Par Thomas LAGOARDE SEGOT, Professeur d'Economie et de Finance internationale, KEDGE BS, Laurence LE PODER, Professeure Associée d’Economie et de Gestion de Crise, KEDGE BS, Alban MATHIEU, Professeur assistant d’Economie, KEDGE BS et Coralie RESLINGER, Professeure Associée d’Economie, KEDGE BS
L’étude et la compréhension de la diversité des modèles économiques possibles sont un prérequis indispensable à la résolution des enjeux sociaux et environnementaux de notre temps. Pourtant, l’enseignement de ceux-ci dans les cours de gestion reste à ce jour relativement homogène – et majoritairement dominé par la « microéconomie néoclassique ».
Convaincus qu'il est impossible d'étudier l'économie sans prendre en compte le contexte sociétal dans lequel elle est imbriquée, une équipe d’enseignants-chercheurs de KEDGE Business School ont pris pour parti de refondre intégralement le cours de tronc commun d’ « Economie » du Programme Grande Ecole.
Outre la volonté de laisser une plus large place à la pluralité des pensées économiques, tout en permettant d’appréhender l’économie en tant que véritable science sociale, le nouveau cours « Macroéconomie Ecologique » souhaite développer la pensée critique des étudiants – notamment vis-à-vis des modèles existants et d’indicateurs actuellement admis pour mesurer la prospérité économique.
Approche globale du cours Macroéconomie Ecologique : l’économie (ré)encastrée dans les Objectifs de Développement Durable (ODD)
Dès 1890, l’économiste Alfred Marshall écrivait : “les conditions économiques évoluent continûment, et chaque génération est amenée à traiter ses problèmes économiques de façon indépendante” (Principles of Economics, p.5). La génération actuelle est, à son tour, confrontée à des problèmes particulièrement pressants. Ceux-ci ont été identifiés par les Nations Unies dans le cadre des Objectifs de Développement Durable (ODD) : changement climatique, dégradation des systèmes naturels, crises financières, effets incertains du changement technologique, creusement des inégalités des revenus et des patrimoines, hausse des dettes publiques et privées, tensions géopolitiques… La montée de ces périls systémiques (c’est à dire complexes et interconnectés) est avant tout un défi à notre intelligence. Y répondre nécessitera sur le long terme une modification de nos systèmes de valeurs, de nos comportements, et de nos institutions. En ce sens, le métier d’économiste consiste à tenter de comprendre comment nous pouvons organiser la société pour y permettre la “réalisation du potentiel humain” (A. Sen) : c’est à dire accorder, à chacun, la possibilité de mener une vie digne d’être vécue. La maitrise des concepts et des outils économiques permet ainsi de conceptualiser le monde de façon holiste, et nous donne les moyens de communiquer pour trouver ensemble et mettre en œuvre des solutions.
Cette approche est au fondement de la nouvelle mouture du cours Macroéconomie Ecologique. Au sein du cours, les étudiants sont désormais invités à appréhender l’économie à partir de trois principes clés servant de fil conducteur : le pluralisme, la justice et la soutenabilité. Le cours est ainsi conçu comme une série de thématiques emboîtées, assises sur une analyse objective et quantitative des données disponibles, et illustrées par de nombreuses études de cas. Son objectif est de donner à chaque étudiant des clés pour comprendre le monde dans lequel nous vivons – ce qui est un prérequis pour agir, en conscience, sur ce monde.
L’économie comme science sociale
L’économie - oeconomia (Latin), economics (anglais), jingji (Chinois), ou keizai (japonais) - telle qu’on la retrouve depuis Aristote et dans la littérature ancienne, s’intéresse au rôle des institutions économiques et non économiques (notamment les institutions politiques) dans la gestion de la vie matérielle des ménages (oikos) ou des nations souveraines (polis). Pourtant, la théorie néoclassique, dominante en économie durant les dernières décennies du XXème siècle, a malencontreusement et artificiellement séparé la sphère économique du champ social, en réduisant l’économie à une science mathématique (en écartant de son champ d’étude la réalité historique, sociologique, institutionnelle, les sentiments moraux, le phénomène politique...). Chacun d’entre nous peut néanmoins observer que la plupart de nos décisions économiques prises au quotidien reposent aussi bien sur des informations économiques (prix relatifs, revenus…) que sur des croyances (éthiques, culturelles, idéologiques), ou des institutions politiques (comme les règles de droit, ou le marché lui-même).
Le cours Macroéconomie Ecologique réintroduit une définition classique de l’économie comme science du « processus d’approvisionnement social » (social provisioning process), ou encore comme étude des « lois sociales qui gouvernent la production et la distribution des moyens d’existence des êtres humains organisés en groupes sociaux » (Aglietta, 1979/2015). Il s’agit de mettre à jour, dans un contexte institutionnel donné, les mécanismes par lesquels une société, identifie, produit et distribue le flux de biens et services requis par les besoins de ses membres.
Le cours propose ainsi de (re)découvrir un monde non-ergodique, façonné par les interactions entre les hommes, les structures sociales, les institutions, et dans lequel « le tout est plus que la somme des ses parties ». Il intègre également l’importance des services naturels, c’est-à-dire les conditions et les processus par lesquels les écosystèmes naturels rendent possibles la vie humaine. Les étudiants sont amenés à une série de thématiques interconnectées, illustrées par des études de cas internationales et d’actualité, et reposant sur une analyse rigoureuse du fait économique, construite notamment à partir de la monnaie, du bilan, et de l’entreprise.
