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George Asseraf, Président de la CNCP (Commission nationale de la certification professionnelle)

CGE : D’une manière générale, quelle est votre image de l’enseignement supérieur français dans les…
Publié le 3 septembre 2010
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CGE : D’une manière générale, quelle est votre image de l’enseignement supérieur français dans les grandes écoles et les universités ?

G.A. : Il y a des enseignements supérieurs en France puisqu’il y a une multitude d’établissements d’enseignement supérieur. Il y a des sous-systèmes : celui des universités et celui des grandes écoles. Les principes généraux visent à atteindre des niveaux de qualité importants et, aujourd’hui, l’enseignement supérieur s’oriente dans le sens d’une dimension professionnelle plus marquée que par le passé. Elle était forte dans certaines formations, elle était forte dans certaines écoles, elle tend à se généraliser, y compris dans les universités. C’est une orientation qui devient commune même si un certain nombre d’universités et de grandes écoles avaient déjà adopté cette démarche. L’esprit des facultés de médecine ou de droit possède depuis longtemps des marqueurs professionnels, que les grandes écoles, par leurs liens avec les entreprises, ont totalement intégrés. C’est une évolution culturelle assez notable, qui complète de manière pertinente le socle de base de notre enseignement supérieur traditionnel.

Les PRES (Pôles de recherche et d’enseignement supérieur), par ailleurs, sont une très bonne initiative face aux difficultés qu’un établissement d’enseignement supérieur rencontrera, parce qu’il n’atteint pas la taille critique pour pouvoir concurrencer d’autres grands établissements à l’étranger. La dimension collective est primordiale pour la visibilité des travaux de recherche. Si on reçoit un prix Nobel dans un laboratoire, c’est souvent l’intitulé du laboratoire qui remonte dans le classement de Shanghaï et non pas le nom de l’établissement rattaché, d’où un morcellement de la dimension culturelle et identifiée du lieu où l’on exerce son activité. Les PRES vise à éviter cet écueil en privilégiant une lecture collective de notre capacité à réfléchir et à former, dans une logique de distinction du lieu où l’on travaille, notamment dans les perspectives de reconnaissance internationale et d’attractivité.

La dimension nationale est dépassée. Aujourd’hui, le marché s’étant mondialisé et compte tenu de notre démographie, il faut pouvoir attirer des étudiants étrangers pour les former à notre excellence, et en même temps en faire des relais pour demain. Un mouvement très positif s’est amorcé, dont je pense qu’il peut apporter une grande valeur ajoutée à l’enseignement supérieur en France. Les grandes écoles s’inscrivent d’ailleurs dans un schéma de complémentarité en  participant davantage aux PRES pour construire des passerelles entre les parcours : entre universités, écoles d’ingénieurs et écoles de commerce. Une synergie extrêmement intéressante et forte, qui ne peut qu’être bénéfique à tout le monde. Autant  il y a quelques années, on pouvait avoir peur de cette une vision tout à fait malthusienne d’un effet de concurrence entre des établissements qui se rapprochaient, autant cette logique est révolue aujourd’hui : c’est bien la démographie qui a siphonné les étudiants. Donc le seul moyen de les attirer là où ils sont, c’est de pouvoir revendiquer une force, une identité, une capacité de travail, avec des pôles d’excellence et de formation très diversifiés et des passerelles pertinentes.

CGE : Plus particulièrement concernant les symboles et caractéristiques des grandes écoles, quelles en sont, selon vous, les valeurs distinctives et ajoutées vis-à-vis des concurrents anglo-saxons notamment ?

G.A. : Je crois qu’elles commencent à être lues : quand on regarde les classements internationaux, on voit bien que nos écoles, certaines d’entre elles au moins, sortent la tête de l’eau. Et parfois, pas forcément celles qu’on avait identifiées au plan national. Si elles émergent au niveau international, c’est qu’elles ont su alerter, sensibiliser et convaincre par un signal fort. Parmi les arguments qui frappent, la recherche est fondamentale pour accentuer les vertus de la construction, de l’adéquation avec les attentes du marché du travail et de l’innovation.

Cette articulation entre monde du travail et monde de l’enseignement est une dimension intégrée depuis longtemps par les grandes écoles et qui posera indéniablement les jalons d’une offre durable et concurrentielle vis-à-vis de nos homologues anglo-saxons.

CGE : Vous êtes très sensible aux passerelles entre les formations et les besoins des entreprises. La Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) dans l’entreprise peut-elle apporter des solutions en ce sens ?

G.A. : Je crois qu’on ne peut rien prévoir mais qu’il faut anticiper : quelles compétences seront davantage recherchées demain, quel sera l’évolution des métiers stratégiques d’aujourd’hui. Les prochaines innovations vont mettre en difficulté de nombreux pans de notre activité économique et vont en développer d’autres. Anticiper ces phénomènes, c’est s’appuyer sur de la prospective et non pas sur de la prévision à moyen et à long terme. La prospective s’appuie sur des travaux qui sont en discussion avec le monde professionnel, c’est une démarche nécessaire pour modéliser une organisation du travail lisible par tous. La GPEC est un outil qui nous permet de dessiner des pistes potentielles en ce sens. La validation des acquis de l’expérience (VAE) est une approche similaire. C’est un outillage exceptionnel pour essayer d’identifier, de repérer les compétences que possèden les salariés. La perspective c’est bien sûr une reconnaissance individuelle, personnelle, une victoire sur soi et une valorisation de son parcours.

