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Entretien avec Cédric Villani, médaille Fields 2010, l’équivalent du prix Nobel en mathématiques

CGE : Pouvez-vous nous décrire vos premiers pas en mathématiques ? Comment projetez-vous votre exemple…
Publié le 3 octobre 2010
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CGE : Pouvez-vous nous décrire vos premiers pas en mathématiques ? Comment projetez-vous votre exemple dans l’évaluation et l’évolution du potentiel scientifique que nous prépare la réforme actuelle du lycée ? Pierre Tapie, le président de la CGE, s’inquiète notamment du volume horaire réservé à certaines sciences, pouvez-vous nous donner votre point de vue ?

C.V. : Le goût pour les mathématiques est venu très tôt, j’ai toujours considéré cela comme un jeu. Puis certains professeurs, au collège et au lycée, ont su aller un peu ou beaucoup en-dehors des sentiers battus pour développer ce goût. J’ai ressenti une grande émotion parfois devant de nouveaux concepts, je me souviens de l’exercice selon lequel une fonction est somme d’une fonction paire et d’une fonction impaire, le concept de fonction d’un coup s’éclairait pour moi. Ou l’exercice selon lequel la somme des carrés des longueurs des 4 côtés d’un parallélogramme est égale a la somme des carrés des diagonales, je me suis dit : « Que c’est beau ! »

Je partage l’inquiétude de Pierre Tapie concernant le volume horaire réservé aux sciences. Dans le cursus d’un jeune qui termine par une terminale scientifique, en 20 ans, nous avons perdu près d’une année de volume horaire de mathématiques, il y a forcement des conséquences.

En outre le baccalauréat dit scientifique reste généraliste, c’est la filière d’excellence et en conséquence on y enseigne tout. Les sciences y sont d’ailleurs minoritaires en termes d’horaires. Cette situation me semble absurde et je fais partie de ceux qui prônent une spécialisation davantage marquée au niveau de la première et de la terminale.

CGE : Les grandes écoles sont une exception française dont les Anglo-saxons ont parfois du mal à saisir toutes les nuances. Quels sont selon vous les avantages distinctifs de ce système ?

C.V. :
Les avantages de ce système : mettre ensemble des jeunes parmi les plus travailleurs et les plus motivés. Même s’ils suivent les cours de l’université, comme c’est le cas dans certaines de ces écoles après un an, ils sont délivrés de leurs contraintes (paie, cantine …), profitent d’un esprit d’émulation et d’une ambiance de travail…

CGE : De votre brillant parcours, quelles sont les trois étapes clefs que vous mettriez en avant, si l’on vous demandait de vous définir ?

C.V. : Trois étapes clefs de mon parcours :

  • Entrée en classes préparatoires (Louis-le-Grand, 1990) : un environnement très compétitif et très motivant, dans lequel, pour ne pas souffrir, il est nécessaire de sentir une solidarité entre élèves,
  • Entrée a l’ENS (1992) : une ouverture intellectuelle considérable s’en est ensuivie,
  • Ma thèse (1995-1998) : c’est vraiment le diplôme où l’on prend ses marques, où l’on trouve son goût mathématique, où l’on met en œuvre un grand projet qui demande ambition, innovation, synthèse. Je suis tombé amoureux de mon sujet de thèse (l’équation de Boltzmann) et les travaux que j’ai effectués dans son prolongement ont été distingués par ma médaille.

CGE : Si vous deviez conseiller l’étude d’un ou plusieurs de vos pairs pour mieux comprendre votre spécialité, qui choisiriez-vous et pourquoi ?

C.V. : Je recommande l’œuvre de John Nash, que j’ai décrite dans ma conférence à la BNF le 7 avril 2010 (voir la vidéo en cliquant ici…). La carrière scientifique de John Nash commence par ses célèbres contributions à la théorie des jeux à 22 ans en 1950, ce qui lui vaudra le Prix Nobel d’économie en 1994. Il se tourne ensuite vers des domaines très différents, et publie, entre 1954 et 1958, trois articles démontrant trois théorèmes qui révolutionnent la géométrie et l’analyse mathématique. Ces trois articles sont de véritables tours de force qui démontrent la puissance de l’analyse dans le traitement de problèmes issus de la géométrie et de la physique.

CGE : La médaille Fields est-elle pour vous un aboutissement, une étape ou le départ d’une nouvelle aventure ?

Tout cela a la fois ! Aboutissement d’un travail long qui a duré des années ; étape qui permet de faire le point et de susciter des motivations ; début d’une nouvelle aventure, où je suis délivré de certaines contraintes (tout devient facile !) et en même temps tributaire de nouvelles responsabilités (rôle de représentation, contact…)

CGE : Si vous aviez une baguette magique, est-ce que vous croiriez en son pouvoir ? Quelles seraient vos premières initiatives avec elle pour le monde de la recherche, le monde des hommes et votre monde ?

C.V. : La baguette magique, ce serait la faculté de convaincre les gens à volonté. Avec cela on ferait des merveilles !

Pour le monde de la recherche, faire en sorte que les communautés différentes se fassent confiance. Les écoles d’ingénieurs et les chercheurs, les universités et les grandes écoles, les entreprises et le monde de la recherche, les mathématiciens et les autres scientifiques, les mathématiciens « appliqués » et les mathématiciens « purs » (je hais cette distinction)… Si tout le monde se respecte, on peut tirer pleinement parti de la diversité des institutions françaises.

Pour le monde des hommes, moins d’idéologies et plus de bon sens, la faculté de réfléchir sans a priori aux problèmes qui se posent à nous et qui sont considérables, et de les résoudre ensemble. Bon, plus prosaïquement, une source d’énergie qui tienne la route… personnellement si la fusion nucléaire pouvait aboutir je pense que ce serait la meilleure nouvelle possible pour l’humanité.

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