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Entretien avec Jean-Luc Perret, médecin général inspecteur, commandant de l’École de Santé des Armées (ESA)

CGE : Pouvez-vous nous indiquer les critères distinctifs de la médecine militaire par rapport à…
Publié le 3 septembre 2011
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CGE : Pouvez-vous nous indiquer les critères distinctifs de la médecine militaire par rapport à la médecine traditionnelle et les trois critères principaux qui vous ont fait privilégier cette voie ?

JL.P. : La médecine militaire se caractérise par trois composantes fondamentales à validité permanente. D’abord, elle s’exerce dans le cadre de l’organisation militaire d’un service de santé des armées. Ensuite, elle cible en domaine spécifique la pathologie induite par les opérations militaires sous toutes ses formes, dans ses aspects de prévention, de prise en charge sur le terrain et de suivi ultérieur. Enfin, son activité prioritaire concerne le soutien sanitaire des personnels des armées, ce qui recouvre les soins appropriés à toute affection de rencontre et la surveillance de l’aptitude médicale au service.

Cependant, les conditions de son exercice sont influencées par des facteurs conjoncturels qui lui confèrent des formats variables dans le temps. Ainsi, pendant une longue période, les médecins militaires français ont largement participé au système de soins de populations vivant en zone tropicale, d’abord dans le cadre colonial et ensuite au titre de la coopération. Cette opportunité, la possibilité de gravir des échelons techniques jusqu’à l’agrégation et l’autonomie financière associée au statut d’élève furent déterminantes pour mon engagement.

CGE : Votre parcours est jalonné de nombreuses expériences internationales, quelle est l’importance de cette dimension dans l’enseignement de votre établissement, tant par l’intégration de formations spécifiques pour les étudiants français que par l’ouverture de vos cursus aux étudiants étrangers ?

JL.P. : Actuellement, l’ouverture sur l’étranger se fait moins vers les pays en développement que par le passé. Si tous les élèves sont initiés à la médecine tropicale et s’ils peuvent bénéficier en fin de cursus d’un stage de découverte dans un hôpital militaire africain, l’Ecole n’accueille plus d’étudiants des ex-colonies françaises pour leur formation initiale.
L’orientation contemporaine du volet étranger est essentiellement déterminée par la perspective de missions ultérieures dans le cadre d’opérations multinationales. Ainsi les élèves reçoivent tous une solide formation de base en anglais complétée par une acculturation aux termes spécialisés en vigueur à l’OTAN. Ils ont ponctuellement la possibilité d’effectuer des stages brefs ou la totalité d’une année universitaire chez nos homologues des services de santé des armées tchèques et allemands et une extension de ce dispositif à d’autres pays de l’hémisphère nord est à l’étude.

CGE : En juillet 2011, après avoir été choisie pour devenir l’école unique de formation initiale des médecins, pharmaciens, dentistes et vétérinaires du SSA, l’école de Lyon Bron a pris le nom de l’ESA (École de Santé des Armées), héritant ainsi des traditions des ESSA de Lyon et de Bordeaux. Quels sont les axes stratégiques de cette réorganisation ?

JL.P. : L’ESA est la résultante d’une longue évolution pédagogique et d’une nécessité plus récente de rationalisation logistique. Initialement, et dès le début du XVIII° siècle, deux filières de formation s’étaient constituées, l’une pour former les futurs praticiens de l’armée de terre et l’autre pour ceux de la marine et de l’outre-mer. En 1889 et 1890, des écoles étaient bâties par les villes de Lyon et Bordeaux pour ces deux branches. Celles-ci se sont ensuite progressivement rapprochées avec la mise en commun du concours de recrutement puis la superposition des débouchés. A partir de 1971, ces deux écoles adoptaient d’ailleurs le même nom d’ESSA et réalisaient exactement la même mission sur deux sites.
Le transfert en 1981 du site de Lyon sur celui de Bron, appartenant aux armées et dimensionné pour accueillir d’importants effectifs, préparait l’étape actuelle qui répond aux impératifs de rationalisation voulus par le Livre Blanc de la Défense et la RGPP.

CGE : Dans le cadre de vos fonctions d’enseignement, quelles sont vos approches pour transmettre les valeurs de votre métier et plus généralement quelle importance attachez-vous à la transmission ?

JL.P. : En médecine la transmission est un principe fondamental qui est d’ailleurs inscrit dans le serment d’Hippocrate. De nos jours, il faut au moins 9 ans pour former un médecin et cette formation englobe des aspects théoriques et pratiques étendus, un savoir faire et un savoir être subtils, tout cela ne pouvant s’acquérir qu’au contact de sources multiples et variées. Une telle formation se doit donc d’être collégiale et l’Ecole gère la mise en relation des ressources et des besoins. Avec environ 2 500 praticiens en activité pour 1 000 en formation, le service de santé démontre l’importance qu’il accorde à la préparation des plus jeunes de ses éléments.
Mais ce principe de collégialité s’étend au-delà du service puisque, comme tout membre de celui-ci, ses praticiens sont titulaires des diplômes et des titres professionnels délivrés par les facultés. Ainsi, tous les élèves de l’ESA sont inscrits dans les deux facultés de médecine lyonnaises, dont ils suivent l’intégralité des programmes, les autorités de l’Ecole et de l’Université travaillant en étroit partenariat.

CGE : La recherche, notamment dans ses applications en médecine tropicale, est un vecteur à part entière de votre parcours. Quels sont selon vous aujourd’hui, les principaux fléaux et enjeux en la matière ? Et quelles solutions ou voies à explorer seraient véritablement des axes de progrès ?

JL.P. : Vu d’une position domestique et en particulier militaire, une préoccupation majeure demeure la prévention du paludisme, qui restera imparfaite tant qu’elle ne sera pas vaccinale. La combinaison de prise quotidienne de médicaments préventifs et d’entretien de barrières physiques de protection est en effet contraignante pour tout un chacun, mais vite problématique dans le cadre d’opérations militaires.
Le retentissement de l’évolution climatique sur l’écologie des moustiques, avec par exemple l’implantation dans le sud de la France d’espèces compétentes pour l’hébergement de viroses jusque là cantonnées aux zones tropicales, pourrait devenir une future question de santé publique.
Pour ce qui concerne les affections tropicales en général, elles sont désormais du ressort des médecins autochtones des pays concernés, à qui il appartient de leur consacrer leurs travaux et d’en devenir les experts. Cependant, ceci suppose l’instauration sur place d’une véritable gouvernance de la recherche avec une réflexion sur la formation, les moyens et les statuts.

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