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L’enseignement (et la recherche) de l’éthique dans une business school : l’obstacle du relativisme moral.

L’objectif d’une école est avant tout de former des personnes compétentes dans les différents métiers…
Publié le 28 février 2017
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L’objectif d’une école est avant tout de former des personnes compétentes dans les différents métiers qu’elles exerceront plus tard, en entreprise ou ailleurs. Mais au-delà de la transmission des connaissances, il importe également que ces personnes puissent se comporter comme des managers ou des dirigeants responsables, capables de prendre la bonne décision quand elles se trouvent confrontées à un dilemme éthique.

Parfois, on rencontre un certain scepticisme par rapport à la possibilité d’enseigner ce type de ‘soft skill’. Ce scepticisme est basé sur différentes raisons, du reste un peu contradictoires entre elles. D’une part, tout le monde s’estime un peu spécialiste de l’éthique. Luciano Floridi, un éthicien d’Oxford spécialiste des questions éthiques liées à la révolution digitale, compare à ce propos l’éthique avec le vin. Tout le monde pense qu’il peut en parler en expert, mais peu de gens s’y connaissent vraiment, et encore moins savent comment le fabriquer. D’autre part, nombreux sont ceux (et parmi eux beaucoup d’étudiants) qui estiment qu’on ne peut pas jamais juger de façon catégorique dans ce domaine. En tant qu’enseignant, on entend sans arrêt des objection du type : «Oui, mais c’est une vision occidentale des choses… » ou « la vie n’a pas la même valeur dans ces régions » ou encore : « la corruption c’est juste un autre mode de fonctionnement, un autre système social ». Bref, on entend ad nauseam que les jugements éthiques ne sont que des opinions, variables selon l’éducation ou la culture. Ce qui est évidemment faux. Il est très facile de démontrer que le relativisme moral est tout simplement absurde et de prouver par A plus B qu’il existe des raisons décisives pour juger certaines normes et pratiques comme moralement supérieures à d’autres (Voir Demuijnck 2015). Une fois libéré du dogme relativiste – par ailleurs souvent relayé de façon implicite, et erronée, dans nos écoles, dans des cours de management interculturel –, on peut enfin commencer à réfléchir sérieusement.

Evidemment, rejeter le relativisme n’implique pas l’omniscience : nous n’avons pas toujours des réponses précises à des questions qui se posent dans des situations nouvelles et complexes. Mais nous ne sommes pas pour autant désarmés : en analysant de façon rationnelle et critique nos intuitions morales spontanées à propos d’un problème, c’est-à-dire en scrutant soigneusement les différents arguments et objections sous-jacent à nos jugements, on arrivera au minimum à conclure que toutes les réponses ne se valent pas et, dès lors, à en exclure certaines.

Il importe en outre, dans le domaine de l’éthique de l’entreprise, de bien prendre en compte la finalité de l’entreprise, l’environnement compétitif de l’économie de marché et la division du travail moral entre régulation étatique et la responsabilité qui se situe au niveau des agents économiques, afin d’éviter des jugements hâtifs et une inflation du domaine de responsabilité de l’entreprise.

A l’EDHEC Business School, les étudiants ont dans leur cursus des cours obligatoires qui forment à débattre des questions éthiques liées au management en général et à leur spécialisation. L’objectif n’est pas d’apprendre à jongler avec le jargon de la philosophie morale, mais plutôt d’apprendre à discuter des aspects éthiques de leur fonctions futures, de façon décomplexée et sans fausse pudeur. C’est surtout dans les discussions de cas concrets, en petits groupes, que les étudiants se rendent compte que cela n’a rien de ridicule ni de naïf que d’aborder une question d’éthique professionnelle, que tous les arguments avancés dans la discussion ne se valent pas, et qu’on peut aboutir à un consensus rationnellement fondé.

Au niveau de la recherche dans le domaine de l’éthique appliquée, nous pouvons distinguer entre deux types de travaux. En premier lieu, des chercheurs produisent des recherche normatives dans lesquelles on essaie de clarifier, entre autre, en quoi consiste la norme éthique à suivre dans une situation complexe ou quelles sont les limites de la responsabilité morale des entreprises par rapport à un problème précis. Par exemple, comment délimiter le niveau de complicité acceptable d’une entreprise multinationale par rapport à des violations des droits de l’homme dans des pays où elle a des activités ? (Cf. Fasterling & Demuijnck 2013).

Un deuxième type de recherche est empirique. Certains chercheurs assument que les normes éthiques sont connues et bien fondées. Par exemple, essayent d’examiner quelles techniques de management (incitations, contrôles) ont comme effet que les salariés respectent plus aisément les normes éthiques ; ou aussi, quels éléments (institutionnels, culturels, économiques, …) expliquent des différences significatives, du point de vue éthique, entre les comportements des entreprises par secteurs, par pays, ou selon la taille de l’entreprise, etc. Evidemment, il est aussi important, en vue de leurs futures responsabilités managériales, que les étudiants prennent connaissance des possibilités et des contraintes de la mise en œuvre concrète des normes éthiques.

Références:

Demuijnck, G. 2015 “Universal Values and Virtues in Management versus Cross-Cultural Moral Relativism.” Journal of Business Ethics, 128: 817–835.
Fasterling, B. & G. Demuijnck. 2013 Human Rights Human Rights in the Void? Due Diligence in the UN Guiding Principles on Business and Human Rights, Journal of Business Ethics 116: 799-814.

Geert Demuijnck
Professeur d’éthique
EDHEC Business School

A propos de Geert Demuijnck

Philosophe et économiste, Geert Demuijnck est professeur d’éthique à l’EDHEC Business School. Ses recherches portent sur des questions éthiques liées à l’entreprise et à l’économie de marché. Il est actuellement président de l’European Business Ethics Network (EBEN) et membre du Conseil d’Administration du Cercle d’Ethique des Affaires. Il fait également partie des comités éthiques de plusieurs entreprises multinationales.

A propos de l’EDHEC Business School

L’ambition d’EDHEC Business School est d’être reconnue pour l’impact de ses recherches et de ses formations sur les entreprises, par les idées innovantes et les outils qu’il leur propose. Cette stratégie, appelée « EDHEC for Business», s’appuie ainsi sur une recherche académique d’excellence qui se poursuit par une diffusion systématique de ses résultats au sein de ses programmes (du post-bac au PhD), au monde de l’entreprise et à la société.

• 5 campus : Lille, Nice, Paris, Londres et Singapour
• 7 000 étudiants en formation initiale
• 20 programmes diplômants : BBA, Master in Management, Masters of Science, MBAs, PhD.
• Plus de 30 000 diplômés dans 125 pays
• 142 professeurs permanents, 810 enseignants vacataires
• 13 chaires de recherche et d’enseignement
• Un budget de 121,5 M€
• 20 millions d’euros de chiffres d’affaires R&D, dont 15 millions à l’international
• L’une des 75 business schools au monde – sur près de 14 000 établissements – à avoir la triple couronne AACSB, EQUIS et AMBA
www.edhec.edu

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