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Eduquer à l’intelligence économique : une invitation à « entrer ensemble en stratégie »

« Agir pour ne pas subir ». Agir et non simplement réagir, accompagner et même…
Publié le 22 octobre 2013
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« Agir pour ne pas subir ». Agir et non simplement réagir, accompagner et même anticiper les mutations économiques plutôt que passer son temps à colmater les brèches de navires échoués qu’il sera souvent impossible de remettre durablement à flot. Agir donc pour ne pas subir… c’est ne pas se tromper de cibles et rompre alors avec des décennies de vide stratégique et d’incapacité chronique à mobiliser les acteurs économiques, tous les acteurs. Pour ce faire, une dynamique mérite d’être soutenue et développée : l’intelligence économique.
L’intelligence économique est un mode d’organisation et d’action qui fait de la maîtrise et de la protection de l’information stratégique un levier de compétitivité. Elle induit une nouvelle grille de lecture des menaces et opportunités liées à la mondialisation et un mode de management en réseau qui rompt avec le modèle pyramidal. C’est pourquoi l’intelligence économique vise à mobiliser tous les acteurs dans une synergie public-privé afin de renforcer la compétitivité des entreprises, des territoires et des Etats. Regardons, par exemple, du côté des Etats-Unis, de la Chine, du Japon ou de l’Allemagne. Dans ces pays existent de véritables stratégies collectives parce qu’existent de véritables dispositifs d’acteurs capables de définir ensemble des axes de développement à moyen et long terme, de partager leurs informations et de produire des connaissances synonymes de conquêtes de marchés et d’innovation. Avec, ne le nions pas, une subtile dose de patriotisme économique plus ou moins masqué. Par exemple, influencer les normes sera jugé par ces pays comme le meilleur moyen de protéger ses entreprises et les marchés considérés comme stratégiques. Or, est-ce le cas de la France quand on observe notamment la faiblesse de son lobbying au sein des institutions européennes ?
Tel est, depuis vingt ans, le crédo de l’intelligence économique « à la française » avec deux rapports officiels, des milliers de professionnels, des centaines d’ouvrages, des dizaines de formations, une académie, un syndicat et une politique publique nationale et régionale qui vise à articuler les fonctions de veille stratégique, de prospective, d’influence et de sécurité économique au service du développement des entreprises comme des territoires (www.intelligence-economique.gouv.fr). Avec une philosophie : si la compétence est individuelle, l’intelligence est nécessairement collective. Une évidence ? La récente réussite des Jeux Olympiques de Londres devrait nous rappeler combien nous n’avions pas su lors de la candidature de Paris 2012 nous organiser collectivement, méconnaissant alors la réalité des rapports de forces au sein du CIO et reniant même le rôle clé du lobbying et de l’influence. Est-il également nécessaire d’insister sur les nombreux marchés soi-disant gagnés et finalement perdus ces dernières années (avions de combat ou centrales par exemple), le déficit de notre commerce extérieur avec des PME françaises sous-dimensionnées et pas assez présentes sur les marchés émergents ou sur nos faiblesses en terme d’innovation, de recherche et d’enseignement supérieur (voir le dernier classement de Shanghai une nouvelle fois subi !) ? La valeur des acteurs n’est pas ici en question mais bien plutôt cette incapacité à penser autrement pour entrer ensemble en stratégie.
Dans ce contexte, l’intelligence économique est d’abord une question de posture et de culture et donc d’éducation. Une éducation aux fonctions clés bien sûr : la veille, le management des connaissances, la protection de l’information et l’influence. Mais surtout, une éducation à la culture de l’information et à la pensée stratégique. Car au-delà des futurs professionnels du domaine, c’est l’ensemble des cadres et des citoyens qu’il convient de préparer à un monde complexe et incertain.

