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Entretien avec Blaise Pascal, mathématicien, physicien, inventeur, philosophe, moraliste et théologien français

Blaise Pascal est un célèbre philosophe religieux français du XVIIe siècle, connu pour ses travaux…
Publié le 3 février 2012
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Blaise Pascal est un célèbre philosophe religieux français du XVIIe siècle, connu pour ses travaux en mathématiques, physique, pour la Pascaline, une des toutes premières machines à calculer de l’histoire, et pour ses réflexions philosophiques de nature religieuse, notamment sur la moralité chrétienne.

Il naît à Clairmont le 19 juin 1623 (Clermont-Ferrand depuis 1630, suite à l’édit de Troyes). L’Université de Clermont-Ferrand II porte le nom de Blaise Pascal, ainsi que de nombreux lycées francais. Le langage de programmation Pascal a été nommé en son honneur. La théorie des probabilités est sa plus importante contribution aux mathématiques. De 1969 à 1994, la France a émis un billet de 500 francs à son effigie. On peut trouver la rue Pascal dans le 13e arrondissement de Paris. Le pascal (symbole: Pa), unité de contrainte et de pression, porte le nom du scientifique.

Le Prix Blaise Pascal, d’une valeur de 3000 euros, a été créé en 1984 par la SMAI et le SMAI-GAMNI. Ce prix est décerné chaque année par l’Académie des Sciences, après consultation de la SMAI et du groupe thématique SMAI-GAMNI, qui le financent. Il est destiné à récompenser un chercheur ayant accompli en France un travail remarquable dans le domaine des mathématiques appliquées et du calcul numérique dans les sciences de l’ingénieur (dernier lauréat en 2011 : Rémi Gribonval).

CGE :  On vous qualifie le plus souvent de « génie », qu’est ce que cela vous inspire ?

B. P. : Rien n’est plus commun que les bonnes choses : il n’est question que de les discerner ; et il est certain qu’elles sont toutes naturelles et à notre portée, et même connues de tout le monde. Mais on ne sait pas les distinguer. Ceci est universel. Ce n’est pas dans les choses extraordinaires et bizarres que se trouve l’excellence de quelque genre que ce soit. On s’élève pour y arriver, et on s’en éloigne : il faut le plus souvent s’abaisser. Les meilleurs livres sont ceux que ceux qui les lisent croient qu’ils auraient pu faire. La nature, qui seule est bonne, est toute familière et commune.

Si l’on ne se connaît point plein d’orgueil, d’ambition, de concupiscence, de faiblesse, de misère et d’injustice, on est bien aveugle. Et si en le connaissant on ne désire d’en être délivré que peut-on dire d’un homme si peu raisonnable ?

L’Homme est visiblement fait pour penser, c’est toute sa dignité et tout son mérite. Tout son devoir est de penser comme il faut ; et l’ordre de la pensée est de commencer par soi, par son auteur, et sa fin. Cependant à quoi pense-t-on dans le monde ? Jamais à cela ; mais à se divertir, à devenir riche, à acquérir de la réputation, à se faire Roi, sans penser à ce que c’est que d’être Roi, et d’être homme.

La pensée de l’homme est une chose admirable par sa nature. Il fallait qu’elle eût d’étranges défauts pour être méprisable. Mais elle en a de tels que rien n’est plus ridicule. Qu’elle est grande par sa nature ! Qu’elle est basse par ses défauts !

CGE : « Les poètes n’ont pas eu raison de nous dépeindre l’amour comme un aveugle », déclarez-vous. Aussi, comment lui doit-on « ôter son bandeau et lui rendre désormais la jouissance de ses yeux » ?

B.P. : L’aveuglement est causé par la chair quand l’esprit lui est assujetti mais l’amour et la raison sont une même chose. L’amour est une précipitation de pensées qui se porte d’un côté sans bien examiner tout, mais c’est toujours une raison, et l’on ne doit et on ne peut pas souhaiter que ce soit autrement. N’excluons donc point la raison de l’amour, puisqu’elle en est inséparable.

L’amour fait partie de l’infinité de choses qui surpassent la raison, mais la surpasser ne signifie pas l’exclure. Il faut savoir douter où il faut, assurer où il faut, se soumettre où il faut. Qui ne fait ainsi n’entend pas la force de la raison.

La raison, dit Saint Augustin ne se soumettrait jamais, si elle ne jugeait qu’il y a des occasions où elle se doit soumettre. Il est donc juste qu’elle se soumette quand elle juge qu’elle se doit soumettre, et qu’elle ne se soumette pas quand elle juge avec fondement qu’elle ne le doit pas faire : mais il faut prendre garde à ne pas se tromper.

L’amour relève de la foi, foi que l’objet de son admiration est digne de l’intérêt que nous lui portons ; or, il n’y a rien de si conforme à la raison que le désaveu de la raison dans les choses qui sont de foi : et rien de si contraire à la raison que le désaveu de la raison dans les choses qui ne sont pas de foi. Ce sont deux excès également dangereux, d’exclure la raison ou de n’admettre que la raison. La foi dit bien ce que les sens ne disent pas, mais jamais le contraire. Elle est au dessus, et non pas contre.

