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Entretien avec Lionel Collet, président de la Conférence des présidents d’universités, président de l’université Claude Bernard Lyon 1

Lionel COLLET est professeur des universités – praticien-hospitalier. Il préside l’université Claude Bernard-Lyon 1 depuis…
Publié le 3 décembre 2010
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Lionel COLLET est professeur des universités – praticien-hospitalier. Il préside l’université Claude Bernard-Lyon 1 depuis février 2006 et a été élu à la tête de la Conférence des présidents d’université (CPU) le 18 décembre 2008.

Docteur en médecine il obtient le doctorat d’état en biologie humaine en 1985, avant de devenir professeur des universités-praticien hospitalier en 1992 et chef du service d’audiologie et d’exploration orofaciales aux Hospices Civils de Lyon.

Il a dirigé le laboratoire « Neuroscience et système sensoriels », UMR CNRS de 1991 à 2006 et le groupement de recherche CNRS prothèses auditives de 2000 à 2003. Il a été membre du Comité national de la recherche scientifique de 1995 à 2004. Il est l’auteur ou le co-auteur de plus de 200 publications scientifiques dans des revues internationales.

CGE : Quelles sont selon vous les évolutions récentes significatives des formations universitaires dans le domaine de la santé et les perspectives en ce sens à court et moyen termes ?

L.C. : La période actuelle est extraordinairement dense pour les formations en santé. Auparavant, il y avait d’un côté la faculté de médecine qui formait également aux concours d’entrée en odontologie et de sage-femme et d’un autre côté la faculté de pharmacie. Depuis septembre 2010, la réforme consiste en une année commune, c’est-à-dire qu’à l’issue de la première année, les étudiants choisissent s’ils veulent faire médecine, dentaire, pharmacie ou sage femme. C’est déjà une première mesure importante.

Une deuxième mesure intéressante est liée au développement du principe des passerelles. Pour des personnes qui réussissent leurs études mais dans un autre domaine que la santé et qui souhaitent, dans la perspective d’une réorientation, intégrer ce domaine, il existe désormais des accès contingentés pour les diplômés de master, d’écoles de commerce et de sciences politiques, permettant l’accès direct en 2ème année de médecine, pharmacie, dentaire ou même sage-femme. Il est important de souligner cet élément tout à fait nouveau dans ce secteur, notamment pour les relations entre la formation en santé et les écoles. Ces accès reposent sur des commissions qui étudient avec soin les dossiers des candidats. Par ailleurs, une personne ayant commencé son cursus d’au moins 2 années après le concours dans un domaine précis (médecine, sage-femme, dentaire…) peut changer de voie et recommencer à la 2ème année du nouveau domaine, sous réserve de l’accord de la commission bien entendu.

Le même principe, tout autant contingenté, existe pour les passerelles de 3ème année, notamment pour ceux qui ont un titre d’ingénieur ou un titre de docteur. L’objectif est de modifier ainsi le profil des étudiants en santé par l’ouverture à des étudiants venant d’autres secteurs. Ce procédé existe depuis longtemps aux États-Unis sous une autre forme. Ces passerelles de 3ème année existaient précédemment, mais uniquement pour la médecine. Désormais entrer en 3ème année de pharmacie, ou de dentiste est possible…

Les autres mesures importantes concernent les professions paramédicales. Ces professions relèvent souvent du ministère de la Santé et non pas de l’enseignement supérieur, c’est le cas des infirmiers et des kinésithérapeutes notamment. Or, pendant la campagne présidentielle de 2007, il y avait une forte demande de ces professions d’accéder au grade des licences pour les titulaires d’un diplôme paramédical. Cet accès au grade a été obtenu pour les infirmiers par un conventionnement entre l’école qui les forme, l’université et la région, mais également par une réorganisation du programme d’enseignement par semestre, afin d’être en cohérence avec le système LMD (licence -master-doctorat), issu du processus de Bologne.

Dans un certain nombre d’universités (médecine et pharmacie principalement), des conventions sont signées avec des écoles de commerces ou d’ingénieurs. C’est ainsi que sortent en France aujourd’hui des pharmaciens ingénieurs qui ont pu, à l’issue de leur formation de pharmacie, consacrer leurs deux dernières années à une formation en école d’ingénieurs pour acquérir également ce titre. Il existe également un système d’équivalence, bien entendu sur dossier aussi.

Le même dispositif existe avec la médecine, mais est plus compliqué car les études sont plus longues et à l’issue des 6 années de médecine se déroule l’internat, sur 4 ou 5 ans. Le moment le plus adapté dans les études de médecine pour faire cette double formation serait après la deuxième année ; cependant quitter médecine pour une formation d’ingénieur et reprendre ensuite médecine signifie une insertion professionnelle ultérieure, après 8 ou 10 années. Il demeure donc une vive interrogation sur la valeur marchande de cette seconde formation. Une des solutions serait de positionner cette formation quand les médecins arrivent en cours d’internat ou en post internat.

Si un ingénieur devient médecin et exerce la médecine libérale, sa double compétence est une véritable valeur ajoutée, aussi bien dans l’exercice de son activité professionnelle qu’en matière de formation. C’est bien là un des enjeux principaux des accords entre les universités et de très bonnes écoles, j’insiste là-dessus parce que nous pouvons espérer que nous aurons demain des cadres complémentaires avec une double formation et que ces cadres seront précieux pour le développement de nouvelles technologies en termes d’innovation.

CGE : De quelle manière peut-on envisager les collaborations interdisciplinaires dans le domaine de la santé ?

