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Réussir collectivement en acceptant d’être autrement capable, par Christel Prado, présidente de l’UNAPEI

Nous n’avons pas eu la chance de grandir ensemble. Nous sommes donc mutuellement désemparés devant…
Publié le 24 septembre 2014
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Nous n’avons pas eu la chance de grandir ensemble. Nous sommes donc mutuellement désemparés devant nos différences. Nous croyons les uns a priori capables et les autres a priori incapables.

En ne grandissant pas ensemble, rares sont ceux d’entre nous qui ont fait l’expérience de la fragilité de la vie. Et pourtant, comme le rappelle Emmanuel Levinas, cette expérience est essentielle pour comprendre notre interdépendance, le fait sociétal, comment nous pouvons contribuer à faire société.

Que savons-nous d’un quart de la population française ?
La représentation du handicap, sa définition, les politiques publiques et les actions de la société́ civile organisée répondant à cette problématique ont évolué́ considérablement depuis la fin du XIXe siècle. La reconnaissance par la IIIe République d’une responsabilité́ collective dans la production du handicap, comme résultant d’évènements extérieurs (industrialisation, guerres, épidémies) a débouché́ sur l’émergence d’un champ du handicap :

  • la loi du 9 avril 1898 sur l’indemnisation des accidents du travail redonne une place économique et sociale aux accidentés du travail victimes de l’ère industrielle ;
  • la guerre de 1914-1918 laisse un million d’invalides de guerre, dont des centaines de milliers d’aliénés. Ces 7,8 millions d’invalides représentent 1/5e de la population française d’après-guerre, qui compte alors près de 39 millions de Français ;
  • les premières organisations à répondre à ces nouvelles réalités sociales sont les syndicats et les mutuelles, qui créent vers 1880 des caisses de secours pour réduire l’impact de la maladie, de la déficience, des accidents du travail ou encore du chômage.

Ce mouvement s’amplifie dès la promulgation de la loi de 1901, qui permet à la société civile de s’organiser sous une nouvelle forme collective, celle de l’association. C’est ainsi que naît l’ère de la « philanthropie organisée », qui prend petit à petit le pas sur un champ largement couvert par les congrégations religieuses du fait de l’absence du secteur public pour répondre à ces problématiques. Au-delà de droits à conquérir et à défendre, la dynamique de la politique en faveur des personnes handicapées est celle de la réadaptation. C’est ainsi que se construisent, sous l’impulsion du secteur associatif, des établissements spécialisés gérés par des associations dites gestionnaires. Les espaces spécialisés qui accueillent alors les personnes handicapées sont aussi des espaces de droits spécifiques. Les droits des personnes en situation de handicap sont peu à peu créés en fonction des nouvelles donnes sociétales : à travers divers textes sur le reclassement professionnel des travailleurs handicapés (loi du 23 novembre 1957), sur la reconnaissance des droits fondamentaux des personnes handicapées (droit au travail, à une garantie minimum de ressources et à l’intégration scolaire, loi du 30 juin 1975), sur l’égalité de droits et la participation citoyenne (loi du 11 février 2005).

Enfin la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées tend à « promouvoir, protéger et assurer » la dignité, l’égalité devant la loi, les droits humains et les libertés fondamentales des personnes avec des handicaps en tous genres. L’objectif est la pleine jouissance des droits humains fondamentaux par les personnes handicapées et leur participation active à la vie politique, économique, sociale et culturelle. Elle a été adoptée par l’assemblée générale des Nations unies en décembre 2006. Elle a été ratifiée avec son protocole facultatif par la France en février 2010, pour une entrée en vigueur en mars 2010. Malgré son caractère contraignant, son application demeure incomplète, notamment concernant la protection des majeurs (art.12). Des travaux de mise en conformité du droit français par rapport aux attendus de cette convention sont donc nécessaires.

La vie sociale d’une personne en situation de handicap
Quel que soit le corpus législatif et réglementaire, la vie sociale d’une personne en situation de handicap repose encore essentiellement sur l’intervention de proches et notamment de la famille sans que l’impact de ces interventions quotidiennes ait pu être mesuré en termes économique et social pour les aidants. Les personnes politiques et les publications spécialisées parlent beaucoup des proches aidants ou aidants familiaux depuis quelques années sans pour autant que les revendications des intéressés puissent trouver des réponses concrètes : simplification des démarches administratives et des processus d’orientation et de prises de décision, droit au répit. Les réponses apportées aux personnes handicapées sont toujours très institutionnelles et cloisonnées par rapport au droit commun.

