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Mondialisation, économies dangereuses et Intelligence économique

L’intelligence économique peut être définie comme l’ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et…
Publié le 22 octobre 2013
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L’intelligence économique peut être définie comme l’ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution, en vue de son exploitation, de l’information stratégique utile à des fins d’action et ce, pour les acteurs économiques.

Ces diverses actions sont menées légalement avec toutes les garanties de protection nécessaires à la préservation du patrimoine de l’entreprise, dans les meilleures conditions de délais et de coûts.
L’information utile est celle dont ont besoin les différents niveaux de décision de l’entreprise ou de la collectivité, pour élaborer et mettre en œuvre de façon cohérente la stratégie et les tactiques nécessaires à l’atteinte des objectifs définis par l’entreprise dans le but d’améliorer sa position dans son environnement concurrentiel.
Ces actions, au sein de l’entreprise, s’ordonnent autour d’un cycle ininterrompu, générateur d’une vision partagée des objectifs de l’entreprise….
L’intelligence économique n’est plus un luxe dans notre économie globalisée ! Elle est même devenue indispensable pour qui doit travailler dans des pays dangereux.


Avec la mondialisation, l’entreprise est devenue une cible, parfois une proie

Les entreprises peuvent être complices, voire actrices, d’activités criminelles !  Mais elles peuvent être aussi de véritables cibles, des proies, des victimes.

Si les entreprises n’ont jamais été aussi puissantes qu’aujourd’hui,
elles n’en sont pas moins mortelles, contrairement aux Etats, toujours souverains et à priori immortels (même si les gouvernements, eux, ne le sont pas). Des géants comme Enron, Arthur Andersen, Worldcom, Lehman Brothers sont tombés en quelques semaines (fraudes comptables internes ou erreurs stratégiques majeures), démontrant l’extrême fragilité de ces mastodontes économiques internationaux. Il en faut peu pour déstabiliser une entreprise et la faire trébucher.

En même temps que l’Etat a perdu en puissance financière relative (vis-à-vis des entreprises), on observe que l’Entreprise, créatrice de richesses mais dépourvue des moyens légitimes de défense et de contrainte des Etats, suscite, un peu partout sur la planète, de la convoitise. Ciblée, elle devient de plus en plus la victime de provocations, voire de véritables attaques illégales (parfois d’attaques légales illégitimes) de la part de concurrents (peu scrupuleux), d’Etats (à la gouvernance suspecte), de groupes médiatiques et d’organes de presse (manipulés), d’organisations terroristes, criminelles ou mafieuses, de fonds d’investissement, d’ONG, éventuellement de sectes : attaques déloyales contre un produit avant même sa sortie ; attaques contre les biens et personnes (vols, cambriolages, pillages, kidnappings…) ; espionnage économique ; distorsions de concurrence dues au blanchiment d’argent ; extorsion de fonds ; racket fiscal, judiciaire ou douanier ; vols de données, d’échantillons et de prototypes ; attaques informatiques et sur les systèmes d’information ; attaques informationnelles en Bourse ; attaques sur le capital image ; fausses actions en justice ; faux appels d’offres/faux devis ; faux recrutements montés par des sociétés concurrentes ; pillage de connaissances et de savoir-faire ; contrefaçon ; écoutes téléphoniques ; piraterie ; boycott ; chantage et intimidation ; braquages ; attaques terroristes…

Les exemples sont multiples :

