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Entretien avec Jacques Brégeon : Les ruptures pédagogiques liées au développement durable – et une sélection des actualités DD dans les écoles

Il est président de l’École des métiers de l’environnement (EME), directeur du Collège des hautes…
Publié le 22 avril 2012
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Il est président de l’École des métiers de l’environnement (EME), directeur du Collège des hautes études en environnement et développement durable de Bretagne et professeur à l’ESCEM Tours-Poitiers.

CGE : Pouvez-vous me parler de votre parcours professionnel ?

J.B. : Je suis un universitaire qui a mal tourné, géologue, docteur d’état ès sciences, et cela parce que je n’ai pas mis mon savoir universitaire tout de suite au service de nos institutions… je suis passé par les couloirs du ministère de l’Industrie, où on peut perdre assez vite le savoir acquis dans les universités et les grandes écoles.

Toutefois, j’ai toujours gardé présent le désir de participer à l’enseignement supérieur et à l’éducation en général et je suis heureux que mon parcours m’ait permis de satisfaire cette ambition, notamment lorsque nous avons eu l’occasion, avec quelques amis comme Corinne Lepage ou Jean Paul Delevoye, qui était président de l’Association des maires de France, de nous interroger sur la bonne façon de former les dirigeants au développement durable. C’est ainsi que nous avons eu l’idée du Collège des hautes études de l’environnement et du développement durable, qui a maintenant 17 ans. Grâce à cette initiative, j’ai pu m’investir dans cette sphère de l’enseignement supérieur même si le « Collège » est un peu particulier puisqu’il s’adresse à des responsables et des cadres dirigeants.

CGE : Que faisiez-vous au ministère de l’Industrie ?

J.B. : C’était mon premier poste. J’étais d’abord chargé de mission puis adjoint au directeur de l’Observatoire des matières premières, un petit organisme participant à la gestion du stock national de sécurité que l’Etat constituait pour des matériaux stratégiques comme le platine, le titane, le vanadium etc.

Je me suis alors investi dans des sujets un peu neufs à l’époque, comme l’intelligence économique, alors que j’avais développé dans ma thèse d’Etat, sur un sujet bizarre, l’aménagement du sous sol, une doctrine visant à intégrer le sous-sol dans les logiques d’aménagement du territoire et d’urbanisme, où il était oublié. Pour prendre un exemple d’actualité, des structures comme les « pièges à pétrole », qui pour la plupart se sont avérées vides dans notre pays, peuvent être demain utilisées pour stocker le CO2 ; on voit donc l’intérêt d’une réflexion de long terme sur les ressources naturelles et les structures géologiques.

Nous étions déjà à l’époque dans une réflexion proche du développement durable et lorsque j’ai croisé ce concept à l’occasion de la conférence de Rio mes neurones y étaient déjà préparés. En 1993, au retour de Rio, je ne crains pas de dire que j’ai eu l’intuition, la révélation, que le développement durable était un concept majeur pour le XXIe siècle. En outre, il me permettait de faire la synthèse des préoccupations variées et désordonnées que j’avais accumulées.

CGE : Quelle relation y a-t il avec les grandes écoles ?

J.B. : En 2002 Centrale Paris a proposé d’héberger le Collège en accord avec l’Association des anciens auditeurs ; l’ESCP et l’Agro ont complété ce partenariat et permis de lancer le Collège selon son référentiel éthique et pédagogique. L’année suivante Centrale Paris m’a proposé d’intégrer son corps professoral, ce qui m’a conduit vers la CGE alors présidée par Christian Margaria. Dès 2003 nous avons créé un groupe de travail Développement durable qui a élaboré la Charte de la CGE pour le Développement durable adoptée par l’assemblée générale de juin 2003. C’était le premier pas significatif de la CGE dans le domaine.

CGE : A l’occasion de la rédaction de cette charte y avait-il eu déjà une réflexion sur la pédagogie ?

J.B. : Non, mais la charte correspondait à un engagement très fort car elle prend en compte les enjeux majeurs définis à Rio. La charte formalise la prise de conscience de la responsabilité des écoles en tant qu’institutions formant les dirigeants de demain dans une perspective de développement durable.

CGE : En partant d’un cadre large, la pédagogie actuelle, de façon générale, est-elle adaptée à la prise en compte des enjeux sociétaux ?

