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Les mathématiques et les nombres dans les sciences de la météorologie et du climat, par l’École nationale de la météorologie (INP-ENM)

S’il est un domaine proche des préoccupations de tous dont on ignore souvent ce qu’il…
Publié le 22 février 2012
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S’il est un domaine proche des préoccupations de tous dont on ignore souvent ce qu’il doit aux mathématiques, c’est bien celui de la météorologie et du climat.

Au-delà de la perception (parfois teintée d’ironie) de la nécessité de « faire tourner de gros ordinateurs », peu savent ce que doivent aux mathématiques appliquées les avancées spectaculaires enregistrées ces dernières décennies. Si une prévision météorologique à 5 jours aujourd’hui a la même qualité moyenne qu’une prévision à 2 jours au début des années 1980, on le doit certes à l’augmentation de puissance des calculateurs, mais aussi à l’application à la météorologie et au climat de plusieurs théories mathématiques récentes.

Quelques exemples :

  • Les théories du chaos sont issues des travaux du météorologiste du MIT E. Lorenz ,qui, en 1961, chercha à comprendre pourquoi il ne parvenait pas à reproduire les résultats d’une simulation numérique ; l’analyse du système dynamique associé lui a permis non seulement de démontrer qu’un système parfaitement déterministe pouvait être imprévisible (« le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? »), mais aussi alterner les phases prévisibles et non prévisibles autour d’un attracteur (Figure 1). Les conséquences de ces travaux ont dépassé largement le champ de la météorologie, mais pour rester dans ce domaine, ils ont conduit à développer des méthodes dynamiques de prévision probabiliste permettant d’anticiper le caractère plus ou moins robuste des prévisions météorologiques (Figure 2).
  • Les théories du contrôle optimal n’ont pas été développées pour la météorologie. Elles ont cependant trouvé une application spectaculaire dans le domaine de la météorologie dans les années 1990 à l’initiative d’une école française (F.-X. Le Dimet, O. Talagrand, P. Courtier) largement inspirée et encouragée dans ses travaux par J.-L. Lions. L’idée fondatrice a consisté à remplacer les estimateurs statistiques jusqu’alors utilisés pour initialiser les modèles de prévision du temps sur la base des mesures effectuées par le réseau d’observations à un instant donné par un ajustement itératif de la trajectoire du simulateur au plus près des observations recueillies sur un intervalle de temps donné (Figure 3). Cette méthode, dite d’assimilation variationnelle quadri-dimensionnelle, a permis une très forte augmentation quantitative et qualitative de l’utilisation de mesures par les modèles de prévision météorologique (Figure 4 et Figure 5). Si le principe de la méthode est simple, sa mise en œuvre opérationnelle a nécessité de résoudre des problèmes à la fois théoriques et pratiques considérables de par la dimension du problème à traiter (la variable de contrôle du modèle est un vecteur à 80 millions de composantes environ)
  • Plus récemment, les problèmes d’identification du réchauffement climatique et des mécanismes d’attribution de causes à ce réchauffement ont nécessité de développer ou d’adapter les théories de traitement du signal (voir encart O. Mestre)
  • La théorie des jeux souvent invoquée en sciences économiques fournit un cadre permettant de valoriser l’apport économique de la réduction d’incertitude apportée par la prévision météorologique (Figure 6). La prise en compte de la notion d’utilité permet d’optimiser les prises de décision en environnement exposé aux aléas météo-climatiques – l’optimum pouvant s’avérer très sensible à la qualité de l’information fournie.
  • L’analyse numérique a été largement sollicitée pour permettre d’exploiter avec le plus d’efficacité possible les moyens de calcul toujours insuffisants pour permettre la simulation des écoulements des fluides géophysiques (atmosphère et océans) sur le globe aux échelles les plus fines. La stabilité, la précision et la compatibilité avec l’architecture informatique des schémas numériques utilisés par les modèles de prévision météo-climatiques font également l’objet de recherches avancées – plusieurs travaux récents ont aussi porté sur l’utilisation de représentations en ondelettes, qui pourraient permettre de concentrer les ressources sur les zones les plus critiques de l’écoulement ;

On notera, pour conclure, que deux des médaillés Fields français, P.-L. Lions (en 1994) et C. Villani (en 2010), ont été récompensés pour des travaux qui portaient sur l’étude des systèmes dynamiques, dont certains sont utilisés par les modèles météo-climatiques (équations de Navier Stockes).

Ils sont en cela les héritiers d’H. Poincaré, autre très grand mathématicien français à avoir consacré une partie de ses recherches à la météo-climatologie. Sur la base de son étude de stabilité du système à trois corps, il a développé dans « Sciences et Méthodes » (1908) une vision de la limite de prévisibilité météorologique remarquable, quand on sait que ses propos précèdent d’un demi-siècle la première tentative réussie de prévision numérique du temps et les travaux de Lorenz sur le chaos :

« Pourquoi les météorologistes ont-ils tant de peine à prédire le temps avec quelque certitude ? (…) Nous voyons que les grandes perturbations se produisent généralement dans les régions où l’atmosphère est en équilibre instable. Les météorologistes voient bien que cet équilibre est instable, qu’un cyclone va naître quelque part ; mais où, ils sont hors d’état de le dire ; un dixième de degré en plus ou en moins en un point quelconque, le cyclone éclate ici et non pas là, et il étend ses ravages sur des contrées qu’il aurait épargnées. Si on avait connu ce dixième de degré, on aurait pu le savoir d’avance, mais les observations n’étaient ni assez serrées, ni assez précises, et c’est pour cela que tout semble dû à l’intervention du hasard. »

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