  • LVMH, victime depuis longtemps de contrefacteurs asiatiques ;
  • DCN (attaque terroriste en 2002 au Pakistan / 14 morts) ;
  • AIR FRANCE, CARREFOUR et RENAULT, affectés par l’appel au boycott lancé par les autorités turques en 2006 (suite à la reconnaissance française du génocide arménien) ;
  • MBDA & EADS, touchés en 2006 par une campagne de désinformation lancée par les autorités israéliennes (prétendue vente de missiles Aster 15 au Hezbollah) ;
  • Société Générale et sociétés françaises continuellement victimes en Afrique francophone de racket judiciaire, fiscal et douanier ;
  • RAZEL, visé en Algérie, en juin 2008, par un double attentat terroriste (1 ingénieur français tué) ;
  • MAERSK, armateur danois victime en 2008, 2009 et 2010 des pirates somaliens ;
  • DANONE (querelle en 2007/2008 et 2009 avec WAHAHA, son partenaire chinois, suite à l’espionnage et aux fuites d’informations stratégiques) – GOOGLE & Gmail, victimes en 2010/2011, en Chine, de hackers particulièrement virulents (Etat chinois ?) ;
  • AREVA et SATOM (7 membres du personnel enlevés par AQMI en septembre 2010 à leur domicile, à Arlit, dans le nord du Niger) ;
  • ACCOR, qui dut déplorer en avril 2011 l’enlèvement puis l’assassinat de l’un de ses directeurs (Novotel d’Abidjan) par des hommes armés proches de Gbagbo ;
  • AUCHAN (intimidations et vols suspects de marchandises en Russie) ;
  • SONY et FoxNews, attaqués en 2011 (après la CIA et le Sénat américains) par le groupe de pirates informatiques LulzSec.

Depuis 2006, les services de renseignement français ont enregistré plus de 4000 attaques trois ans, qu’il s’agisse d’atteintes au savoir-faire, à l’image, aux systèmes d’information, à la réputation de l’entreprise ou encore aux biens et personnes, ce ne sont pas moins de 2600 entreprises françaises qui ont été touchées, évoluant dans 150 secteurs d’activité différents.
Pour se défendre, l’entreprise devrait pouvoir compter sur la police et la justice des Etats. Or, comme nous le constatons de plus en plus, de nombreux Etats, sur la planète, sont soit dramatiquement défaillants (« Quasi-Etats », « Etats faillis », « Etats-marionnettes » ou « Etats faibles »)… soit complices des structures attaquantes (Etats « voyous »).
Par ailleurs, dans de très rares cas, et ce, même dans des Etats de droit, certaines attaques dévastatrices (cyberattaques et attaques informationnelles) restent, par définition, mal réprimées car les parades et ripostes légales sont quasi inexistantes : l’entreprise est alors particulièrement démunie pour se battre.
Comment donc, cette dernière, peut-elle se protéger ?  La clef est, d’abord et avant tout, dans l’anticipation et la pro-action (plus que dans la ré-action)…

L’Intelligence Economique comme outil d’approche opérationnelle des économies dangereuses.
Rappelons tout d’abord quelques vérités géoéconomiques !

  • La mondialisation est une donnée que tout responsable économique se doit d’intégrer dans sa réflexion et stratégie d’action : dans cette perspective, toutes les menaces (entrants potentiels, concurrence, rumeurs, intimidations, contrefaçon, criminalité…) et opportunités (nouveaux marchés, innovations, financements, fournisseurs, chercheurs, salariés…) sont à reconsidérer de façon urgente pour réduire les coûts et maximiser les marges opérationnelles.
  • L’horizon économique est devenu planétaire, même pour les PME.
  • La priorité temporelle est aujourd’hui, presque partout sur Terre, le court-terme (pour le meilleur et pour le pire).
  • En termes de stratégie économique, les deux maîtres-mots sont, pour tout pays, compétitivité des entreprises et attractivité du territoire.
  • Dans les économies à coûts élevés, l’innovation est clef : celle-ci doit impliquer à la fois les universités/Grandes écoles, les laboratoires/centres de recherche et les entreprises.
  • Internet et les réseaux sociaux sont devenus incontournables (recherche d’informations/anticipation, influence/contre-influence, sécurité/sûreté…).
  • Un peu partout dans le monde, la loi du plus fort s’est imposée (en lieu et place de la loi du plus compétitif).

Dans un tel contexte, la maîtrise de l’univers informationnel pertinent est nécessairement le premier objectif de tout acteur économique: c’est même un préalable à toute action.

L’Intelligence Economique (IE) peut contribuer à cette maîtrise car l’IE vise précisément à comprendre, anticiper et façonner l’environnement stratégique (concurrents + parties prenantes) de l’entreprise. Dans sa dimension opérationnelle, l’IE permet à la fois de transformer l’information en connaissance utile à des fins d’action, d’identifier les opportunités de développement (croissance externe, innovation technologique, marketing…), de prévenir les risques (sinistres naturels, malveillance humaine…), enfin d’influencer le monde extérieur au lieu de le subir, le tout dans un cadre éthique et légal.