CGE : Simplifier la vie de chacun, qui verra ses calculs aisément aboutis par la machine arithmétique, ne suffit pas toujours à plaire à ceux qui se contentent du paradoxe par lequel on obtient un mouvement opératoire simplifié, du fait d’une machine construite d’un mouvement complexe. Comment expliquer cette logique aux « moins avertis » et aux défenseurs de la plume et du jeton, comme d’en garantir la fiabilité ?

B.P. : Je ne leur demande que la faveur d’examiner ce que j’ai fait, et non pas celle de l’approuver sans le connaître.

J’ai déjà la satisfaction de voir mon petit ouvrage, non seulement autorisé de l’approbation de quelques-uns des principaux en cette véritable science, qui, par une préférence toute particulière, a l’avantage de ne rien enseigner qu’elle ne démontre, mais encore honoré de leur estime et de leur recommandation ; et que même celui d’entre eux, de qui la plupart des autres admirent tous les jours et recueillent les productions, ne l’a pas jugé indigne de se donner la peine, au milieu de ses grandes occupations, d’en enseigner et la disposition et l’usage à ceux qui auront quelque désir de s’en servir.

Les curieux qui désireront voir une telle machine s’adresseront s’il leur plaît au sieur de Roberval, professeur ordinaire de mathématiques au Collège Royal de France, qui leur fera voir succinctement et gratuitement la facilité des opérations, en fera vendre, et en enseignera l’usage. Le dit sieur de Roberval demeure au Collège Maître Gervais, rue du Foin, proche des Mathurins. On le trouve tous les matins jusqu’à huit heures, et les samedis toute l’après dînée.

CGE : Si les yeux sont les seuls juges légitimes de la vérité des faits, s’il faut donc voir pour croire et comprendre, les outils de l’image d’aujourd’hui que sont la télévision et plus généralement tous les supports de communication permettent-ils vraiment de « voir » ?

B. P. : On ne voit bien qu’avec le cœur. Pour croire et comprendre, il ne suffit pas de regarder, il faut agir. Et commencer par reconnaître notre impuissance à croire. Il faut travailler à nous convaincre, non par l’augmentation des preuves mais par la diminution de nos passions, voie qui mène à la purification et à la lucidité. Pour aller où nous souhaitons aller sans en connaître le chemin, pour guérir de nos infirmités, de nos manques et de nos peurs, apprenons de ceux qui nous ont précédés, qui nous étaient semblables dans leur quête et qui ont su écarter les doutes. Pour cela, il vous faudra suivre la manière par où ils ont commencé, en imitant leurs actions extérieures si vous ne pouvez encore entrer dans leurs dispositions intérieures, en quittant les vains amusements qui vous occupent tout entier. J’aurais bientôt quitté ces plaisirs, dites vous, si j’avais la foi. Et moi je vous dis que vous auriez bientôt la foi si vous aviez quitté ces plaisirs. Or c’est à vous à commencer. Si je pouvais je vous donnerais la foi : je ne le puis, ni par conséquent éprouver la vérité de ce que vous dites : mais vous pouvez bien quitter ces plaisirs, et éprouver si ce que je dis est vrai.

CGE : Le hasard préside-t-il à la condition humaine ? Si oui, quelles sont les vertus à ne pas négliger pour comprendre la nature de sa propre condition et ne pas l’imposer comme supérieure de quelque manière que ce soit à l’autre ?

B. P. : Le plus important, c’est Dieu, qu’il existe ou qu’il n’existe pas. Le hasard n’est que le nom donné à la Providence par ceux qui ne l’appréhendent pas. Mais s’il n’y a pas de hasard, il existe des vertus qu’il nous appartient de choisir. La justice et la charité élèvent jusqu’à la participation de la Divinité même, et pourtant, en ce sublime état les justes portent encore la source de toute la corruption qui les rend durant toute leur vie sujets à l’erreur, à la misère, à la mort, au péché ; et elle crie aux plus impies qu’ils sont capables de la grâce de leur Rédempteur. Ainsi donnant à trembler à ceux qu’elle justifie, et consolant ceux qu’elle condamne, elle tempère avec tant de justesse la crainte avec l’espérance par cette double capacité qui est commune à tous et de la grâce et du péché, qu’elle abaisse infiniment plus que la seule raison ne peut faire, mais sans désespérer ; et qu’elle élève infiniment plus que l’orgueil de la nature, mais sans enfler ; faisant bien voir par là qu’étant seule exempte d’erreur et de vice, il n’appartient qu’à elle et d’instruire et de corriger les hommes.

Le Christianisme est étrange. Il ordonne à l’homme de reconnaître qu’il est vil et même abominable ; et il lui ordonne en même temps de vouloir être semblable à Dieu. Sans un tel contrepoids cette élévation le rendrait horriblement vain, ou cet abaissement le rendrait horriblement abject. L’Incarnation montre à l’homme la grandeur de sa misère par la grandeur du remède qu’il a fallu.

