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Jean Le Bousse, président de l’Union des professeurs de langues des grandes écoles (UPLEGESS)

Agrégé d’anglais, enseignant et responsable du département Langues et Cultures à Chimie ParisTech (ENSCP) depuis…
Publié le 22 novembre 2011
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Agrégé d’anglais, enseignant et responsable du département Langues et Cultures à Chimie ParisTech (ENSCP) depuis 1983 ; chargé de cours, anglais et communication, à l’ESPCI ParisTech depuis 1984 ; Jean Le Bousse est élu président de l’UPLEGESS en juin 2000 puis réélu en 2003, 2006 et 2009. Initiateur (sept 2004) et coordinateur du groupe de travail « Langues » de la commission Formation de la CGE, il travaille notamment sur les thèmes suivants : démarche qualité, évaluation et certification, démarche compétences en rapport avec le cadre européen (CECRL), recherche-action en didactique des langues, TICE, l’international, l’interculturel… En tant que président de l’UPLEGESS, il entretient également un dialogue annuel régulier avec la CTI, et en particulier avec la commission Formation, sur les thèmes liés aux langues, aux cultures, à l’interculturel, aux compétences, à l’évaluation et à la certification. Il est par ailleurs initiateur en 2010 d’un dialogue avec le président de la CEFDG,  Frank Bournois, afin de faire évoluer les critères d’évaluation des formations en langues, cultures, et interculturel dans les écoles de management.

CGE : Vous présidez l’UPLEGESS qui oeuvre pour promouvoir l’enseignement des langues étrangères. Pouvez-vous dresser un état des lieux en matière de pédagogie et de technologie ?

J-L.B. : La question de la pédagogie de l’enseignement des langues mériterait un long développement. Depuis le début de ma carrière, j’ai pu découvrir et utiliser nombre de démarches dites innovantes : méthodes audiovisuelles, NTIC, pédagogie par projet, pour n’en citer que quelques-unes. Mon expérience montre qu’il est idéal d’utiliser des méthodes et des outils différents suivant les thèmes et les situations. Les méthodes sont adaptées à des objectifs, des situations et des thèmes pédagogiques différents et complémentaires.

Je pense que le CECRL, « Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer », du Conseil de l’Europe donne de bonnes réponses équilibrées en recommandant le blended learning : enseignement en présentiel indispensable, complété par du e-learning tutoré. Le CECRL recommande aussi une pédagogie actionnelle, task-based teaching, learning by doing. L’objectif est bien entendu de développer des connaissances, mais surtout des compétences.

En cela, les thèmes de réflexion actuels de l’UPLEGESS et de la CGE lors de son récent colloque de Lyon se recoupent. Le 39ème congrès UPLEGESS qui a eu lieu à Montpellier SupAgro fin mai 2011 avait pour thème : « Enseignement des langues et approche par compétences : Quelles complémentarités ? Quels défis ? ». Nous avons exploré ce thème avec des spécialistes, des chercheurs, des enseignants et aussi avec des représentants de la CGE, de la CTI et du monde de l’entreprise (VEOLIA Eau).

Dans les écoles, les enseignements de langues et cultures préparent aux stages industriels. Ces enseignements sont eux-mêmes renforcés par les stages à l’étranger et les séjours académiques dans le cadre d’échanges, de partenariats et de doubles diplômes, qui se développent aujourd’hui. Sans oublier l’apport très enrichissant des étudiants internationaux qui intègrent de plus en plus nos écoles.

La dimension internationale des écoles est un facteur de richesse et de renforcement de l’efficacité de nos enseignements. Tous ces éléments concourent à former des ingénieurs et des managers capables de communiquer et de travailler dans des contextes multiculturels, et d’en comprendre le fonctionnement et les enjeux.

