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Entretien avec Jacques Soppelsa, universitaire français, spécialiste de la géopolitique et ancien président de la Féd. française de rugby à XIII

Jacques Soppelsa est président honoraire de l’Université de Paris I Panthéon Sorbonne, président de l’Académie…
Publié le 3 juin 2012
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Jacques Soppelsa est président honoraire de l’Université de Paris I Panthéon Sorbonne, président de l’Académie internationale de géopolitique et président (h) des Fédérations française et internationale de Rugby à XIII.

CGE : Selon vous, quels sont les enjeux majeurs de la géopolitique du monde contemporain qui doivent particulièrement retenir notre attention ?

J.S. : J’ai eu l’opportunité, il y a quelques mois, d’écrire un nouvel ouvrage au titre révélateur Les sept défis capitaux du nouvel ordre mondial. Je n’ai guère changé d’avis : au plan géopolitique (nonobstant par ailleurs le caractère conjoncturellement crucial des problèmes strictement géoéconomiques), les enjeux majeurs de notre planète, aujourd’hui, me paraissent être :

  1. La pérennisation des crises et des conflits ouverts (près d‘une centaine de conflits de premier ordre au cours du dernier demi-siècle) concentrés notamment dans l’hémisphère Sud en général et sur l’arc de crise cher à Spykman en particulier .
  2. Les aléas de « l’aventure nucléaire » et les corollaires potentiels engendrés par l’épineuse question de la prolifération atomique (Corée du Nord, Iran..).
  3. Les échecs retentissants de la politique internationale menée au plan du contrôle des armements et, a fortiori, du désarmement, quelques quarante ans après que les Nations unies aient officiellement déclaré « la guerre à la guerre » et, sous leur égide, multiplié les accords et les traités restés, pour l’essentiel, lettres mortes.
  4. L’exacerbation de la fracture entre les pays du Nord et les pays du Sud, tant au plan démographique qu’à celui des données socio-économiques, illustrant cruellement l’hypocrisie des termes « pays en voie de développement ». L’an passé, le seul commerce des armes représentait, par exemple, trente fois l’aide internationale consacrée à l’éradication des plaies du tiers-monde !)
  5. La banalisation et l’internationalisation de la criminalité organisée et des organisations maffieuses, désormais largement implantées sur l’ensemble des continents.
  6. L’essor et l’externalisation du terrorisme et ses effets géopolitiques suprarégionaux d’une ampleur inédite.
  7. Les conséquences de la disparition du système bipolaire et de la remise en question d’un état de fait, son remplacement brutal par un monde en voie de multipolarisation, plus ou moins bien maîtrisé par l’hyperpuissance.

CGE : Les pays émergents changent le monde. Doit-on s’inquiéter de l’itinéraire du Brésil, de la Chine et de l’Inde ou voir en eux de nouveaux partenaires capables de régénérer l’économie mondiale ?

J.S. : Non, on ne doit pas, a priori, s’inquiéter de cette émergence. Il s’agit de pays au gabarit physique et démographique impressionnants, au potentiel de ressources considérable, et qui peuvent contribuer (paradoxalement en apparence) à conforter un monde multipolaire rationnel et moins « déséquilibré ». A deux réserves près : que leur apparition et leur affirmation dans le concert des nations s’effectuent dans le cadre et sous le contrôle des principales institutions supraétatiques (OMC, G20 ,FMI etc. 😉 d’une part ; et que l’on n’oublie pas de prendre en compte leurs diversités : le sous-continent brésilien, par exemple, est difficilement comparable, y compris quant aux projections à moyen terme, aux deux géants asiatiques que sont la Chine de Pékin et l’Union indienne, membres, de surcroit, du Club nucléaire !

CGE : La gestion des conflits (guerres, conflits localisés…) peut-elle passer par une action solidaire et collective mondiale ? Quelles sont les limites des autorités d’aujourd’hui et quelles autorités pour demain ?

