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La plasticité du principe méritocratique. Pourquoi sélectionne-t-on différemment en France, en Angleterre et en Suède ? par Nicolas Charles, Maître de conférences

Les inégalités d’accès aux études supérieures demeurent importantes bien que les politiques publiques cherchent à…
Publié le 22 février 2016
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Les inégalités d’accès aux études supérieures demeurent importantes bien que les politiques publiques cherchent à garantir une compétition équitable, via notamment une sélection à l’entrée sur une base méritocratique. Cette uniformité apparente du principe méritocratique masque néanmoins une interprétation très variable ce que recouvre le mérite dans les trois pays étudiés (Angleterre, Suède et France), ce qui nous en dit long sur la conception de la justice sociale propre à chaque système d’enseignement supérieur (voir « Enseignement supérieur et justice sociale. Sociologie des expériences étudiantes en Europe » .

En Suède, la logique méritocratique est imprégnée par la visée égalitaire de la société. Toutes les formations supérieures recrutent leurs étudiants à partir de deux procédures principales, la moyenne générale au lycée et le test national d’aptitude, qui évaluent différemment le mérite des individus. La coexistence de ces deux procédures d’accès rend le jugement sur le mérite individuel moins absolu, pour au moins deux raisons.
D’une part, la dualité des procédures de sélection promeut l’idéal de la seconde chance : en cas de difficultés scolaires au lycée, le test national d’aptitude offre une nouvelle chance d’accéder à l’enseignement supérieur. D’autre part, en montrant qu’aucune procédure de sélection ne permet de juger parfaitement du mérite des individus, ces deux procédures parallèles contribuent à délégitimer le principe méritocratique, à la faveur de l’idéal égalitaire. Il en va ainsi du modèle suédois : conserver les grands principes méritocratiques, mais les mettre en œuvre dans le but de relativiser leur portée réelle.

En Angleterre, la logique méritocratique peut être considérée comme pragmatique, en raison de son attachement aux conséquences réelles du principe méritocratique et non à l’idéal qu’il recouvre. La méritocratie scolaire joue certes un rôle central dans la sélection, mais tout concourt à ne négliger aucune forme de mérite. Ainsi, les procédures de sélection, basées sur une logique individualiste, dans laquelle le mérite des candidats est évalué à l’aune de leur potentiel, contribuent à valoriser les multiples formes du mérite, y compris extra-scolaires.
Le référentiel méritocratique anglais va jusqu’à ignorer, à la marge (avec le système de « premier arrivé, premier inscrit » à l’Open University), toute évaluation objective du mérite, dans le but même d’apprécier, à sa juste valeur, l’ensemble des qualités intellectuelles et morales des individus (worth) qu’il est difficile de mesurer. C’est bien tout l’enjeu du système anglais : détecter le potentiel des individus, en restant toujours à la limite d’une procédure perçue comme trop subjective.

Quant au modèle français, sa logique méritocratique peut être qualifiée d’idéaliste, au sens où elle devient sa propre fin. Les procédures de sélection valorisent presque exclusivement les performances scolaires initiales – plus facilement objectivables – et s’inscrivent dans une logique universaliste. Ainsi, au sein de chaque filière d’études, la procédure est bien souvent unique et standardisée. La stricte égalité de traitement, poussée en France à son paroxysme, garantit à chaque candidat les mêmes droits formels de participer à la compétition scolaire. L’équité est censée émerger de cette égalité initiale de traitement, qui concourt à envisager les procédures de sélection comme « naturellement » méritocratiques.
La méritocratie scolaire en vient à être sacralisée. Dès lors, le modèle français vise à approfondir toujours davantage la recherche du mérite scolaire, en visant l’égalité de tous devant des procédures universelles : c’est la République.


Nicolas CHARLES
Maître de conférences
Université de Bordeaux

A propos de Nicolas CHARLES

Nicolas Charles est Maître de conférences à l’université de Bordeaux et chercheur en sociologie au Centre Emile Durkheim. Il mène des travaux sur les systèmes universitaires, les étudiants et les différents âges de la vie, dans une perspective comparative. Il a notamment publié en 2015 « Enseignement supérieur et justice sociale. Sociologie des expériences étudiantes en Europe » à la Documentation française. ( voir la communiqué de presse )

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