Nous connaissons qu’il y a un infini, et ignorons sa nature. Comme, par exemple, nous savons qu’il est faux que les nombres soient finis. Donc il est vrai qu’il y a un infini en nombre. Mais nous ne savons ce qu’il est. Il est faux qu’il soit pair, il est faux qu’il soit impair ; car en ajoutant l’unité il ne change point de nature. Ainsi on peut bien connaître qu’il y a un Dieu sans savoir ce qu’il est : et vous ne devez pas conclure qu’il n’y a point de Dieu de ce que nous ne connaissons pas parfaitement sa nature.

Mais pour ceux qui doutent, faire le pari de la justice et de la charité ne pourra pas leur nuire, et comment regretter ce choix ? Ainsi, tout joueur hasarde avec certitude pour gagner avec incertitude ; et néanmoins il hasarde certainement le fini pour gagner de manière incertaine le fini, sans pécher contre la raison.

CGE : Quels symboles souligneriez-vous en voyant votre portrait de libre penseur gravé sur un billet de 500 francs ?

B.P. : Tout l’éclat des grandeurs n’a point de lustre pour les gens qui sont dans les recherches de l’esprit. La grandeur des gens d’esprit est invisible aux riches, aux Rois, aux conquérants, et à tous ces grands de chair. La grandeur de la sagesse qui vient de Dieu est invisible aux charnels, et aux gens d’esprit. Ce sont trois ordres de différents genres.

Les grands génies ont leur empire, leur éclat, leur grandeur, leurs victoires, et n’ont nul besoin des grandeurs charnelles, qui n’ont nul rapport avec celles qu’ils cherchent. Ils sont vus des esprits, non des yeux mais c’est assez.

L’unique objet de l’Écriture est la charité. Tout ce qui ne va point à l’unique but en est la figure ; car puisqu’il n’y a qu’un but, tout ce qui n’y va point en mots propres est figure. Ce billet est une figure et il peut servir à la charité. Il peut aussi être brûlé en images pour montrer comme sa valeur est dérisoire et comme ce qui en reste après usage est bien peu. Mais un billet de moindre valeur bien utilisé peut être source d’une richesse infinie et inépuisable.

CGE : Mourir à 39 ans, est-ce une tragédie ou le temps ainsi compté laisse-t-il la place pour accomplir les rêves les plus fous ?

B. P. : La tragédie serait de ne pas s’interroger sur notre condition et de ne pas chercher la vérité. La vie de l’homme est misérablement courte. On la compte depuis la première entrée dans le monde ; pour moi je ne voudrais la compter que depuis la naissance de la raison, et depuis qu’on commence à être ébranlé par la raison, ce qui n’arrive pas ordinairement avant vingt ans.

Si les passions ne nous tenaient point, huit jours et cent ans sont une même chose. Il ne faut pas avoir l’âme fort élevée pour comprendre qu’il n’y a point ici de satisfaction véritable et solide, que tous nos plaisirs ne sont que vanité, que nos maux sont infinis, et qu’enfin la mort qui nous menace à chaque instant nous doit mettre dans peu d’années, et peut-être en peu de jours dans un état éternel de bonheur, ou de malheur, ou d’anéantissement. Entre nous et le ciel, l’enfer ou le néant il n’y a donc que la vie qui est la chose du monde la plus fragile.

En voyant l’aveuglement et la misère de l’homme, et ces contrariétés étonnantes qui se découvrent dans sa nature, et regardant tout l’univers muet, et l’homme sans lumière, abandonné à lui-même, et comme égaré dans ce recoin de l’univers, sans savoir qui l’y a mis, ce qu’il y est venu faire, ce qu’il deviendra en mourant ; j’entre en effroi comme un homme qu’on aurait porté endormi dans une île déserte et effroyable, et qui s’éveillerait sans connaître où il est, et sans avoir aucun moyen d’en sortir. Et sur cela j’admire comment on n’entre pas en désespoir d’un si misérable état. Je vois d’autres personnes auprès de moi de semblable nature. Je leur demande s’ils sont mieux instruits que moi, et ils me disent que non. Et sur cela ces misérables égarés ayant regardé autour d’eux, et ayant vu quelques objets plaisants s’y sont donnés, et s’y sont attachés. Pour moi je n’ai pu m’y arrêter, ni me reposer dans la société de ces personnes semblables à moi, misérables comme moi, impuissantes comme moi. Je vois qu’ils ne m’aideraient pas à mourir : je mourrai seul : il faut donc faire comme si j’étais seul : or si j’étais seul, je ne bâtirais pas des maisons, je ne m’embarrasserais point dans des occupations tumultuaires, je ne chercherais l’estime de personne, mais je tâcherais seulement de découvrir la vérité.

C’est peut-être ce que j’ai fait, en quelque sorte mon rêve le plus fou !

Propos recueillis par Pierre Duval
CGE – Chargé de mission Communication

Avec l’aimable complicité de Céline Berthet

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