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L’ENSCCF, membre fondateur de l’Institut Analgesia, découvre les antalgiques de demain

La douleur représente un problème de santé publique majeur touchant près de 1,5 milliard de…
Publié le 22 juin 2014
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La douleur représente un problème de santé publique majeur touchant près de 1,5 milliard de personnes dans le monde. En France, 90% des consultations chez le médecin ont pour cause la douleur et 7 millions de Français souffrent de douleur chronique, soit 15% de la population. Au-delà de son rôle d’alerte, la douleur peut devenir réellement pathologique jusqu’à affecter la qualité de vie des patients (dépression, problème de concentration, manque d’énergie, insomnie, mobilité réduite). Outre les conséquences humaines, la douleur représente également un fardeau économique et social énorme (coût des traitements, absentéisme, perte d’emploi). [1]

Bien que le marché de la douleur soit en croissance (10 milliard de dollars en 2010), celle-ci ne résulte pas de la mise sur le marché de nouvelles entités chimiques onéreuses mais plutôt d’un usage en hausse par une population, certes vieillissante, mais qui aspire surtout à une meilleure qualité de vie. Les antalgiques (médicaments utilisés dans le traitement de la douleur) sont classés selon l’intensité de la douleur qu’ils traitent. Ainsi la douleur faible peut être soignée par le paracétamol ou des anti-inflammatoires non-stéroïdiens (ibuprofène) alors que la douleur modérée fait appel aux opioïdes faibles tels que le tramadol ou la codéine. Les douleurs intenses, quant à elles, nécessitent l’usage d’opioïdes forts tels que la morphine ou l’oxycodone. Malgré cet arsenal thérapeutique, 2/3 des patients déclarent que le prise en charge de leur douleur est insuffisante et 60% sont très affectés par les effets secondaires de leur traitement (intolérance, dépression respiratoire, accoutumance). Il est vrai que depuis 20 ans les stratégies de développement ont surtout conduites à la conception de nouvelles formulations (libération prolongée) ou voies d’administration innovantes (patch) ou à l’association d’antalgiques connus, avec très peu (7%) d’antalgiques présentant de nouveaux mode d’action. [2]

Aujourd’hui l’enjeu est de taille mondiale. Le ratio bénéfice/risque des antalgiques n’est pas satisfaisant, la pharmacopée vieillissante (50 ans au mieux) a eu plutôt tendance à s’appauvrir (retrait du Di-antalvic en 2009, et tétrazépam en 2013) qu’à s’enrichir de produits issus de nouveaux concepts pharmacologiques (Sativex en 2014 mais usage très limité). Le marché de la douleur chronique est ainsi dominé par des génériques (34%) et l’oxycodone (31% dont le brevet a expiré en 2012), suivi par le fentamyl (7%). En terme d’antalgie, l’innovation n’est pas à la hauteur des espoirs ouverts par l’évolution des connaissances fondamentales. Il subsiste un fossé entre les progrès espérés et l’absence de franche innovation thérapeutique. Pour autant, des espoirs apparaissent et la prise en compte des multiples facettes du phénomène « douleur » permettra sans doute de progresser.

L’Ecole Nationale Supérieure de Chimie de Clermont-Ferrand (ENSCCF) est membre fondateur de l’Institut Analgesia. Premier pôle européen dédié à l’innovation contre la douleur, il rapproche des structures d’horizons très variés (équipes de recherche, cliniciens et personnels soignants, partenaires institutionnels, entreprises et associations de patients) afin de développer une démarche de recherche translationnelle inverse (approche partant du patient pour aller vers la recherche en laboratoire) pour innover contre la douleur. Son objectif est de développer les antalgiques du 21ème siècle, plus efficaces, plus surs, plus personnalisés avec peu (voire pas) d’effets indésirables. Depuis 2009, les enseignant-chercheurs de l’ENSCCF œuvrent au sein de l’équipe de recherche CESMA (Conception Et Synthèse de Molécules Antalgiques) associée depuis 2012 à l’Institut de Chimie de Clermont-Ferrand (UMR6296 CNRS/UBP/ENSCCF). L’institut Analgesia permet aux chimistes Auvergnats de collaborer avec des pharmacologues (Institut NeuroDol UMR1107 INSERM/UDA), des cliniciens (Centre d’investigations cliniques 501) et des entreprises (ANS Biotech, Neuronax), pour développer de nouveaux outils et des candidats-médicaments prometteurs.

