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Tribune : développement durable et numérique, vers un bouleversement du système éducatif?

Depuis quelques temps je me pose la question suivante : est-ce un hasard si la…
Publié le 22 décembre 2013
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Depuis quelques temps je me pose la question suivante : est-ce un hasard si la révolution numérique et le changement de paradigme réclamé par le développement soutenable ont déboulé dans nos vies à peu prés en même temps ? Ma conviction personnelle est qu’il y a convergence de deux dynamiques, l’une, le développement soutenable, conceptualise le système terre – société humaine et vise à l’amélioration de son capital d’informations (organisations sociales, technologies, savoirs..) sans pénaliser la dynamique du vivant (condition de base) et au moindre coût énergétique (condition de développement : confort et libre accès à un minimum décent pour vivre à tous). L’autre, le numérique, est à la fois l’outil et le moteur de la dynamique systémique d’amélioration du capital d’informations des sociétés humaines actuelles et au moindre coût énergétique. A l’instar de la biodiversité pour le vivant, la révolution numérique est aujourd’hui une dynamique quasi-autonome qui, pour peu que l’on ne sape pas ses fondements, assure sa propre pérennité et façonne déjà nos sociétés en profondeur. La révolution numérique est certainement le moteur de transformation de la société le plus puissant que nous ayons initié dans l’histoire humaine. Cependant si nous voulons que cette révolution soit soutenable nous devons allier cette dynamique numérique à la dynamique du vivant et concomitamment changer notre système éducatif. Pour illustrer ce dernier point je vous propose le résumé d’une intervention de Ken Robinson, expert en éducation internationalement reconnu pour ses interventions en faveur du développement de la créativité et de l’innovation, qui je l’espère vous fera réagir :

« La plupart des pays du monde sont en train de réformer leur système d’enseignement publique. Il y a deux raisons à cela :
– Permettre à nos enfants de trouver leur place dans les économies du 21ème siècle tout en sachant que l’on a aucune idée de ce qu’elles seront à la fin de la semaine ;
– Permettre aux différentes communautés du monde de transmettre leurs « gènes culturels » aux enfants de leur communauté alors que le monde se globalise.

Comment résoudre de telles contradictions ? Certainement pas en réutilisant les vieilles méthodes éducatives du passé qui ont été élaborées dans un contexte et pour un objectif totalement dépassés aujourd’hui et qui conduisent à l’aliénation de millions d’enfants. Je m’explique, quand ma génération est allée à l’école on nous a dit, et cela se vérifiait encore alors, qu’en travaillant dur, en se conduisant bien, nous ferions de bonnes études et nous trouverions un travail. Mais nos enfants ne croient plus en cela, comment les en blâmer alors que non seulement les diplômes ne sont plus une garantie pour trouver du travail mais ce que l’on enseigne marginalise grandement ce qui est important à leurs yeux. Il s’agit bien là d’une rupture et nous, enseignants, devons relever nos standards éducatifs. Le problème c’est que notre système éducatif a été conçu dans la culture des Lumières et dans les circonstances économiques de la révolution industrielle.

Il faut comprendre que l’école publique a été une véritable révolution, au 17ème siècle seuls quelques privilégiés avaient accès au savoir et lorsque la société de l’époque a posé les fondements de l’école publique il y eut beaucoup d’opposition reposant sur l’idée que les couches populaires n’étaient pas capables de tirer un avantage de l’éducation et qu’il ne fallait donc pas perdre de temps et d’argent avec ces « gens là ». A cela s’ajoutait la vision particulière que l’on avait de l’intelligence au siècle des Lumières : un mélange de capacités déductives et de connaissances des « classiques ». C’est ce que l’on a appelé par la suite les capacités académiques et cette conception est toujours dans les gènes de notre système éducatif. Cela conduit à séparer la population en deux catégories de personnes, les académiques et les non académiques, les premiers étant intelligents, les autres non. Une des conséquences de ce système est que beaucoup de gens brillants croient qu’ils ne le sont pas. Mon point de vue est que ce système éducatif reposant sur deux piliers, économique et intellectuel, est responsable du chaos dans la vie d’une grande quantité de personnes. Certains s’en sortent merveilleusement bien dans un tel système mais la plupart en souffrent.

Nous voyons poindre depuis une vingtaine d’années ce que d’aucun appelle une épidémie de syndromes d’hyperactivité chez nos enfants, mon avis est que cette épidémie est une fiction, non pas que ce syndrome n’existe pas en soi, mais la forme épidémique que l’on constate est à mon sens une conséquence du décalage entre le monde réel dans lequel vivent nos enfants et le système éducatif dans lequel on les envoie. D’un côté nos enfants vivent dans un univers technologique hyper stimulant (internet, téléphones, des centaines de chaînes de télévision..) et de l’autre, en classe, on leur demande de se concentrer sur des choses ennuyeuses. On a par ailleurs remarqué que ces troubles de l’attention avaient augmenté avec la généralisation des systèmes de notation standardisés. Le recours à la médication pour les enfants « hyperactifs » est une catastrophe. Toutes les disciplines sont victimes de ces traitements mais il en est certaines qui le sont plus que d’autres, les activités artistiques sont des cas d’école en la matière. Ces dernières requièrent une forme d’attention qui mobilise tous les sens, il s’agit d’expériences esthétiques, lorsque que vous êtes « drogués » vos sens sont coupés, on peut dire que l’expérience est inesthétique. Je pense que plutôt que d’endormir nos enfants pour qu’ils supportent les cours nous ferions mieux de les réveiller.

