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Ingénieur, travail et santé : qui est concerné ? Par W. Dab, J.L. Bonnet, L. Théveny, M. Plawner, D. Vacher, H. Lanouzière, P. Bielec, J. Bernon

La réponse à cette question est simple : tous les ingénieurs sont concernés. L’explication de…
Publié le 7 janvier 2012
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La réponse à cette question est simple : tous les ingénieurs sont concernés. L’explication de la réponse est moins simple. Certes, on peut facilement arguer que la compréhension des relations entre l’Homme et le travail est nécessaire pour tous ceux qui sont chargés d’organiser des processus de production, que c’est un élément de base dans la panoplie des outils que les ingénieurs mobilisent quelle que soit leur spécialité de même que la statistique, l’informatique, l’anglais, etc.

Pression de changement et crise du travail : le rôle de l’incertitude

Cela fait deux ans que le Réseau francophone de formation en santé au travail  a été créé pour concevoir et partager des outils pédagogiques afin que des non-spécialistes puissent s’approprier les connaissances et les compétences de base dans ce domaine. Compte tenu des missions du Cnam, une attention particulière est portée au public des ingénieurs. Cette expérience montre qu’on ne peut pas convaincre de la nécessité de s’intéresser à la santé au travail avec des arguments aussi généraux. En réalité, il convient de nommer clairement deux enjeux qui ne sont pas intellectuels. Le premier est que la notion de travail est en crise. Tout particulièrement en France, il est pris comme une source de souffrance avant d’être un facteur de réalisation individuelle et collective. Partant, cette situation obère la performance des équipes. Ni les employeurs ni les employés n’y trouvent leur compte. Les signaux qui permettent d’alerter sur la gravité de la situation sont nombreux : une multiplication de livres et d’articles de journaux sur « le travail qui rend fou », « le travail qui tue », le harcèlement, les risques psychosociaux, les sacrifiés de l’amiante, etc. On note aussi une sévérité croissante du Juge qui recourt de plus en plus souvent à la qualification de faute inexcusable de l’employeur, laquelle a un impact financier considérable.

Le second enjeu est que, alors que les entreprises sont soumises à une pression de changement forte pour s’adapter en permanence à la rapidité des évolutions sociales, économiques et technologiques, les cas d’échecs de stratégies de changement se multiplient.

Certes, un ingénieur peut se dire que rien de tout ceci ne le concerne. Il y a un Code du Travail à appliquer, des DRH pour animer les instances qui ont à connaître des conditions de travail, des contraintes concurrentielles qui s’imposent (« produire ou subir »), des médecins du travail pour veiller à la protection de la santé. L’ingénieur, lui, doit avant tout concevoir et mettre en œuvre des systèmes de production efficaces et rentables. A ce stade, c’est-à-dire la conception, son rôle est essentiel dans sa capacité (ou non) à prendre en compte tous les attendus des parties intéressées : qualité du produit final, coût du process dans son acception globale et non immédiate, respect de l’environnement, respect de la santé des opérateurs, maintenance simplifiée et aisée, etc. Les choix retenus induiront directement la survenue de risques dans l’entreprise : leur suppression à la conception est encore la meilleure façon de les gérer !

Il y a ici une question centrale : celle de l’incertitude. Nous vivons dans un monde qui forme un mélange paradoxal de maîtrise des risques et d’insécurité. Les ingénieurs devraient savoir que l’incertitude perçue est un déterminant premier de l’inquiétude et que l’inquiétude est un important facteur de risque pour un ensemble de problèmes de santé qui ne sont pas uniquement d’ordre psychologique. C’est pourquoi, le travail de l’ingénieur ne peut pas seulement consister à concevoir des outils techniques. S’il ne réalise pas que son rôle est aussi d’être un réducteur d’incertitude, alors les projets d’investissement les plus pertinents peuvent se transformer en fiascos.