Donnons un exemple concret !
En 2009/2010, une transnationale européenne connue tenta de se développer, sous forme de JV (joint venture), au Monténégro sur la demande pressante du chef de gouvernement de l’époque, Milo Djukanovic. A la suite d’une grosse étude de 9 mois, tant interne qu’externe, les co-investisseurs monténégrins furent validés par PWC (PricewaterhouseCoopers Allemagne) ainsi que par plusieurs avocats d’affaires internationaux et locaux : la transnationale, sûre de son fait, s’apprêtait donc à investir 120 millions d’euros dans une JV au nord du Monténégro.

C’est à la demande expresse de l’un des dirigeants de cette transnationale, méfiant, qu’une contre-investigation de 6 mois fut menée par un expert en Intelligence Economique pour qu’en définitive le projet fût définitivement abandonné : l’étude IE révéla en effet que les co-investisseurs monténégrins appartenaient tous à un gang balkanique mafieux, à la fois fortement impliqué dans le trafic de cocaïne avec les FARC/Colombie (2,7 tonnes saisies pendant l’investigation) et extrêmement violent (1 personne clef du dossier assassinée par balle durant l’étude). De plus, une myriade de sociétés troubles, toutes enregistrées dans des paradis fiscaux, était reliée, de près ou de loin à la JV déjà créée par les Monténégrins.

La méthodologie suivie durant l’étude, extrêmement rigoureuse, permit de pénétrer le monde de l’invisible et de faire remonter à la surface un certain nombre d’éléments troubles qui étaient passés complètement inaperçus à PWC et aux avocats consultés. Sans cette méthodologie, rien n’aurait été possible…

Pour mémoire, les points méthodologiques clefs de toute bonne recherche d’information sont les suivants :

 

méthodologie de recherche et d’information en intelligence économique

  • problématique à définir
  • champs sémantiques à préciser dans les mondes visible et invisible (avec fabrication d’une carte heuristique)
  • stratégie et methodologie de recherche à arrêter (« chasser l’information » vs « attirer l’information » vs « provoquer l’information »)
  • plan de veille à bâtir
  • langues de travail à sélectionner
  • supports informationnels à fixer (texte, chiffre, image, son, codes..)
  • moteurs de recherche à choisir (généralistes et verticaux)
  • mots clefs à sélectionner (dans toutes les langues utiles)
  • outils légaux de pénétration du web invisible (ou profond) à arrêter
  • équation de recherche à bâtir (avec optimisation de l’usage des opérateurs gooléens)
  • répertoires et annuaires thématiques à consulter
  • BDD (banques de données) à exploiter
  • sourcing image et audio à construire
  • sourcing humain (avec stratégie d’approche/info blanche et grise) à définir
  • sources web 2.0 à exploiter sur un mode dynamique = infos qui se construisent (wikis, blogs, forums, plateformes de partage..)
  • protection des sources (le cas échéant) à conduire
  • évaluation des sources à mener
  • visualisation et cartographie des sources à fabriquer.

Toutes les étapes ci-dessus furent scrupuleusement respectées pour mener à bien l’investigation monténégrine. Caractéristique de cette dernière, il y eut une très grosse mise en commun coordonnée de renseignements géopolitiques, macro- et microéconomiques, douaniers, commerciaux, financiers et criminels… Après quoi, vinrent les phases de l’analyse, la synthèse, l’anticipation et la diffusion des conclusions.

Comme on peut le constater, l’Intelligence Economique est donc une discipline clef pour appréhender, investiguer, comprendre, anticiper les environnements économiques, à la fois complexes et dangereux, nés de la mondialisation.

Sans renseignement d’anticipation ni capacité d’influence, c’est clair : pas de compréhension pointue des économies dangereuses, pas d’action volontariste gagnante dans le contexte actuel, pas de victoire possible dans la compétition mondialisée…
L’Intelligence économique est devenue incontournable !

Comme l’indiquait Auguste Comte : «L’essentiel est de toujours savoir pour prévoir afin de pouvoir ».
Avec la mondialisation, cette maxime est devenue terriblement vraie…


Christophe Stalla-Bourdillon
Professeur à ICN Business School

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