L’un des axes de recherche de l’institut s’intéresse aux mécanismes d’action des antalgiques utilisés en clinique, tels que la morphine. Utilisée depuis prés de deux siècles par notre société, la morphine est connue pour être agoniste des récepteurs opioïdes de type-µ (MOR), ce qui lui confère son effet bénéfique (antalgique de référence pour le traitement des douleurs modérées à sévères) mais également ses effets indésirables (constipation, nausée, vomissements, dépression respiratoire, dépendance). Les pharmacologues de l’Institut NeuroDol ont récemment démontré qu’il était possible de dissocier ces effets en ciblant le canal potassique TREK-1 (TWIK1-related K + channel), situé en aval du récepteur opioïde-µ. [3] L’hypothèse que l’activation directe de TREK-1 pourrait conduire à une analgésie [4] a conduit les chimistes de l’ENSCCF à cribler une chimiothèque. Une étude de relation structure-activité autour du chef de fils les a conduits à l’identification de molécules organiques capable d’activer les canaux TREK-1 et possédants des activités antalgiques notables sur plusieurs modèles de douleur in vivo. [5] Ces travaux sont actuellement financés par l’ANR EMERGENCE « TREK-ANALGESIA ».

Sylvie DUCKI
Professeure de chimie organique et médicinale à l’ENSCCF

Références
[1] B. Harald, C. Beverly, V. Vittorio, C. Rob, G. Derek: Survey of chronic pain in Europe: Prevalence, impact on daily life, and treatment. European journal of pain (London, England) 10 (2006) 287-333.
[2] G. Burgess, D. Williams: The discovery and development of analgesics : new mecanisms, new modalities. The Journal of Clinical Investigation 120 (2010) 3753-3759.
[3] M. l. Devilliers, J. Busserolles, S. Lolignier, E. Deval, V. Pereira, A. Alloui, M. Christin, B. Mazet, P. Delmas, J. Noel, M. Lazdunski, A. Eschalier: Activation of TREK-1 by morphine results in analgesia without adverse side effects. Nature Communications 4 (2013) 2941-2948.
[4] A. Alloui, J. Busserolles, M. Lazdunski, A. Eschalier: The TREK-1 channel: an attractive target for the development of new analgesics? Douleur Et Analgesie 21 (2008) 215-220.
[5] N. Rodrigues, K. Bennis, D. Vivier, V. Pereira, F. C. Chatelain, E. Chapuy, H. Deokarb, J. Busserolles, F. Lesage, A. Eschalier, S. Ducki: Synthesis and structure–activity relationship study of substituted caffeate esters as antinociceptive agents modulating the TREK-1 channel. European Journal of Medicinal Chemistry 75 (2014) 391-402.

 

 

Sylvie DUCKI est Professeure de chimie organique et médicinale à l’ENSCCF depuis 2007. Diplômée d’un doctorat de l’University of Manchester (UK) en 1998, elle a poursuivi sa carrière à l’international (USA 1998-2000, Italie 2000-2001, Angleterre 2001-2007) où elle a acquis une expertise dans le développement de médicaments anticancéreux. Aujourd’hui, elle met cette expertise au service de l’Antalgie. Elle est responsable de l’équipe CESMA (Conception Et Synthèse de Molécules Antalgiques) au sein de l’Institut de Chimie de Clermont-Ferrand (UMR6296 CNRS/UBP/ENSCCF) et vice-présidente de l’Institut Analgesia

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