Ce qu’il faut bien voir, c’est que pour atteindre un objectif d’efficacité et de rentabilité, il ne suffit pas de s’intéresser aux machines, aux systèmes d’information ou aux indicateurs économiques. Il y a une exigence de bien-être au travail qui n’est pas un caprice dans une société dans laquelle les besoins vitaux sont globalement satisfaits. Il y a des défis qui ne peuvent pas être relevés sans que les équipes soient motivées. Les études des relations entre le travail et l’Homme montrent que cette motivation est liée au sens donné au travail, à la fierté de contribuer à un travail bien fait, au respect et à la considération reçue, au sentiment de justice et de cohésion dans le collectif de travail. En fait, aucun système de production ne peut fonctionner durablement sans que soit pris en compte le facteur humain. Et ce n’est pas une variable d’entrée parmi d’autres. C’est la condition du succès des projets.

La posture managériale favorable à la santé

Le référentiel de compétences en santé au travail pour ingénieurs et managers qui est utilisé par le RFFST n’est pas seulement une liste de sujets à maîtriser pour concilier travail et santé. Il découle d’une analyse globale du rôle de tous ceux qui ont des responsabilités d’encadrement. Ce rôle peut se définir en termes de posture managériale, c’est-à-dire d’un ensemble de pratiques qui sans perdre de vue les objectifs de production, permettent une gestion humaine des ressources.

Il faut ici commencer par déculpabiliser ceux qui ont des responsabilités d’encadrement. Ils n’ont pas un rôle fondamentalement toxique. Au contraire, leur action est essentiellement protectrice et lorsque ce n’est pas le cas, cela résulte le plus souvent de conséquences involontaires dont il faut avoir conscience pour les éviter.

Dans son rapport pour les ministres chargés du Travail et de l’Enseignement supérieur1, William Dab faisait comme premier constat qu’« il est possible d’identifier un noyau minimal de compétences pouvant servir de socle pédagogique, pour permettre la prise en compte de la relation travail-santé en situation de management ». L’accent doit être mis sur les compétences permettant d’assurer les rôles professionnels des cadres plutôt que sur les connaissances techniques relatives aux risques professionnels. C’est pourquoi, le référentiel de compétences est structuré par la notion d’une nouvelle posture managériale ayant pour finalité de créer de la confiance, de la cohésion et de la motivation dans les équipes de travail afin de développer une culture collective et individuelle alliant promotion de la santé et performance globale.

Il est important de réaliser l’existence d’un mimétisme managérial qui est puissant au quotidien. La posture managériale n’est pas un « plus » qui permet de mieux vivre ensemble dans l’équipe : c’est un attendu à part entière de la performance. L’absence d’accident et de maladie ne s’obtient pas seulement par la traduction de la responsabilité générale de résultat faite à l’employeur (une organisation efficiente, des équipements et une formation adaptés, des règles pertinentes, etc.). Elle appelle également à ce que les membres de l’équipe, de l’entreprise, partagent leurs difficultés au travail, voire leurs erreurs, pour les comprendre, les analyser et trouver des solutions pérennes bénéficiant à toute l’équipe, à l’entreprise.

Les compétences qui comptent dans cette perspective sont de réduire l’incertitude liée au changement, de veiller à l’adaptabilité des collaborateurs, de créer un contexte propice au dialogue et à l’écoute, de savoir donner un sens aux changements nécessaires et d’anticiper leurs impacts humains. Cet aspect a été souligné dans le rapport de MM. Lachmann et Larose et de Mme Pénicaud, remis en 2010 au Premier ministre2. Les auteurs rappellent la nécessité pour l’entreprise d’intégrer ces nouveaux enjeux dans sa culture de travail. Dans leurs propositions, ils insistent sur le fait que la santé des salariés est d’abord l’affaire des cadres et qu’il est devenu indispensable d’anticiper et prendre en compte l’impact humain des changements.

Un référentiel de compétences en Santé et Sécurité au Travail

Cette posture favorable à la santé n’est pas un chapitre spécialisé de l’aptitude à l’encadrement. Elle sert de façon transverse le bon exercice de trois macro-compétences :

1. Repérer dans l’entreprise les enjeux humains, sociaux, économiques et juridiques de la Santé-Sécurité au Travail

Les entreprises disposent de nombreux indicateurs de santé au travail qui doivent être intégrés dans les processus de pilotage des projets et être utilisés à des fins de veille permanente afin d’anticiper les risques liés aux différentes situations de travail. Il n’est pas rare aujourd’hui qu’un ingénieur dispose d’une délégation formelle ou informelle de son employeur pour assurer la responsabilité des activités de son site ou de son unité de production. Pour assurer ce rôle de délégataire, il doit disposer de connaissances réglementaires et juridiques en plus des moyens techniques et financiers.

