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Taxe d’apprentissage : une réforme qui pénalise les Grandes écoles

Jean-Paul Soubeyrand est ingénieur ECP 1976. Après quelques années au CEA, il rejoint le monde…
Publié le 22 janvier 2015
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Jean-Paul Soubeyrand est ingénieur ECP 1976. Après quelques années au CEA, il rejoint le monde de l’enseignement et entre à l’ISEP en 1982. Après y avoir été chef de laboratoire de physique, directeur des études, directeur des concours FESIC, il est actuellement directeur général adjoint, responsable de l’apprentissage et de la formation continue. Il est animateur du groupe de travail Apprentissage de la Conférence des Grandes écoles.

« Tout l’argent de la taxe d’apprentissage doit aller à l’apprentissage » est l’argument facile martelé par ceux qui feignent d’ignorer que la taxe d’apprentissage a été créée pour financer le développement des formations technologiques et professionnelles, quel que soit le statut.
Résultat : la réforme de la taxe d’apprentissage qui s’appliquera l’an prochain va dans ce sens : le « barème » baisse, de nouveau, ce qui va évidemment poser des problèmes de financement à toutes les formations technologiques et professionnelles initiales hors apprentissage, que ce soit dans le secondaire ou dans le supérieur. En bref on déshabille Pierre pour habiller Paul…

Les grandes lignes de la réforme
Qu’en est-il précisément de cette réforme ? Cela est un peu technique, essayons de rentrer dans les chiffres tout de même pour mieux comprendre et avoir quelques repères.
La masse salariale française annuelle (secteur privé) dont dépend directement la taxe d’apprentissage est d’environ 500 milliards d’euros.
Un bon point pour commencer : la réforme simplifie un peu les calculs. La taxe d’apprentissage représente, en première approximation, 0.68% de la masse salariale des entreprises assujetties soit 3 milliards d’euros environ.
La moitié de cette taxe revient aux Régions (51% précisément), 26% aux CFA (« le quota »), 23% aux formations technologiques et professionnelles (le « barème », ou « hors quota »).

Si l’on compare à la situation antérieure, les CFA reçoivent quasiment le même pourcentage de la masse salariale (le quota passe de 0.175% à 0.1768% de la masse salariale), le barème diminuant lui de 0.215% à 0.1564%, soit une baisse de 27%.

Plus en détail
C’est en fait plus complexe puisque les CFA toucheront en plus du quota la « CSA », contribution supplémentaire que doivent payer les entreprises de plus de 250 salariés ayant moins de 4% d’apprentis dans leurs effectifs. Cela représente environ 250 M€.
En sens inverse, les entreprises ayant plus de 4% d’apprentis verront leur contribution allégée, sur la part barème.

Relevons au passage ce paradoxe qui ne va dans le bon sens : plus il y a d’apprentis, moins il y a de taxe disponible pour financer les formations.

Précisons que les entreprises peuvent compléter, et sont d’ailleurs de plus en plus sollicitées dans ce sens, leur participation au financement de la formation de leurs apprentis par du barème. Le barème est aussi amputé de quelques % pour couvrir des « frais de stage ». Tout cela contribue à diminuer le barème disponible.

Quelques autres dispositions vont intervenir sur la répartition de taxe disponible dont les effets sont difficilement quantifiables. Par exemple là où il y avait 3 catégories de barème il n’y en aura plus que deux. Et non seulement le barème va diminuer mais en plus le pourcentage dédié aux formations de niveau 1 va baisser, une vraie double peine pour le supérieur* !

En bref
Au final les CFA devraient recevoir un peu plus de taxe d’apprentissage, mais on leur demande d’accueillir plus d’apprentis, les écoles et le supérieur (hors apprentissage) toucheront nettement moins de barème, les Régions indiquent qu’elles recevront à peu près les mêmes montants (elles percevront en plus de la taxe 150 M€ de TICPE).
L’utilisation de cette part régionale dépend des Régions. Une tendance générale : le soutien va plutôt vers l’apprentissage aux niveaux V et IV, même si aucun acteur ne manque de souligner avec fierté que l’apprentissage est accessible au niveau ingénieur. Quelques régions ne financent même pas du tout l’apprentissage dans le supérieur.

Une inquiétude à terme partagée par toutes les formations : aucun texte n’oblige les régions à utiliser toute cette taxe pour soutenir l’apprentissage…

Les entreprises quant à elles n’ont guère de raisons d’être satisfaites, puisqu’elles perdent de plus en plus la liberté d’affecter de la taxe à leurs partenaires. Et le quota d’apprenti demandé aux plus grandes va encore croître, de 4% à 5%.

Financement d’un apprenti en grande école
Pour une entreprise de plus de 250 salariés qui tient l’objectif de 4 % d’apprentis, le quota disponible par apprenti est de l’ordre de 2 500 à 3 000€, pas plus. C’est la somme qu’elle est tenue de verser au CFA pour financer la formation de son apprenti, quelle que soit cette formation. Quand il s’agit d’une grande école, le compte n’y est évidemment pas, le coût d’une année de formation est généralement supérieur à 10 000 € ! Comme indiqué précédemment les entreprises ont la possibilité (mais pas l’obligation, cela fait l’objet de négociations) de compléter leur versement par du barème mais même cela ne suffit pas et des ressources complémentaires sont nécessaires.

Si la région a donné son accord, le CFA peut demander une contribution complémentaire sous forme de facturation à l’entreprise. Mais l’entreprise n’est pas obligée de l’accepter. Les CFA et les écoles ont l’obligation eux d’accepter le contrat de travail.

Conséquences
Tout le monde sort sa calculette, mais les paramètres sont si nombreux qu’une boule de cristal serait sans doute plus utile. Certaines écoles craignent d’ores et déjà une baisse de 50 % de leur financement par le barème : réponse en juillet 2015…
Un dernier point à signaler : la réforme des OCTA en 2016 va engendrer des incertitudes supplémentaires, notamment sur la répartition des « fonds libres », taxe non ciblée par les entreprises et répartie par les OCTA.

Du côté de l’apprentissage le risque à terme, si les compléments de financement ne se développent pas et si les Régions ne l’encouragent pas, est une diminution du nombre d’apprentis en Grandes écoles, à moins d’imaginer des formations « low cost ». Certaines écoles vont jusqu’à envisager la fermeture de leur filière en apprentissage.

Jean-Paul Soubeyrand


*Avant la réforme, il existait trois catégories, selon les niveaux de formation : catégorie A – niveaux 4 & 5 ; catégorie B – niveaux 2 & 3 ; catégorie C – niveau 1. Les écoles étaient habilitées à recevoir du B et du C (60% du barème). Avec la réforme, il n’existe plus que deux catégories : une catégorie A pour les niveaux 3, 4 et 5, une catégorie B pour les niveaux 1 et 2 (35% du barème). L’assiette globale pour le supérieur baisse de plus de 50%.

A propos de l’ISEP

L’ISEP est une école d’ingénieurs qui forme depuis 1955 des ingénieurs aux compétences multiples dans le secteur du numérique. Située au cœur de Paris, l’ISEP a ouvert en septembre 2014 un deuxième campus à Issy les Moulineaux, ville phare dans le secteur du numérique. Ce nouveau site accueille notamment les laboratoires de recherche et le centre de formation continue. www.isep.fr.

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