Contribution du cours au développement de l’esprit critique : aller au-delà du paradigme néoclassique
La théorie néoclassique représente le monde économique comme une agrégation de marchés autonomes, dans lesquels des individus rationnels et omniscients ont un accès direct à toute l’information disponible, et prennent, à chaque instant, via une « fonction d’utilité » mathématique, des décisions parfaitement prévisibles - et optimales - de production, de consommation, et d’investissement. Un mécanisme d’enchère permet alors, en l’absence de « rigidités », d’égaliser les offres avec les demandes, et, incidemment, de maximiser les profits des firmes et le bien-être du consommateur. Mais dans un tel monde caractérisé par l’ « équilibre », les crises financières, le chômage involontaire, la persistance des déséquilibres commerciaux, et l’encastrement de l’économie dans les systèmes naturels n’existent pas. Cette théorie ignore le fonctionnement (très complexe) du système monétaire, la psychologie des acteurs, le rôle des institutions, la complexité des organisations et la diversité des systèmes économiques. Enfin, en réduisant le tout (la société) à la somme de ses parties (l’individu), les modèles néoclassiques ignorent les interactions complexes entre les parties et qui génèrent, contraignent, ou accélèrent la dynamique du système social, exerçant en retour un effet de feed-back sur le comportement des individus.
Le cours privilégie un enseignement pluraliste de l’économie, permettant de comprendre et analyser l’économie en juxtaposant les apports des diverses écoles de pensée qui structurent la discipline depuis le XVIIIème siècle. La force de cette approche est de renouer avec la grande tradition de l’économie classique telle qu’initiée par Aristote (oikos nomos) tout en étant résolument ancrée dans les enjeux contemporains du développement durable à partir de trois principes : le pluralisme, la soutenabilité et la justice.
Un cours labellisé par le Sustainable Development Solutions Network (SDSN) et partie intégrante du manuel Ecological Money and Finance
Le cours Macroéconomie Ecologique est labellisé par le Sustainable Development Solutions Network (SDSN), un organe des Nations Unies dédié à la recherche des solutions pour le développement durable et présent dans plus de 80 pays. Sa direction académique est assurée par le Post-Crisis Finance Network (PoCfiN), un réseau international initialement constitué par KEDGE BS et le Collège d’études mondiales de la Fondation Maison des sciences de l’homme (FMSH). A travers ses chaires de recherche, ses innovations pédagogiques, et ses interactions avec les décideurs publics et privés, PoCfiN contribue depuis 2018 à renouveler le champ des connaissances pour répondre aux défis climatiques, sociaux et économiques du 21ème siècle. Les activités de PoCfiN sont au lien suivant : https://pocfin.kedge.edu/
Par ailleurs, ce cours est partie intégrante du manuel « Ecological Money and Finance » (Palgrave Macmillan, 2023 ; traduction française « Monnaie et Finance Ecologique », De Boeck, 2024). Ce manuel de 700 pages, recommandé par des personnalités de premier plan (dont l’économiste américain Jeffrey Sachs), tranche avec la vision conventionnelle puisqu’il examine les questions de climat et de durabilité à l’échelle macroéconomique (du point de vue du système et de sa régulation), et non uniquement microéconomique (du point de vue des individus et des entreprises). Le manuel s’articule autour de deux sections principales. La première section analyse la monnaie, le système monétaire, et l’entreprise au prisme de la soutenabilité forte ; la seconde section se focalise quant à elle sur la dimension microéconomique et les études de cas, comme le crowdfunding, le crowdsourcing et les différentes formes de gouvernance organisationnelle. Début 2024, le manuel a reçu le Responsible Business Education Award du Financial Times.
KEDGE Business School est une école de management française de référence présente sur 4 campus en France (Paris, Bordeaux, Marseille et Toulon), 4 à l’international (2 en Chine à Shanghai et Suzhou, et 2 en Afrique à Dakar et Abidjan) et 4 campus associés (Avignon, Bastia, Bayonne et Mont-de-Marsan). La communauté KEDGE se compose de 15 600 étudiants (dont 25% d’étudiants étrangers), 212 professeurs permanents (dont 42% d’internationaux), 310 partenaires académiques internationaux et plus de 85 000 diplômés à travers le monde. KEDGE propose une offre de 38 formations en management et en design pour étudiants et professionnels, et déploie des formations sur-mesure pour les entreprises au niveau national et international. Depuis 2020, KEDGE a créé son propre Centre de Formation des Apprentis. Membre de la Conférence des Grandes Ecoles et accréditée AACSB, EQUIS et AMBA, labellisée EESPIG et certifiée Qualiopi, KEDGE Business School est une institution reconnue par l'Etat français, avec des programmes visés. KEDGE est classée par le Financial Times 29e meilleure Business School en Europe et 18e mondiale pour son Executive MBA en 2023. Sa promesse d’être une école originale, durable et inclusive s’incarne par l’intermédiaire de la stratégie KEDGE IMPAKT, déclinée en trois piliers : Care for People, Act for the Planet et Innovate for Tomorrow.