Dans Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Edgar Morin estime ainsi qu’il est devenu nécessaire de promouvoir une connaissance capable de saisir les problèmes globaux et fondamentaux pour y inscrire les connaissances partielles et locales. Or : « La suprématie d’une connaissance fragmentée selon les disciplines rend souvent incapable d’opérer le lien entre les parties et les totalités et doit faire place à un mode de connaissance capable de saisir ses objets dans leurs contextes, leurs complexes, leurs ensembles. Il est nécessaire de développer l’aptitude naturelle de l’esprit humain à situer toutes ses informations dans un contexte et un ensemble. ». Et de donner récemment l’exemple de la décroissance, une question généralement abordée de manière exclusive – « êtes-vous pour ou contre la décroissance ? » – quand la question serait plutôt de déterminer les secteurs où la décroissance pourrait s’appliquer et ceux où c’est la croissance qu’il faudrait promouvoir. Autrement dit, si nous pouvons avoir confiance dans la capacité des hommes à trouver des solutions, n’oublions pas qu’ils ont également prouvé maintes fois leur capacité à poser les problèmes de manière restrictive. Et à Edgar Morin de conclure dans le cadre de son cinquième savoir fondamental intitulé Affronter les incertitudes : « Il faudrait enseigner des principes de stratégie, qui permettent d’affronter les aléas, l’inattendu et l’incertain, et de modifier leur développement, en vertu des informations acquises en cours de route. Il faut apprendre à naviguer dans un océan d’incertitudes à travers des archipels de certitude. ». Habileté à comprendre finement et globalement un environnement complexe et à prendre la bonne décision, l’intelligence économique ne dit pas autre chose…

Nicolas Moinet
Professeur des universités à l’IAE de Poitiers
Enseignant au programme Management industriel (MIND)
EIGSI La Rochelle, école d’ingénieurs / Groupe Sup de CO

Nicolas Moinet est Professeur des universités à l’Institut d’Administration des Entreprises (IAE) de Poitiers et enseignant au programme Management industriel (MIND) – EIGSI La Rochelle, école d’ingénieurs / Groupe Sup de Co La Rochelle. Docteur en Sciences de l’information de la communication et Habilité à Diriger des Recherches, il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles sur le sujet, notamment : La Boîte à outils de l’intelligence économique (Dunod, 2011) ou Intelligence économique. Mythes & réalités (CNRS Editions, 2011).

Internet outil clé pour l’intelligence économique e

par Christian Brodhag, Délégué au Développement Durable
Directeur de recherche Département Etudes sur la Performance, l’Innovation et le Changement en Entreprise (EPICE)
Institut Henri Fayol
Ecole Nationale Supérieure des Mines de Saint-Etienne
Etablissement membre de l’Institut Mines Télécom
Courriel : brodhag@emse.fr
http://emse.fr, http://brodhag.org

Publications: http://www.emse.fr/statique/publications/index.php?&auteurs=christian,brodhag
Publications : http://scholar.google.fr/citations?user=zWE7MxwAAAAJ&hl=fr&oi=ao