J.S. : Nous l’évoquions plus haut, le monde a déclaré « la guerre à la guerre. Le fait est que nous n’avons pas connu de troisième guerre mondiale (elle aurait tout simplement revêtu la parure de l’apocalypse, eu égard à l’état de surarmement et d’overkilling de la planète !). Mais le bilan en matière de conflits localisés est singulièrement édifiant, confirmant les limites des autorités d’aujourd’hui en la matière et les échecs des initiatives des organisations internationales, au premier rang desquelles figure l’ONU (témoin son impuissance face à la crise rwandaise, aux drames de la Corne de l’Afrique ou, actuellement, de la Syrie de Bachar el Assad.

L’ONU doit être modernisée, revitalisée, adaptée aux nouvelles donnes de la géopolitique mondiale : ses structures doivent être modifiées pour optimiser leur efficacité. Je songe en particulier à la composition, un tantinet obsolète, inchangée depuis plus d’un demi-siècle, du Conseil de sécurité et de ses membres permanents ; a fortiori de leur droit de veto, contribuant bien souvent à l’enlisement des crises…

CGE : Quand la nature reprend ses droits (dérèglements climatiques, catastrophes écologiques, cataclysmes…), quand la vie devient inhumaine (criminalité organisée, ventes d‘armes, trafics..), quand l’homme devient le frein plutôt que la clef (terrorisme international, multipolarisation, négation de l’hyperpuissance …) comment est-il encore possible de garder espoir en la nature humaine et en sa capacité durable ?

J.S. : Face aux catastrophes naturelles (encore quelles ne soient pas, tant s’en faut, spécifiques à l’époque actuelle, mais tout simplement davantage « mises en lumière » que naguère via l’impact des medias), la seule réponse crédible se conjugue, à moyen terme, avec la mise en place de structures de concertation en matière de protection de l’environnement et de lutte contre les principales causes rendant compte de l’exacerbation des dits fléaux naturels, notamment anthropiques (surexploitation des ressources, déforestations intensives, désertification, pollutions à grande échelle…).

Face aux défis « humains » évoqués supra, tout repose à nouveau sur la volonté des hommes de se doter réellement d’instruments efficaces et internationalement reconnus et acceptés. Mais il faut rester lucides et réalistes. L’ampleur et la diversité des contentieux et des crises latentes, sous peine de tomber dans l’angélisme, nous incline à penser que le meilleur des mondes cher à Candide n’est pas encore pour demain !

CGE : Si la géopolitique était dessinée sous les traits d’un terrain de rugby, quelle serait votre stratégie pour placer le jeu dans le terrain adverse et transformer l’essai ? La géopolitique est elle un jeu ? Y a-t-il nécessairement un terrain adverse ?

Le géopoliticien que je suis se double, effectivement, du rugbyman que je fus durant quelques dix-sept ans ! La comparaison est audacieuse mais, à la réflexion, me paraît pertinente. Jusqu’à l’effondrement du système bipolaire, les relations internationales pouvaient effectivement être comparées à un match de rugby opposant le Pacte atlantique, avec son capitaine américain, face à l’équipe du bloc de l’Est s’appuyant notamment sur un solide pack soviétique. Et la stratégie adoptée par les deux adversaires reflétait leur spécificité : priorité à l’attaque (la puissance maritime) du côté du « monde libre », et à la défense (puissance continentale) du côté de l’URSS.

La donne est désormais beaucoup plus complexe, avec l’émergence de nouvelles équipes soucieuces de participer aux tournois internationaux ! En fait, j’imaginerais assez bien la géopolitique du monde contemporain illustrée par toute une gamme de matches, programmés à différentes échelles, (bilatérales, régionales, supraétatiques, continentales..). Et les stratégies adoptées devraient naturellement s’adapter aux conditions et aux spécificités de ces matches , en fonction de l’échelle, notion ô combien capitale en matière de géopolitique.

Rêvons un peu : un arbitre onusien de ces compétitions sifflant in fine, quel que soit l’enjeu, la victoire de la paix internationale… Mais c’est sans doute une toute autre histoire…

 

Propos recueillis par Pierre Duval
CGE – Chargé de mission Communication

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