion maintes fois annoncées – mais qui finalement n’arrive jamais. Combien de fois déjà a-t-on annoncé la “disruption” de l’éducation par le numérique ? Las, rien de tout cela ne s’est passé : ces MOOCs sensés révolutionner notre manière d’apprendre sont un échec sans appel, ceux qui se sont lancés à la recherche d’un business model efficace et rentable n’ont toujours pas trouvé l’eldorado, et in fine le constat généralisé d’un déficit croissant de compétences reste là, têtu, tangible et inchangé.

Surtout, cette idée que le numérique va créer de nouveaux modèles d’éducation totalement nouveaux et “disruptés” occulte les véritables transformations à l’œuvre dans le secteur, bien plus profondes et importantes qu’il n’y paraît au premier abord : plutôt que bouleversée par le numérique, l’éducation est traversée de part en part par le développement des nouveaux usages en ligne. La vraie révolution, c’est celle qui décloisonne le marché et efface les frontières, celle qui promeut la formation tout au long de la vie, le micro-learning ; celle aussi qui se joue des lourdeurs traditionnelles à la découverte d’un continent nouveau et finalement peu exploré encore, l’expérience de l’étudiant.

Plus profondément, s’il y a une vraie disruption à l’œuvre, elle réside en réalité dans la métamorphose progressive de la chaîne de valeur de l’éducation – qui se voit à la fois élargie (de l’orientation jusqu’à l’employabilité), et fragmentée – l’intégration verticale maîtrisée par le corps professoral est en passe de disparaître. Ce double mouvement d’élargissement et de fragmentation rend les transformations à l’œuvre difficilement lisibles, et surtout irréductibles à ce qui serait un paradigme simple et facile à dupliquer : en l’absence d’un modèle simple, l’évaluation stratégique des risques et opportunités est particulièrement délicate.

Comme toujours, le numérique est à la fois un risque et une chance pour l’éducation : plutôt que d’attendre un bouleversement qui n’arrivera pas, il est indispensable pour les écoles et autres acteurs de l’éducation de bien comprendre les mouvements qui travaillent le secteur pour mener à bien leur transformation numérique. De manière très concrète, cette dernière doit tout d’abord s’articuler autour de l’expérience étudiant : quelle que soit le statut de l’apprenant (FI/FC, diplômant ou non, présentiel, blended, 100% en ligne), il faut désormais penser son parcours d’un bout à l’autre de la chaîne de valeur, pédagogique comme hors pédagogie, en numérisant tout ce qui va dans le sens de la simplicité et de la fluidité –  de manière aussi à rattraper le retard accumulé par rapport aux standards des autres marchés numérisés. L’éducation doit faire sa mue pour offrir une expérience ergonomique et aisée depuis l’orientation jusqu’aux procédures d’admission et de validation des savoirs, doublée d’un suivi efficace et personnalisé qui va jusqu’à la gestion des associations étudiantes et d’alumni ; chaque étudiant doit pouvoir consolider les acquis dans un portefeuille de compétences individuel, qui lui indique clairement la voie à suivre, les modalités d’évaluation et le résultat final.

En sus, l’enjeu pour les écoles est de repenser la pédagogie à l’aune des possibilités ouvertes par le numérique, en particulier en matière de canaux de diffusion. Là encore, l’analyse de la chaîne de valeur constitue une grille de lecture pertinente : les outils et métiers intervenant à un moment ou à un autre sont multiples et fragmentés, entre plateformes, LMS, OPM, créateurs de contenus, outils de création de contenu, évaluateurs en ligne etc. Le champ des possibles comme les combinaisons pertinentes sont multiples et protéiformes, et aiguillonnées par un progrès numérique permanent ; si l’expérience étudiant doit être la boussole qui oriente chaque décision en la matière, prendre les bonnes décisions sur quels canaux privilégier reste une question délicate, dont les conséquences en matière de maîtrise de la chaîne de valeur, de différenciation par rapport à la concurrence et de création de valeur aux yeux des parties prenantes sont considérables.

En somme, plutôt qu’une disruption la transformation numérique des écoles consiste en un mouvement stratégique, qui ré-articule chaque élément de la chaîne de valeur autour de nouveaux impératifs : diversification des revenus, rayonnement international, offre en direction des entreprises. Cette transformation impose et ordonne une visée globale et pensée à la fois pour l’intégralité de la chaîne de valeur comme pour chaque élément précis qui constitue cette dernière – en deux dimensions donc, à la fois à l’horizontale et pour chaque verticale – en associant systématiquement toutes les parties prenantes, au premier rang desquelles le corps professoral sous toutes ses formes. Plutôt que de vouloir à toute force révolutionner l’éducation, commençons par accompagner les écoles dans leur transformation numérique.

 

Charlotte Fillol,
experte du Comité Habilitation Numérique de la CGE

 

 

A propos de Charlotte Fillol

Après un parcours académique et de management dans l’enseignement supérieur pendant 10 ans – enseignant-chercheur à Paris-Dauphine et visiting scholar à Stanford, directrice des Affaires Internationales et d’EQUIS de l’Université Paris-Dauphine, Charlotte Fillol a dirigé pendant 2 ans la stratégie éducative d’OpenClassrooms, première Edtech européenne. Membre du Comex, elle a recruté l’équipe Education (35 personnes), les enseignants (50 professeurs et 500 mentors), et mis en oeuvre la stratégie d’offre et de production, pédagogique, d’accréditations (France et US/UK) et de partenariats académiques de l’Edtech.

Elle est aujourd’hui consultante indépendante auprès d’établissements d’enseignement supérieur, d’organismes de formation et de fonds d’investissement pour les aider à appréhender l’écosystème Edtech, définir leur stratégie de transformation digitale et les accompagner jusque dans la mise en oeuvre. Elle est également administratrice de l’Institut Sapiens.

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