Par ailleurs notre modèle éducatif est proche d’un modèle industriel ou de l’image que nous en avons. Les établissements sont organisés comme des usines, les enfants sont organisés en classe d’âge. Pourquoi faisons-nous cela, pourquoi partons nous du principe que la caractéristique principale qu’ils ont en commun est leur âge ? Les enfants/les étudiants devraient pouvoir travailler en petits groupes, en groupes plus larges, seuls ou encore avec des enfants d’âge ou de disciplines différentes le tout à différents moments de la journée de leur choix et en différents lieux. Les curricula sont standardisés, les notes sont standardisées, tout cela n’est que standardisation, je propose d’aller dans le sens opposé, c’est ce que j’appelle changer de paradigme.
De récentes études mettent en évidence le processus de pensée divergente, ce n’est pas la même chose que la créativité qui est le processus qui conduit à des idées qui ont de la valeur mais c’est une capacité essentielle pour avoir de la créativité. Il s’agit de l’aptitude à interpréter de nombreuses façons différentes une question, de lui trouver de nombreuses réponses différentes ou encore de ne pas considérer la résolution de problème uniquement de façon linéaire ou convergente. Des tests de « pensée divergente » ont été réalisés sur une population de 1500 personnes qui ont été suivies depuis le plus jeune âge jusqu’à l’âge adulte, les résultats ont été les suivants :
– En maternelle 98% de cette population avait le niveau « génie »
– Entre 8 et 10 ans il n’y avait plus que 50% de cette population au niveau « génie »
– Entre 13 et 15 ans on était à 25% de la population.

Cette étude nous enseigne deux choses, nous avons tous cette capacité à la naissance, elle se détériore rapidement pour une grande majorité de personnes. La grosse différence au sein de cette population entre la période ou elle était en maternelle et la période de l’adolescence s’explique par l’éducation.
Mon avis est que nous devons en finir avec un certain nombre de mythes de l’éducation qui opposent académique et non académique, théorie et pratique, qui interdit de copier sur son voisin en cours alors que l’on attend les jeunes professionnels sur leur capacité à collaborer. Encore une fois cela ne relève pas de la volonté consciente des enseignants, c’est dans les gènes du système. Il faut enfin reconnaître qu’une grande part des apprentissages et des créations se fait au sein de groupes, que la collaboration est une clé essentielle de la croissance et il faut en finir avec les évaluations uniquement individuelles. Si l’on sépare les individus dans le système éducatif on crée une divergence entre l’éducation et l’environnement « naturel » des individus. »

Le changement de paradigme éducatif réclamé par Ken Robinson est, comme tout changement de cet ordre, conditionné par une volonté politique forte, surtout s’agissant du système éducatif. En fait ce n’est pas totalement vrai, ainsi que je l’ai dit en introduction le numérique n’est pas seulement un outil, c’est aussi une dynamique qui est en train de bouleverser nos sociétés modernes, au point que le politique en est souvent réduit à suivre ou encadrer à postériori un mouvement sur lequel il n’a que peu de prises. C’est à la fois une immense opportunité mais aussi une menace et la vigilance est de mise.
Il ne se passe pas une semaine sans que l’on parle des MOOCS en ce moment, effet de mode? Ces plateformes éducatives en ligne vont-elles provoquer la révolution tant espérée par Ken Robinson ? Nul ne saurait l’affirmer catégoriquement mais il y a un risque certain pour nos écoles à ne pas s’y intéresser, qui plus est lorsque l’on perçoit les menaces sous-jacentes sur le modèle économique de nos établissements. Et si c’était le bon train ou du moins le train à ne pas manquer ?
Pour toutes ces raisons, besoin de changement de paradigme éducatif (réponse à la quête de sens et d’utilité des générations actuelles), dynamique puissante de destruction créatrice du numérique, je crois que les établissements qui sauront établir des liens forts entre leur stratégie de développement durable et leur stratégie numérique seront les plus à même de prendre le train de la révolution éducative à venir (et déjà en route). Etre agile et réactif est une condition sine qua none pour s’adapter et mieux encore, anticiper ces bouleversements, nos écoles ont leur carte à jouer.

Pour terminer je vous propose un certain nombre de site et de liens vers diverses plateformes numériques, cette liste est loin d’être exhaustive et je vous invite fortement à l’enrichir de vos initiatives en cours ou à venir au cas ou vous ne les y retrouveriez pas en m’écrivant à (gerald.majou@cge.asso.fr):

Commençons par cet excellent et riche Wiki réalisé par Michel Briand (Directeur adjoint de la formation – Télécom Bretagne):
Vous y trouverez, parmi de multiples références, cette cartographie des MOOC français réalisée et mise à jour par Rémi Bachelet (maitre de conférence à Centrale Lille) et un lien vers un moteur de recherche (version béta) de MOOC.

Les grandes plateforme de MOOC sont Coursera, edX, et la dernière venue, francophone celle-ci, FUN.

Dans la catégorie des MOOC sur le développement durable (ceux dans lesquels le mot « durable » est clairement mentionné) en français voici ce que j’ai trouvé :
– Un cours sur la durabilité sur la plateforme Coursera proposé par l’université de Lausanne;
– Un cours sur le développement durable sur la plateforme FUN proposé par Centrale Paris;
– Un cours sur la ville durable sur la plateforme FUN proposé par l’université de Montpellier 2;
– Un cours sur les ressources naturelles et le développement durable sur edX proposé par l’université de Louvain.

Vous en trouverez aussi quelques uns en anglais  (avec le mot « sustainable ») en cliquant ici.

Enfin, et pour clore provisoirement cette tribune, je tenais à mentionner la création d’un campus numérique en Bretagne, une intiative unique en Europe: UEB C@mpus.


Gérald Majou de La Débutrie
Chargé de mission développment durable et animation régionale

 

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