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Pratiquer l’éthique des sciences et des technologies à l’ENSGSI

L’École nationale supérieure en génie des systèmes industriels forme, en trois ou cinq ans, des…
Publié le 3 février 2017
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L’École nationale supérieure en génie des systèmes industriels forme, en trois ou cinq ans, des ingénieurs généralistes aptes à piloter des projets complexes dans des secteurs variés. C’est d’abord une école dédiée à l’innovation et au management de la technologie. Depuis sa création en 1993, une part importante des enseignements concerne les sciences humaines et sociales. Les cours d’éthique sont donc intégrés au sein du pôle « Management, projet professionnel et personnel » qui comprend de nombreux autres enseignements qui sont en résonance avec eux (connaissance de soi, techniques de l’évaluation, management, communication).

Le cursus des élèves dans le domaine de l’éthique est organisé de façon progressive tout au long de leur parcours dans l’école. En classe préparatoire un cours d’épistémologie leur fournit un cadre réflexif pour penser les enjeux philosophiques et méthodologiques du développement scientifique et technique. En première année ingénieur, un cours intitulé « Sciences technologies sociétés » propose un parcours d’introduction à l’éthique des sciences et des technologies.
S’appuyant sur des études de cas historiques (affaire Lyssenko, commercialisation de l’essence plombée, eugénisme, mouvements luddite de résistance à la mécanisation au 19e siècle, histoire des formations d’ingénieurs, etc.) il a pour ambition de susciter une réflexion critique des élèves sur leur propre parcours scientifique en mettant en évidence le poids des facteurs sociaux, politiques, économiques, culturels et philosophiques qui ont pesé historiquement sur l’organisation des technosciences contemporaines. Plutôt que de s’appuyer sur une approche théorique, il privilégie les débats sur le déterminisme sociotechnique, sur les relations entre sciences pures et sciences appliquées ou sur les différentes manière de penser le progrès scientifique et technique sur le temps long.

En seconde année d’ingénieur, le cours d’éthique de l’ingénieur prend appui sur ce premier parcours socio-historique pour amener les élèves à intégrer les problématiques éthiques dans leurs propres démarches. Après une courte présentation des différents courant philosophiques en éthique (éthique du bien, éthique du devoir, éthique utilitariste), il propose aux étudiants de pratiquer l’éthique concrètement en utilisant des outils d’aide à la décision pour analyser des problèmes en lien avec l’actualité scientifique et technique contemporaine (matrices, tests éthiques, schémas de raisonnement). Ces outils leur seront d’autant plus utiles que leur formation les destine à devenir de futurs chefs de projets et à piloter l’innovation en entreprise… En ce sens le maître mot de l’éthique doit être la prise de conscience que la responsabilité de l’ingénieur s’exerce largement au-delà d’une sphère technique et économique pour couvrir de larges champs de l’activité humaine : management des hommes et conduite du changement dans des organisations complexes mais aussi expertise sur l’acceptabilité sociale, politique et morale des choix techniques dans un monde fortement marqué par le spectre d’une dégradation environnementale.
Dans cette perspective, actualité oblige, une partie du cours porte sur les fondements de l’éthique environnementale, non pas seulement pour le plaisir de la réflexion philosophique mais aussi et surtout pour aider les étudiants à réfléchir sur l’horizon de leur engagement éthique lorsqu’il s’agit de penser les relations entre ingénierie et développement durable. C’est d’ailleurs en ce sens que l’éthique est réinvestie en troisième année ingénieur, dans le cadre d’un cours dédié aux outils du développement durable, à travers un parcours réflexif sur les stratégies de monétarisation de la nature.