Qu’est-ce qu’un handicap ?
La seule définition légale du handicap en France date de la loi du 11 février 2005 : « constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. »

Le handicap moteur résulte de toute atteinte de la capacité de tout ou partie du corps à se mouvoir, réduisant l’autonomie de la personne et nécessitant parfois le recours à une aide extérieure pour l’accomplissement des actes de la vie quotidienne.

Le handicap sensoriel résulte de l’atteinte d’un ou plusieurs sens. Les plus connus concernent la vue et l’ouïe. Des séquelles de traumatisme crânien peuvent aussi altérer l’odorat et en répercussion le goût.

Le handicap mental résulte d’une déficience intellectuelle. Cette déficience est mesurée par rapport à ce qui est considéré, dans une société donnée, comme un développement intellectuel normal en fonction de l’âge réel de la personne. En fonction des individus, le handicap s’avère plus ou moins important, le degré d’autonomie des personnes est donc plus ou moins grand. Du fait de la limitation de ses ressources intellectuelles, une personne handicapée mentale pourra éventuellement éprouver certaines difficultés à :

  • comprendre son environnement immédiat ou élargi
  • comprendre les concepts généraux et abstraits
  • se repérer dans l’espace et/ou dans le temps
  • fixer son attention
  • mobiliser son énergie
  • traiter et mémoriser les informations orales et sonores
  • apprécier l’importance relative des informations mises à sa disposition
  • maîtriser le calcul et le raisonnement logique
  • comprendre les modes d’utilisation des appareillages, automates, et autres dispositifs mis à sa disposition
  • maîtriser la lecture et/ou l’écriture
  • prendre conscience des conventions tacites de la vie en société
  • s’exprimer
  • s’adapter aux changements imprévus.

Le handicap psychique, secondaire à la maladie psychique, reste de cause inconnue à ce jour. Les capacités intellectuelles sont indemnes et peuvent évoluer de manière satisfaisante. C’est la possibilité de les utiliser qui est déficiente. La symptomatologie est instable, imprévisible. La prise de médicaments est le plus souvent indispensable, associée à des techniques de soin visant à pallier, voire à réadapter, les capacités à penser et à décider. Le handicap psychique est la conséquence de diverses maladies : les psychoses, et en particulier la schizophrénie ; le trouble bipolaire ; les troubles graves de la personnalité (personnalité border line, par exemple) ; certains troubles névrotiques graves comme les TOC (troubles obsessionnels compulsifs). Les manifestations du handicap psychique peuvent se traduire négativement sur l’organisation du temps, l’anticipation des conséquences d’un acte, la possibilité de communiquer de façon participative, de mémoriser, de concevoir les réactions des autres… associés à la non-reconnaissance des troubles, à la dénégation (le déni), à l’absence de participation sociale.

Le handicap cognitif réunit les grandes problématiques de handicap qui ont en commun le rôle déterminant de l’altération de fonctions cognitives. La classification proposée distingue les troubles cognitifs spécifiques, développementaux et acquis, les troubles envahissants du développement, et enfin les troubles cognitifs évolutifs. On appelle trouble cognitif toute altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions cognitives résultant d’un dysfonctionnement cérébral, quelle qu’en soit l’étiologie. On peut les représenter sur deux dimensions, au moins, en fonction de l’étendue de l’altération et de l’âge d’apparition : ils peuvent être globaux, affectant toutes les fonctions cognitives de façon homogène, communément appelés déficiences intellectuelles, ou spécifiques à une ou plusieurs fonctions cognitives particulières. Ces troubles cognitifs peuvent, aussi, être envahissants du développement, l’autisme ; ils peuvent apparaître aux différents stades de la vie : dès la naissance, au cours de l’enfance, de l’adolescence ou à l’âge adulte

Le polyhandicap associe une déficience mentale sévère ou profonde et un déficit moteur grave entraînant une mobilité réduite et une restriction extrême de l’autonomie. Aux handicaps neurologiques, intellectuels et moteurs, s’ajoutent fréquemment des déficits auditifs ou visuels, des troubles comportementaux et relationnels. Quelle qu’en soit l’étiologie, même si la pathologie est fixée, le polyhandicap s’aggrave au fur et à mesure des complications qui majorent les multiples handicaps intriqués. Au fil du temps, les soins deviennent de plus en plus lourds et complexes, y compris lors des accompagnements de fin de vie.

Je vous invite à la découverte de cette altérité qui est la simple reconnaissance de notre humanité une et indivisible.


Christel PRADO
Présidente de l’UNAPEI (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis)
Membre du Conseil économique social et environnemental
Rapporteur de l’Avis « Mieux accompagner et inclure les personnes en situation de handicap : un défi, une nécessité »

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