L.C. : Nous sommes dans un système globalement « tubulaire » car les études de médecine sont des études qui préparent, après un concours en fin de 1ère année, à un nouveau concours en fin de 6ème année : l’examen classant national. Ensuite vient le moment de l’internat pour acquérir une spécialité, au cours duquel certains s’orientent aussi vers la recherche, notamment ceux qui ont pour vocation de rester dans une logique universitaire ou de recherche et de développement. Cette dernière démarche étant dépendante du souhait de l’individu et de l’endroit où il effectue son parcours pour trouver les structures d’accueil d’un complément de formation, par exemple une  formation d’ingénieur. Pour les pharmaciens, en revanche, il existe depuis longtemps des collaborations pharmacie/management ou pharmacie/ingénieur dont je vous parlais tout à l’heure.

Les collaborations entre disciplines de santé sont plus complexes, même si certaines compétences sont quasi indispensables pour certaines spécialités. Le médecin spécialiste des maladies infectieuses, par exemple, doit être très bon aussi en microbiologie pour pouvoir aussi regarder dans un microscope et comprendre ce qu’il examine.

CGE : L’ingénierie de la santé est une industrie de pointe en France, pouvez-vous nous indiquer quelles approches retiennent votre attention, notamment parmi les domaines suivants : imagerie de diagnostic, assistance technique à l’être humain (prothèses, systèmes cardiaques…), monitoring et traitements ambulatoires pilotés ?

L.C. : Il manque un point central dans cette question que l’on a tous tendance à oublier : la chirurgie robotisée, c’est-à-dire toute la chirurgie assistée par ordinateur. La place du robot en la matière se développe très rapidement. C’est la chirurgie qui permet, par le « mariage » des ingénieurs, pour le robot, et de l’imagerie médicale, d’arriver à des interventions d’une extrême précision, pour la chirurgie du cœur par exemple.

L’imagerie de diagnostic est également essentielle, la technique et l’avenir de cette discipline sont bien circonscrits : obtenir plus de précision, passer du système 2D au 3D… Cependant d’autres domaines me paraissent importants en technique nouvelle, comme tout ce qui relève des nanosciences : il s’agit là de notre capacité à aller le plus près possible de l’organe, en attendant d’aller jusqu’à la cellule directement.

Parmi les autres domaines intéressants, celui des prothèses : couplage entre des techniques totalement différentes. Je connais bien l’une d’entre elles, à savoir l’implant cochléaire, concernant les sourds, à qui l’on implante une électrode dans l’oreille interne. Cette électrode va stimuler les neurones auditifs. Depuis des années plusieurs chercheurs considèrent que, puisque cette électrode est dans l’oreille interne, elle pourrait aussi délivrer une substance neurotrophique. Nous sommes donc ici à un carrefour de compétences métier entre, d’un coté, le traitement du signal qui demande des formations en électronique de haut niveau et, d’un autre coté, ce qui est vraiment du domaine de la pharmacie, avec la capacité de distribuer des produits simultanément.

CGE : Quels sont selon vous les enjeux nationaux liés à la formation au management des établissements de santé ?

L.C. : Question difficile en soi car les attentes de certains sont celles du management d’une entreprise. Cependant, il ne me paraît pas pertinent de privilégier le management des établissements par rapport à la connaissance des métiers de la santé. Il serait préférable d’avoir des managers qui, à la base, connaissent les problématiques de la prise en charge d’un patient – j’entends par là les contraintes de prise en charge réelles et un vécu au quotidien – pour être en mesure de manager au mieux un établissement de santé. Cette double compétence existe mais se fait rare. C’est la donnée centrale à intégrer, c’est-à-dire la diffusion d’une information plus exhaustive sur ce qu’est le quotidien du fonctionnement des métiers de la santé pour ceux qui vont en manager les établissements. Pour cet enjeu essentiel, nous ne pouvons que faire confiance aux écoles qui forment au management. Le moins que l’on puisse dire, c’est que nous avons des écoles de grande qualité en France pour former les directeurs des hôpitaux.

CGE : En matière d’épidémiologie, comment voyez-vous la mise en œuvre des outils de fouille de données (datamining) dans une collaboration d’experts de la santé et des mathématiques ?

L.C. : Aujourd’hui, nous avons deux problématiques en France. La première est en cours de traitement par l’approche du grand emprunt, pour la réalisation des études épidémiologiques de cohortes de grande taille sur des longues durées. Nous étions un pays où le suivi d’un groupe de sujets sur 30 ou 50 ans était un véritable casse-tête jusqu’à présent. La seconde est liée au traitement des données recueillies ainsi : nous sommes ici dans la pleine expression du métier des spécialistes de statistiques ou de mathématiques appliquées. La collaboration et les passerelles entre nos métiers d’experts de la santé et ces métiers du traitement de l’information donneront alors tout leur sens pour rationaliser les objets de recherche et les effets ou les perspectives des résultats obtenus.

CGE : Quel est selon vous le ou les sujets les plus prometteurs dans les collaborations entre santé et  ingénierie ?

L.C. : J’évoquais tout à l’heure la robotique. Le robot me paraît vraiment l’exemple typique du potentiel de progression que nous avons en matière de problématique de santé et de collaboration avec les disciplines de l’ingénierie. Les nanotechnologies sont aussi un très bon vecteur de la recherche fondamentale. Enfin, n’oublions pas la télémédecine qui mérite toutes les attentions comme le développement de l’imagerie de diagnostic.

En conclusion, je maintiens qu’en France nous avons des formations de santé de haut niveau, des écoles de haut niveau, que ce soient les écoles d’ingénieurs, de management ou d’autres disciplines. Encourager les doubles cursus doit être une priorité pour la polyvalence, l’ouverture intellectuelle et professionnelle de nos futurs praticiens.

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