Ces enseignements d’éthique demandent un investissement conséquent des étudiants
. Les différents dispositifs d’évaluation – examens sur table, rapports de lecture, dossiers de réflexion – sont d’abord conçus pour les inviter à s’investir personnellement dans la réflexion critique, quitte à leur laisser le choix du mode d’expression qui leur paraîtrait le plus approprié (dissertations, articles courts, nouvelles, pièces de théâtre). Pour autant, cette forme très libre n’interdit pas, loin s’en faut, le respect de certaines exigences : construction de la problématique, stratégie d’argumentation, style et orthographe et – est-il besoin de le rappeler dans un cours d’éthique ? – respect de l’éthique du travail académique (citation des sources, interdiction du plagiat).

Au final l’expérience menée à l’ENSGSI dans ce domaine milite en faveur de politiques pédagogiques volontaristes et intégrées. Volontaristes car il s’agit d’affirmer la pertinence et la légitimité de cet enseignement dans le projet de formation. Intégrées car il est aussi question de penser ses relations avec les autres modules, au risque parfois de devoir le redéfinir en fonction des évolutions souhaitées de la formation. Quelle que soit sa place dans une formation d’ingénieur, l’éthique ne peut pas être simplement un supplément d’âme destiné à donner un surplus de vernis culturel aux étudiants. Les questions éthiques qui traversent la société contemporaine sont fortement influencées par les sciences et les technologies et il semble peu responsable de former de futurs ingénieurs sans les amener à se poser – et à vivre – quelques questions qui seront déterminantes dans leur future vie professionnelle : Qu’est-ce qu’un ingénieur ? Quelles sont ses marges de liberté ? Que peut-il faire ? Comment peut-il agir ? Quels sont ses devoirs et ses responsabilités en tant que professionnel, en tant qu’expert et en tant que citoyen ? En un sens cela revient à réinvestir, en la réactualisant, la vieille formule baconienne : « Savoir = Pouvoir = Devoir ».

Laurent Rollet
Maître de conférences en épistémologie, histoire des sciences et des techniques
École nationale supérieure en génie des systèmes et de l’innovation

A propos de Laurent Rollet

Maître de conférences en épistémologie, histoire des sciences et des techniques à l’École nationale supérieure en génie des systèmes et de l’innovation (Université de Lorraine), responsable des enseignements de « Sciences Technologies et Sociétés » et d’éthique dans l’école (et dans d’autres formations d’ingénieurs de l’Université de Lorraine)
Chercheur au Laboratoire d’histoire des sciences et de philosophie – Archives Henri Poincaré (UMR 7117 CNRS / Université de Lorraine)
Membre élu de la section CNU 72 (épistémologie, histoire des sciences et des techniques, éthique des sciences)
Éditeur de la correspondance du mathématicien Henri Poincaré, ses recherches portent sur l’histoire des mathématiques et l’histoire des institutions scientifiques. Il a récemment dirigé la publication d’un dictionnaire biographique des enseignants de la Faculté des sciences et des école d’ingénieurs de Nancy avant 1918 et il codirige actuellement un projet ANR consacré à l’histoire du Bureau des longitudes.
Site web de l’ENSGSI
Page de Laurent Rollet

A propos de l’ENSGSI

L’ENSGSI est une grande école d’ingénieurs en 3 ou 5 ans orientée en management de la technologie et innovation. Elle prépare ses élèves à devenir ingénieur en misant sur la pédagogie par l’action et sur un solide bagage scientifique. Promotions à dimension humaine, accompagnement et auto-apprentissage se conjuguent pour composer des parcours sur mesure. Dès le premier jour, le futur ingénieur plonge dans le vif du sujet avec des ateliers projet, des exercices de simulation,des séances de créativité…

L’école dispose d’une plate forme technologique et d’un outil pédagogique unique :le GSI Lab. Les outils mis en place permettent de couvrir toutes les étapes de l’innovation, du concept jusqu’au prototype : Analyse d’usage et de tendance, recherche de fonctionnalités, tests d’ergonomie,mise en forme, maquettage…

De quoi enrichir les cursus de formation des étudiants et répondre aux attentes formulées par les chercheurs et les entreprises.

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