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Quels étudiants pour quelles Universités ou Écoles ? Par Luc Weber, Recteur émérite de l’Université de Genève

Très longtemps réservées aux élites (à certaines élites), les Universités se sont largement démocratisées et…
Publié le 29 février 2016
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Très longtemps réservées aux élites (à certaines élites), les Universités se sont largement démocratisées et par conséquent massifiées après la seconde guerre mondiale. Cette question classique de l’égalité des chances d’accès à l’Université indépendamment de l’origine sociale est complétée aujourd’hui par deux autres questions. Premièrement, la connaissance s’est imposée comme un facteur de production et de cohérence sociale au moins aussi important que le capital physique suite aux progrès de la science et des techniques et suite aussi à la globalisation, qui ont tous les deux exacerbé la concurrence. Deuxièmement, en se transformant, bien que très lentement, les caractéristiques démographiques des nations modifient le rapport entre la demande et l’offre d’emploi sur le marché du travail, ce qui peut provoquer une pénurie de personnel ou au contraire du sous-emploi si les flux migratoires et les règles qui régissent le marché du travail ne réussissent pas à les compenser.
Au gré de ces facteurs et des politiques nationales de formation, on observe de grands écarts d’un pays à l’autre en ce qui concerne la proportion d’une classe d’âge faisant un bac et des études supérieures, le taux de chômage et l’émigration ou l’immigration des personnes très qualifiées.
Bien que voisins au centre de l’Europe de l’Ouest, la France et la Suisse se situent à bien des égards et de façon intéressante dans des positions diamétralement opposées, même si les deux pays offrent tous les deux de très bonnes formations universitaires. Elles le font cependant de manière fort différente. Voici succinctement les principales différences de système avec quelques-unes de leurs forces et de leurs faiblesses.
La France mène une politique visant à octroyer le plus grand nombre de bac possible, ce qui fait que plus de 87% d’une classe d’âge obtient son bac. Comme tous les jeunes n’ont pas les mêmes capacités intellectuelles (ou pratiques), les différents types de bac décernés ne requièrent pas les mêmes aptitudes intellectuelles et ne préparent pas tous, ou pas de la même manière, à des études universitaires.
La Suisse suit un chemin fort différent. En moyenne nationale, moins de 30% d’une classe d’âge obtient une maturité ce qui, à l’équivalence du bac, marque la fin des études post-obligatoires donnant accès, sans autre exigence, à n’importe quelle faculté d’une université de recherche. La grande majorité des porteurs de maturité poursuivent cette voie, mais tous ne terminent pas, souvent faute de motivation. On peut ainsi dire que le système suisse est très sélectif, mais que cette sélection est effectuée plus ou moins régulièrement dès l’âge de 12 ans, jusqu’à l’accès au master, voire au doctorat.
En revanche, la Suisse pratique un système de formation dual très prononcé dans lequel la majorité des jeunes quitte l’école à la fin de la scolarité obligatoire et fait ce que l’on appelle un apprentissage. Les jeunes qui suivent cette voie sont engagés par un employeur actif dans les domaines de l’économie ou de l’administration pour y apprendre un métier en le pratiquant sous la direction d’un maître d’apprentissage. Cet enseignement pratique est enrichi par un à deux jours par semaine de cours et de travaux pratiques dans une école professionnelle. Les apprentis motivés peuvent faire en plus une maturité professionnelle d’une année qui leur donne accès à une Université professionnelle (Haute Ecole Spécialisée/HES) dans les domaines de la technique, de la santé, de la gestion et de la pédagogie, dont ils sortent avec un bachelor (licence) professionnel, qui peut être suivi par un master dans une HES, voire sous certaines conditions, dans une Université de recherche.
Une deuxième différence importante entre la Suisse et la France réside dans l’organisation de la formation universitaire et de la recherche. En France, il y a deux types d’Universités, celles où l’on entre avec un bac – quel qu’il soit – et les Grande Ecoles où le bac est suivi d’une à deux années supplémentaires préparant à un concours où seul un nombre bien défini de candidats est admis. Ce système est donc caractérisé par une sévère sélection à l’entrée dans les Grandes Ecoles contrairement aux Universités qui doivent accepter tous les porteurs de bac, ce qui se traduit par un nombre élevé d’échecs ou d’abandon. Quant à la recherche, elle est fortement orchestrée, voire directement conduite par des organismes de recherche nationaux dans leurs propres laboratoires ou en finançant des équipes qui travaillent dans les universités, mais avec un statut de chercheur par opposition à celui d’enseignant-chercheur propre aux universités. En Suisse, la recherche est en principe conduite au sein des universités sur la base d’une sélection très compétitive des projets par le Fonds National de la recherche scientifique, les fonds européens, des fondations, voire l’industrie. Cette recherche nourrit de ce fait très directement l’enseignement universitaire.
Les deux systèmes forment des élites, la France peut-être encore mieux que la Suisse. La France se trouve cependant dans une position moins confortable en ce qui concerne le nombre de gradués universitaires qui n’ont pas d’emploi à la mesure de leurs compétences et de tous ces jeunes qui, le bac en poche, ne sont pas bien préparés pour réussir à l’Université ou qui ne trouvent pas ou ne peuvent pas accéder à des formations professionnelles alternatives. La Suisse souffre au contraire d’une insuffisance de gradués qualifiés, en particulier dans les sciences et les sciences de l’ingénieur, ce qui l’oblige à recruter massivement à l’étranger, dans l’économie ainsi que dans les Universités elles-mêmes. Ainsi, si l’essor de la Suisse dépend en partie du recrutement de personnes qualifiées formées à l’étranger, la France devrait s’interroger sur l’efficacité de son système de formation qui, en dépit de l’excellence de certaines élites sortant de ses Grandes Ecoles et de nombreuses universités, se situe derrière la Suisse en matière de capacité d’innovation ou de classement mondial des Universités.
En résumé, je constate que pour garantir une bonne efficacité du système de formation, il est indispensable que les écoles primaires et secondaires soient raisonnablement sélectives dans le cadre des missions qui leurs sont confiées et que le système de formation réponde tout autant aux besoins de formation professionnelle qu’universitaire.

Luc Weber

Recteur émérite de l’Université de Genève

Président du « Glion Colloquium »

A propos de Luc Weber

Économiste, professeur, Recteur émérite de l’Université de Genève et Président de la Conférence des Recteurs des Universités suisses, Luc Weber s’est engagé pendant plus de trente ans pour l’enseignement supérieur et la recherche. Sur le plan international, il a servi diverses organisations universitaires gouvernementales ou non gouvernementales: il a notamment été vice-président de l’Association internationale des Universités (AIU) et membre fondateur de l’European University Association (EUA). Cet engagement l’a amené à évaluer de très nombreuses universités en Europe et dans le monde et à créer et animer depuis 1998 les « Glion Colloquium », un lieu de rencontre et de réflexion international qui réunit l’élite des grandes universités de recherche du monde entier

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