Pour une exploration plus développée des évolutions pédagogiques, je vous invite à participer au prochain congrès de l’UPLEGESS qui aura lieu aux Arts & Métiers ParisTech, les 6, 7, 8 et 9 juin 2012. Ce sera un congrès exceptionnel, en tant que 40ème congrès de l’UPLEGESS, un anniversaire important pour notre association. Le thème sera la mise en perspective de notre métier et des évolutions pédagogiques des 40 dernières années, un état des lieux. Nous explorerons aussi les nouvelles caractéristiques de notre environnement, de notre métier, des élèves et de leurs parcours et les pédagogies innovantes à développer.

CGE : Certains parlent de méthodes infaillibles, d’autres exposent leurs statistiques de réussite, d’autres ne jurent que par l’immersion totale… Les Français ont-ils, en ce sens, vraiment plus de difficultés que leurs voisins européens pour l’apprentissage des langues ?

J-L.B : Concernant les difficultés spécifiques des Français face à l’apprentissage des langues, je ne pense pas qu’ils soient par nature moins aptes que leurs voisins européens. Les élèves qui sortent de nos écoles sont capables de travailler en anglais et dans au moins une autre langue. Nous avons développé des pédagogies actives en présentiel, du e-learning tutoré en complément, pour remédiation ou travail à distance lors de stages ou de séjours à l’étranger. L’application professionnelle des enseignements en immersion est bien sûr un facteur de progrès décisif.

Pour terminer le panorama, jusqu’à aujourd’hui, nous avons dans les écoles de bonnes conditions de travail avec des groupes de taille modérée, des outils pédagogiques accessibles, des élèves sélectionnés et, point essentiel, motivés par leur projet professionnel.

Dans le parcours éducatif qui précède les grandes écoles, il faudrait pouvoir éviter les classes surchargées afin de développer les 5 compétences du CECRL : la compréhension écrite et la compréhension orale, mais surtout la production écrite et orale et l’interactivité du dialogue. Il faut entraîner les élèves à produire et à interagir. Il faut donc aussi en complément un système de validation des connaissances adapté, des examens comme le baccalauréat qui devraient systématiquement comporter de l’écrit et de l’oral.

Il faut aussi développer une attitude pédagogique plus anglo-saxonne : l’élève doit être mis en confiance et on doit valoriser la prise de risque, l’expérimentation et l’erreur qui permettent d’apprendre. L’élève doit oser s’exprimer, communiquer. Si le message est correct, c’est bien. S’il ne l’est pas, c’est bien aussi, car, comme dans la démarche expérimentale des scientifiques, l’erreur analysée permet de comprendre, d’apprendre et de progresser.

L’accès quotidien aux langues et aux cultures pourrait être aussi facilité par des chaînes de télévision gratuites en langues étrangères.

Enfin, à quoi bon commencer tôt cet enseignement des langues s’il n’est pas assuré dans de bonnes conditions de qualité, d’authenticité, avec suffisamment d’heures et de moyens et s’il est ensuite abandonné jusqu’au collège.

CGE : Quelle est la nature des freins qui existent encore pour ces apprentissages et les enjeux qui mobilisent toute votre attention ?

J-L.B : Sans entrer dans les détails, il est nécessaire d’observer les changements que les écoles rencontrent et d’évoquer ce que cela implique. L’environnement technologique dans lequel sont baignés nos élèves des pays développés depuis leur plus jeune âge (Internet, les iphones, ibooks, réseaux sociaux et autres jeux vidéos) ne change-t-il pas profondément leur façon de lire, écrire, communiquer, apprendre, mémoriser ? Les chercheurs en neurobiologie et en psychosociologie étudient en ce moment ces digital natives. Il sera utile de dialoguer avec eux pour imaginer des méthodes pédagogiques innovantes et nous adapter à ces nouveaux élèves. Ce sera l’un des thèmes de notre prochain congrès de juin 2012.

