Accueil 5 Relations internationales 5 Le numérique va-t-il bouleverser l’enseignement supérieur ? par Yves Poilane

Le numérique va-t-il bouleverser l’enseignement supérieur ? par Yves Poilane

Il faudrait être aveugle et ne pas voir comment le numérique a bouleversé (et bouleverse…
Publié le 22 décembre 2013
Partager l'article avec votre réseau

Il faudrait être aveugle et ne pas voir comment le numérique a bouleversé (et bouleverse encore) tous les aspects de l’activité humaine, qu’elle soit économique ou sociale, pour en douter.
Accessibilité permanente, mondiale et ubiquitaire de contenus (partiellement auto-produits), multiplication des terminaux d’accès et leur ergonomie croissante, interactivité en temps réel et différé quasiment sans limites, multiplication des réseaux sociaux, outils de recherche et traitement de l’information toujours plus performants, abaissement des barrières à l’entrée, variabilisation extrême des coûts, pression à la gratuité des services, interpénétration des métiers et bouleversement des chaînes de valeur, création de marchés bi-face… bref, tout ce qui fait les bases de la révolution du numérique finira (et, en fait, finit d’ores et déjà) par se décliner dans l’enseignement supérieur.
La question du « pourquoi maintenant » ?, posée notamment par ceux qui entendent parler de l’enseignement numérique depuis 20 ans, peut être rapidement traitée par la mise en avant des 3 facteurs déclenchant ce tsunami numérique :

  • la maturité technologique des plateformes, logiciels et terminaux, ainsi que la maturité du marché des jeunes à l’égard des pratiques mobilisant ces technologies,
  • le développement récent de start-up sans complexe, bousculant les chaînes de valeur des plus grandes universités, depuis le recrutement jusqu’à la diplômation,
  • le fait que le e-learning va devenir un territoire d’une bataille de marques de plus en plus vive que se livrent désormais les établissements d’enseignement supérieur.

Les seules questions qui vaillent désormais sont donc «comment ?» et surtout « comment en tirer parti » ? en tant qu’acteur de l’enseignement supérieur.
S’agissant du « comment », le lecteur de Grand Angle n’aura pas de peine à comprendre que la e-éducation ne va pas supprimer le présentiel, la relation enseignant-enseigné, les salles de classe ou de travaux pratiques, pas plus que la nécessité d’un projet pédagogique cohérent pour des formations longues d’un, deux ou trois ans. Le lecteur conviendra également que le e-learning va par contre modifier profondément la place, le poids et la nature de ce présentiel dans le processus d’apprentissage. De nombreux articles sont parus dans la presse grand public sur cet aspect sans qu’il soit besoin que j’y revienne.
Un des enjeux de la période actuelle pour chacun de nos établissements est donc d’engager le plus grand nombre d’opérations pilotes d’e-learning pour « vivre de l’intérieur » cette évolution et adapter en conséquence l’organisation de la formation. Un des bénéfices de collectifs comme celui des groupes d’écoles de tous types (territoriaux, nationaux, thématiques, sans oublier la CGE) est de permettre, pour tous nos établissements, le partage d’expérience sur cette période pionnière, en laissant aux plus pionniers le bénéfice légitime de la médiatisation de leurs initiatives.
De ces expériences et de leur partage naîtra une nouvelle représentation individuelle, d’établissement et collective nationale/internationale, du métier d’enseignant/chercheur, des compétences qu’il mobilise, aussi bien de ce que sont une formation, une évaluation et une certification.
Un deuxième enjeu, de plus long terme mais dont il faut s’emparer dès maintenant, est celui de l’avenir de nos établissements et plus généralement de notre système d’enseignement supérieur.
1) Nos établissements font en effet face au challenge du e-learning au plan de leur marque. Sous quelle(s) marque(s) dois-je distribuer mon offre de e-learning, quand on sait qu’elle sera visible à Shanghai, qu’elle pourra servir de produit d’appel pour d’autres formations, plus lourdes voire plus lucratives ? A cet égard, les futures CUE doivent rapidement prendre pied sur le sujet sous peine de rater l’un des objectifs qui leur a été assigné. La désignation explicite d’un vice-président pour le numérique dans les CUE est la réponse symbolique et préalable à la définition et la mise en œuvre d’une stratégie.
2) Comment le e-learning impacte mon modèle d’affaire ? A cet égard, tous nos établissements et plus généralement tous les établissements d’enseignement supérieur ne sont pas logés à la même enseigne. Les établissements avec des frais de scolarité faibles abordent la question du e-learning de façon moins fébrile que ceux dont le financement est très majoritairement assuré par ces recettes. Les établissements sans activité de formation continue également. Les autres établissements doivent se pencher d’urgence sur ces questions, en distinguant formation initiale et formation continue (où risques et opportunités se côtoient). A noter que, pour tous les établissements, l’e-éducation doit pouvoir être un facteur de réduction des coûts de formation en régime permanent, après un investissement initial non négligeable, il est vrai.

Au vu des premières interactions des services de direction de mon école et des enseignants-chercheurs pionniers avec la grande majorité de nos enseignants-chercheurs, j’en retiens, pour mon école, qu’il est urgentissime :
-de communiquer et re-communiquer sur les fondements et les enjeux de cette révolution pour l’établissement
-de faire témoigner les enseignants pionniers auprès de leurs pairs pour créer l’effet d’entraînement,
-de lever ou réorienter des moyens pour susciter puis accompagner les initiatives, aux plans matériels, humains et financiers.

Faute de quoi la France risque de rater le virage de l’enseignement par le numérique, comme elle n’a, pour l’instant, que très partiellement tiré parti de celui de l’économie numérique.

Yves Poilane

Directeur Général

TELECOM ParisTech

 

Partager l'article avec votre réseau
Loading...