En 2007, nous avons produit avec le Centre d’Analyse Stratégique une réflexion sur les métiers de 2015. Parmi les grandes tendances démographiques et les évolutions sectorielles que nous avons décelées, il y en a une qui est assez préoccupante : l’échec scolaire. Pour beaucoup d’hommes cette situation se traduisait ensuite par de grandes difficultés d’insertion, voire une insertion dans des activités d’ouvriers non qualifiés. Or, les industries correspondantes se délocalisent ou disparaissent. C’est-à-dire que ce « réceptacle naturel » pour des gens en situation d’échec, et notamment des hommes, disparaît. Or les métiers et les activités non qualifiés qui se développent à l’horizon 2015, ce sont les emplois de service et les services à la personne. Et nous savons que ces emplois sont couverts à 90-95 % par des femmes. Comment articulerons-nous les conséquences de cette évolution ? Entre 120 000 et 150 000 jeunes sortent du système éducatif sans qualification. Quelle proportion 10 ans après ? Si ces chiffres ne sont pas assez significatifs, celui de 1 500 000 attire peut-être plus l’attention ! Une prise de conscience collective est indispensable, pour que ces situations soient traitées et surtout anticipées. La GPEC, la VAE ou tout autre dispositif de prospective doivent se mettre au service de l’action.

CGE : La CGE fête cette année les 25 ans des Mastères spécialisés, des formations post-diplômes à orientation professionnelle. Vous connaissez bien ces formations depuis la signature d’une convention entre la CNCP et la CGE. Votre approche du renforcement entre les certifications professionnelles qualifiantes et le monde du travail est-elle enrichie par ce type de formation ?

G.A. : Les Mastères spécialisés montrent bien que l’on peut avoir une dimension professionnelle forte et en même temps rechercher le niveau de certification le plus élevé possible. Cette réflexion collective est essentielle, pour nous mettre en situation de concevoir que l’insertion est une dimension très importante de la finalité d’un parcours de formation. Se former ce n’est pas seulement enrichir son esprit ; c’est aussi disposer de moyens, d’outils, d’armes personnelles, de potentiels pour devenir autonome sur le plan économique, c’est-à-dire s’insérer professionnellement et évoluer. Ce courant, iancé par la Conférence des Grandes Écoles, doit se poursuivre pour que chacun prenne conscience de cette dimension professionnelle.

Les Anglo-saxons ont une très jolie expression pour exprimer cette notion « main streaming ». L’ensemble des procédures et des moyens mis en place pour élever les niveaux de qualification et donc le potentiel individuel d’insertion professionnelle forment le socle de l’élévation du niveau de qualification collectif d’un pays. Les partenaires sociaux eux-mêmes se sont donné comme objectif d’augmenter, dans le cadre d’un parcours professionnel tout au long de la vie, le niveau de qualification d’au moins un million de certifications. L’objectif d’un niveau 5 sera de passer en niveau 4. et celui du niveau 2 d’atteindre un niveau 1, par exemple. Il est important que tous les acteurs, composantes d’un même système, produisent le même effort dans le même sens.

CGE : De 2001 à 2004, vous avez piloté le projet européen « professionnalisation durable », pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce concept et de quelle manière il a évolué jusqu’à aujourd’hui ?

G.A. : Ce projet nous a permis de développer deux axes. D’une part, c’est une boîte à outils, qui permet de construire des diplômes à finalité professionnelle, quel que soit le niveau. D’autre part, dans un univers où l’on nous disait qu’il était impossible de bâtir des diplômes entre acteurs différents de pays différents, compte tenu de leurs systèmes spécifiques respectifs, nous avons montré que l’éventail des possibilités était large. 7 pays ont participé à sa construction et 9 pays ont signé l’accord sur le sujet fin janvier 2000. La dimension de ce projet est multiple : cette boîte à outil est utilisée aujourd’hui, par exemple, dans des pays d’Amérique centrale et latine. Ils s’approprient nos approches dans le cadre de partenariats et les personnalisent pour être en parfaite adéquation avec leurs besoins de qualification et de compétences et pour optimiser également l’insertion professionnelle locale ou internationale. Cela permet d’intégrer toutes les dimensions du développement, y compris la recherche. L’intérêt de la méthodologie, c’est qu’elle n’accentue pas les contenus, mais elle décrit quels sont les acteurs qu’il faut réunir, comment il faut articuler leurs points de vue et comment les accompagner dans la démarche.

Chaque nouvelle expérience qui s’inspire du projet initial, enrichit d’autant la boîte à outil et donc profite à la collectivité.

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