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« L’ambition de penser à la bonne hauteur »

Dès février, vous savez votre régime scientifiquement miraculeux ruiné par une rechute d’éclair au chocolat…
Publié le 3 avril 2012
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Dès février, vous savez votre régime scientifiquement miraculeux ruiné par une rechute d’éclair au chocolat ; vous n’avez pas renoncé à fumer au travail même quand la température extérieure rendait le trottoir plus dangereux que la nicotine, et enfin, la reprise programmée de votre entrainement sportif n’a pas dépassé l’achat d’une paire de chaussettes dans le bac à soldes (les chaussures étant trop lourdes à porter jusqu’à la maison).

Faites comme moi, prenez plutôt la bonne résolution de remettre un peu de culture dans votre vie pour 2012. Quand je dis « un peu de culture », je ne parle pas de Twitter-Wikipédia-Facebook-Youtube-etc, mais d’une forme de culture plus ancienne, une slow culture, à base d’un mot en voie de disparition : la patience. Les 30 glorieuses, période de prospérité économique, permettaient à la fois l’accélération du temps et son gaspillage au profit de toutes les expérimentations.

Le CNDP (Centre national de documentation pédagogique) réédite une partie des documentaires pédagogiques tournés par le cinéaste Eric Rohmer au cours des années 60. Le 16 février 2012, une soirée cinéma-débat du Centre Pompidou a permis de redécouvrir les œuvres consacrées à de grands auteurs de la littérature. A l’époque, l’innovation pédagogique passait par la diffusion de ces films sur une télévision noir et blanc (la pointe de la technologie) soigneusement conservée sous clef, qui glissait sur un meuble en formica à roulettes (la pointe de la modernité). L’interactivité était balbutiante et se pratiquait avec un esprit pionnier ; après une domination sans partage, le cours magistral laissait une infime partie de son pouvoir au multimédia, et il devenait même possible aux écoliers d’exprimer leurs propres idées dans ce que les professeurs appelaient un « débat » (l’horrible invention d’une société trop permissive pour certains !).

Eric Rohmer dénonçait déjà (Secret Story n’existait pas) « la paresse intellectuelle, soigneusement entretenue, du public ». A ses films didactiques, destinés au milieu scolaire, il apportait le même soin et la même exigence artistique qu’à ses films cinématographiques. Rohmer sur les pas de Victor Hugo à Jersey cherche les hash tags du passé, essayant de débusquer les incohérences de ses récits, mensonges volontaires ou simples erreurs. Il s’en amuse, quarante ans plus tard, dans les entretiens qu’il consent à donner, vieil homme de près de 90 ans, quelques mois avant son décès.

Qu’aurait pu transmettre Eric Rohmer aux étudiants des grandes écoles ? ». A cette question Madame Waysbord, directrice de collection pour le CNDP, répond qu’il leur aurait sans doute conseillé d’avoir « l’ambition de penser » et de « penser à la bonne hauteur », qualité d’autant plus capitale dans un monde submergé par la banalisation des moyens de transmission.

Article et reportage par Nathalie Piazza & Céline Berthet

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