Autres facteurs à prendre en compte : l’internationalisation des marchés, des enseignements, l’afflux d’élèves avec de nouveaux profils ; nouveaux profils d’élèves français, grâce au développement de l’ascenseur social, des passerelles entre écoles et IUT, universités, autres écoles françaises, VAE, apprentissage en alternance ; nouveaux profils d’élèves internationaux venant d’universités étrangères. Avec les partenariats et les PRES, des élèves des écoles d’ingénieurs complètent leur formation dans les écoles de management et on commence à également observer l’inverse : les ingénieurs vont devoir devenir des managers et certains managers éprouvent le besoin de développer des compétences scientifiques. Dans ce contexte, les différences entre les formations en langues et cultures des écoles d’ingénieur et de management vont sans doute s’estomper, au profit d’une plus grande transversalité.

Les écoles et les enseignants vont devoir s’adapter au nombre plus important d’élèves et à la plus grande diversité de leurs profils, afin de réussir la formation de ces élèves. C’est un challenge considérable.

En complément essentiel de ce constat, la crise économique provoque une plus grande concurrence et une diminution des moyens. La tentation est alors grande pour certaines écoles de « se concentrer sur leur cœur de métier », science ou management, et de vouloir faire des économies sur ce qui peut sembler – à tort – une formation secondaire. Dans ce contexte, le danger est grand pour les décideurs des écoles de perdre les repères quant aux compétences nécessaires à développer pour former les ingénieurs et les managers de demain. Il est tentant de vouloir instrumentaliser et réduire la formation en langue à un outil-langue basique. Une dérive est de réduire de façon drastique la formation en présentiel et de la compléter ou même parfois de la remplacer complètement par une formation, dite moderne et innovante, en autoformation avec des ordinateurs. On oublie que, pour que cette méthode fonctionne, il est nécessaire d’investir en temps et en argent dans un suivi personnalisé des élèves avec des tuteurs. Quand ces tuteurs existent, ce sont parfois des enseignants peu diplômés et sous payés. Le résultat importe peu et on se décharge sur les élèves qui doivent assumer leur propre formation. Faire acquérir de l’autonomie est une bonne chose, mais la démarche décrite va à l’encontre de l’ouverture, de l’ascenseur social et de l’aide nécessaire aux profils différents.

Les recommandations du CECRL du Conseil de l’Europe et de la CTI

CECRL : « Utiliser une langue dans la vie courante et professionnelle implique « savoir communiquer » . C’est une compétence complexe qui implique la mobilisation active de « savoir« , « savoir faire » et de « savoir être », (plus) « savoir apprendre« . Le CECRL ajoute « l’importance de la sensibilisation à la culture, aux cultures, à la compréhension de l’autre, compréhension du monde par l’intermédiaire de la formation et de l’expérience (séjours, stages, études à l’étranger). On recommande une « pédagogie actionnelle » (learning by doing, task-based teaching) et une formation professionnalisante . »

CTI, Références et Orientations, Cahier complémentaire, janvier 2010, 3.2.6 : La pratique des langues : « La première exigence de la dimension internationale de la formation d’ingénieur est l’acquisition de la pratique des langues étrangères dans le cadre de mises en situation professionnelle qui inclut les dimensions linguistique, culturelle et interculturelle. A ce titre les écoles doivent être dotées d’une véritable stratégie de l’apprentissage des langues basées sur les compétences attendues des futurs ingénieurs. Les objectifs de niveau, en référence aux niveaux définis par le cadre européen (..), et de certification doivent être inscrits dans le règlement des études.

La pédagogie comporte des cours en présentiel avec un volume horaire suffisant complété éventuellement par du e-learning avec suivi et du coaching. Un séjour à l’étranger dans un contexte académique ou en entreprise est très fortement recommandé. Les acquis de la formation sont à mesurer à partir :

  • du développement des compétences de communication professionnelle : aptitude à communiquer et à agir dans un environnement international ;
  • de la mise en situation : soutenances en langues étrangères, exposés, débats, simulations d’entretiens…;
  • de la relation établie entre maîtrise de la langue et approche culturelle et interculturelle.

Les enseignements scientifiques et techniques en langue étrangère sont à encourager dans l’objectif d’une complémentarité avec les enseignements linguistiques classiques. A cet égard, les écoles doivent veiller au bon niveau linguistique des enseignants. »

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