L’intelligence économique à deux composantes complémentaires. L’une vise à donner aux acteurs économiques l’accès à l’information pertinente sur les marchés et les innovations, l’autre, inversement, vise à accroître l’influence de l’entreprise sur ces marchés. La politique d’influence de l’entreprise a ainsi pour objectif de propager les informations qui favorisent sa propre stratégie, ce qui implique de cibler les acteurs dont le comportement et les actions vont conforter cette stratégie. Internet apporte de nombreux outils dans ces deux domaines : permettant à la fois la collecte, le traitement et la diffusion de l’information, et inversement, notamment par l’intermédiaire des réseaux sociaux, d’organiser une partie de l’influence.
L’innovation est souvent une connaissance nouvelle ou une technologie qui va se diffuser à travers le marché. Mais cette approche poussée par la technologie n’est pas la seule. Elle concerne aussi les produits, les procédés ou le marketing, mais elle peut tout aussi bien être de nature organisationnelle. Le développement de l’innovation ouverte, c’est-à-dire de l’innovation impliquant les consommateurs par exemple, rend essentielle l’implication de différents acteurs, que l’innovateur cherche à enrôler et à associer à l’innovation. Comme l’intelligence économique, elle a une double composante, l’une est liée à l’information, aux connaissances, à la nature substantielle et matérielle de l’innovation et l’autre aux acteurs qui vont être associés à la genèse et la diffusion de cette innovation. Notamment, ceux qui vont en faire la promotion.
Il s’agit en fait de développer des systèmes, qui sont, selon l’expression de Michel Callon, des réseaux d’innovation hybrides mêlant humains (les acteurs) et non humains (les technologies et les connaissances). Cette notion de système d’innovation est mobilisée par les politiques publiques d’innovation à travers par exemple les Pôles de compétitivité qui connectent, sur un territoire et autour d’un domaine particulier, les acteurs économiques avec ceux de la recherche et de la formation. Cette notion de système s’applique aussi aux entreprises innovantes elles-mêmes qui vont créer des écosystèmes d’affaire (comme le font les géants de l’Internet) et plus modestement des réseaux d’innovation autour de leurs innovations.
L’intelligence économique et les stratégies d’innovation sont donc intimement liées et partagent une même dualité : l’une vise la maîtrise des connaissances et l’autre la maîtrise des acteurs. Il n’est pas pertinent d’aborder séparément ces deux composantes : c’est leur l’intégration conjointe qui est nécessaire dans des systèmes hybrides. Internet peut apporter des solutions sur ces deux aspects car le web 2 comporte aussi cette dualité : les informations et les documents d’une part, les communautés et les réseaux sociaux d’autre part.
Une stratégie d’intelligence économique et de promotion de l’innovation au niveau de l’entreprise doit aujourd’hui de se décliner via une véritable stratégie sur Internet. Celle-ci combinant veille et influence, organisant alertes et collecte d’informations d’un côté et présence et influence dans les réseaux sociaux pertinents de l’autre.
Pour stimuler et organiser les mutations (transition énergétique et environnementale notamment) des plateformes collectives pourraient permettre d’« éduquer » le marché et d’organiser de véritables systèmes d’innovation à l’échelle des pays ou des espaces économiques. C’est l’objectif de la plateforme européenne « Construction21 », dédiée aux professionnels de la construction durable (http://construction21.eu/france/). Conçue pour fonctionner en mode collaboratif, elle accompagne les professionnels pour développer de nouvelles façons de construire et de rénover, accélérant ainsi la transition vers une économie verte du bâtiment. Lancée dans 6 pays en mars 2012 (Allemagne, Espagne, France, Italie, Lituanie, Roumanie) par 9 partenaires européens, elle devrait couvrir l’ensemble de l’Union européenne à l’horizon de cinq ans et même d’autres pays d’ores et déjà intéressés. Construction21 combine à la fois une vitrine des solutions en identifiant et décrivant les meilleures réalisations et les technologies mobilisées, en identifiant les acteurs économiques qui ont participé à leur réalisation, et la mise en place de communautés de travail, de type réseau social, pour identifier et discuter des freins et des leviers de ce changement. Un tel système d’information est utile pour le développement d’un système d’innovation national. Il propose aux pouvoirs publics et aux acteurs nationaux un environnement commun privilégié pour dialoguer directement entre eux et avec ceux qui sont impactés par les politiques.
Il permet aussi aux entreprises et aux professionnels de mener une véritable activité d’intelligence économique tout en développant leur propre réseau d’innovation en identifiant à la fois des solutions innovantes et des partenaires potentiels. Il s’agit, en fait, d’un système d‘intelligence économique collectif. Car, en donnant à comprendre l’ensemble du système national d’innovation avec ses composantes juridiques, politiques, économiques…, il permet aux professionnels de se positionner, de façon relativement aisée, en termes d’intelligence économique et d’innovation.

Christian Brodhag
Directeur de Recherche à l’Ecole nationale Supérieure des Mines de Saint-Etienne Président de Construction21 international

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