Par ailleurs, l’ingénieur est au cœur de réseaux internes (délégués du personnel, membres du CHSCT, médecin du travail, hygiénistes, qualiticiens, etc.) et externes (Inspection du travail, CARSAT3 , INRS4 , ARACT5 ,…) qui peuvent le contrôler, mais aussi le conseiller. Il doit pouvoir les repérer.

Appréhender ces différents enjeux de la santé au travail nécessite une approche pluridisciplinaire qui ne relève pas seulement de la médecine, mais aussi de la psychologie, de la sociologie des organisations, de l’ergonomie ou encore de l’épidémiologie.

2- Intégrer la Santé-Sécurité au Travail dans la gestion de ses activités et la conduite de ses projets

Si la protection et la promotion de la santé au travail sont pluridisciplinaires, elles relèvent d’outils d’évaluation des risques et de stratégies de prévention qui sont encadrés par une directive européenne comportant neufs principes d’application universelle. Ces principes sont structurants aussi bien dans une activité quotidienne de production, que dans les actions de conception situées en amont des processus de production.

Sans en être un spécialiste, l’ingénieur doit les connaître pour pouvoir mobiliser à bon escient les différentes spécialités qui concourent à la prévention des risques de sorte que ceux-ci soient pris en compte le plus en amont possible. Notamment le premier principe, la suppression des risques, est comme nous l’avons vu plus haut stratégique à prendre en compte par cet acteur dont le rôle s’exerce pour beaucoup en amont des procédés et des process.

3. Contribuer au management de la Santé-Sécurité au Travail dans l’entreprise

Les systèmes de management intégré associant qualité, sécurité et environnement (QSE) ont largement contribué à faire évoluer l’organisation des entreprises. Aujourd’hui, la gouvernance de l’entreprise est interrogée pour aller plus loin et permettre de disposer de décisions arbitrées évitant le plus possible les injonctions paradoxales issues jusqu’alors la plupart du temps d’une gestion « en silo » des domaines. On vient à considérer que la santé au travail, par les pratiques qu’elle appelle, est un véritable outil de management, permettant de développer les capacités d’écoute ascendante et descendante, et ainsi de créer des espaces de dialogue et de lien social, servant de fait, non seulement le respect de la santé des salariés, mais aussi (et surtout !) la performance globale de l’entreprise .

C’est avec ce cadre référentiel que le RFFST offre une boîte à outil pour :

  • adapter le référentiel commun de compétences en santé au travail aux besoins du monde de travail,
  • mettre gratuitement à disposition des outils pédagogiques.

Les organismes de formation supérieure (CGE, CTI, CPU) se sont engagés au sein du réseau permettant à cette nouvelle culture de diffuser rapidement. Ce qui est fondamentalement en jeu, c’est de réaliser qu’une condition du succès des entreprises est de faire du travail une source de santé plutôt que l’inverse.

Nous invitons les ingénieurs à venir partager leurs expériences au sein du réseau. Toute une gamme d’engagements (de la relecture de documents à la participation à des groupes de travail en passant par le mode wiki) est possible. Dans ce domaine, il n’y a pas ceux qui savent d’un côté et ceux qui doivent apprendre de l’autre. C’est dans l’expérience collective que se construit la performance des entreprises et la santé de ceux qui y travaillent, y compris… celle des ingénieurs.

William Dab CNAM / Chaire d’hygiène et sécurité
Jean-Luc BonnetCNAM / Chaire d’hygiène et sécurité
Laurent ThévenyINRS
Martine Plawner INRS
Dominique VacherCNAM / Chaire d’hygiène et sécurité
Hervé Lanouzière – DGT
Philippe Bielec – CNAMTS
Jack Bernon – ANACT

1) W. Dab, « Rapport sur la formation des managers et ingénieurs en santé au travail », mai 2008.
2) H. Lachmann, C. Larose, M. Pénicaud, « Bien-être et efficacité au travail », février 2010.
3) Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail

4) Institut National de Recherche et de Sécurité
5) Association régionale pour l’amélioration des conditions de travail

 

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