J.B. : Nous faisons tous du mieux que nous pouvons dans nos établissements. On a développé des savoirs pédagogiques indéniables. Mais cela ne veut pas dire que l’on ne puisse pas encore s’améliorer, car jusqu’à présent on s’est plutôt investi dans les processus de qualité : on a introduit la qualité dans la pédagogie, défini des objectifs d’apprentissage et des processus permettant normalement d’atteindre les résultats escomptés, élaboré des indicateurs ad hoc et donc aussi l’évaluation… Tout ceci est très positif mais un peu perturbant dans un premier temps (lorsqu’on est évalué par les étudiants, par exemple) mais c’est source de progrès. Les outils se sont modernisés aussi, mais fondamentalement le rapport pédagogique est resté le même : on a toujours un enseignant qui enseigne à des élèves qui écoutent, qui enregistrent et qui normalement doivent démontrer ensuite leur capacité à assimiler le savoir.

CGE : Dans le mode de l’inculcation ?

J.B. : Oui, la question se pose maintenant de savoir si ces processus sont adaptés à notre temps et surtout aux générations nouvelles. L’outil ne fait pas la pédagogie, mais on ne peut ignorer que de nouveaux outils (réseaux sociaux, Internet..) induisent de nouvelles relations pédagogiques qui peuvent être meilleures que les anciennes. Notre devoir d’enseignants est d’être ouverts à ces innovations potentielles qu’apportent les outils sans oublier qu’ils restent au service de l’objectif principal de la pédagogie.

Les générations d’étudiants à venir seront imprégnées de ces nouveaux outils, avec lesquels elles auront grandi. Le décalage risque donc de s’accentuer et de s’accélérer entre leur façon d’apprendre au quotidien et notre façon d’enseigner. Nous n’aurons d’autre choix que d’adapter nos savoir-faire pédagogiques sous peine d’être en rupture avec ces générations qu’on appelle Y ou Z.

CGE : Au-delà des évolutions des outils, la pédagogie actuelle est-elle adaptée à un concept comme la systémique ?

J.B. : La systémique est l’un des fondements du développement durable. La pédagogie actuelle organisée en silos a apporté beaucoup, mais ce compartimentage du savoir rend l’enseignement inadapté aux sujets transversaux par définition et ne permet pas une compréhension systémique, qui n’est rien de très compliqué ; la vie est systémique, la société aussi… Pour mieux les comprendre, on les a découpées en de multiples champs de savoirs mais en négligeant d’en faire la synthèse et d’en avoir une vision globale. Ainsi, nous n’avons plus, dans notre système éducatif, de lieux ni d’espaces-temps dédiés à cette compréhension globale que l’Ecole n’apprend pas ; on peut l’acquérir des activités hors de l’école, dans la famille ou par la lecture…

De nouveaux outils pédagogiques permettraient-ils de le faire ? On travaille beaucoup en ce moment sur des serious games, qui font pénétrer les jeunes gens dans une réalité systémique comme la construction d’une ville. Est-ce la solution ?

Les professeurs vont-ils devienir inutiles si de tels outils les remplacent ? Non, bien sûr car le rapport humain est essentiel dans la pédagogie ; ce qui changera, c’est le rôle du professeur, qui doit devenir accompagnateur, tuteur ou guide. Si le savoir devient très facile d’accès grâce à Internet, il faut concentrer la pédagogie sur d’autres aspects, sur des processus plus collectifs, l’apprentissage par projets, ce qui peut avoir un impact sur la conformation des lieux dédiés.

La pédagogie de projet est difficilement praticable dans des classes de plusieurs dizaines d’élèves. Il va donc falloir réaménager nos établissements, adapter l’architecture intérieure. Aura-t-on besoin demain d’amphithéâtres ? Ou plutôt de petites salles « projets » avec des tuteurs qui supervisent, des outils collaboratifs et de consolidation pour travailler en groupes à l’image de ce qui se pratique dans les entreprises ?

Ce n’est dont pas seulement un problème d’outils ou de locaux, mais surtout d’un révolution pédagogique et de compétences pour les établissements comme pour les enseignants.

Pour revenir au développement durable, la solution n’est pas uniquement dans la transmission de connaissances relatives à ce domaine, qui n’est pas un champ de savoirs, mais dans le développement de nouveaux modes d’enseignement.

CGE : L’enseignant est-il comme le médecin d’aujourd’hui qui est confronté à des patients qui viennent en consultation avec des connaissances piochées sur internet ?

J.B. : La posture de l’enseignant qui sait tout est effectivement complètement obsolète ; il faut passer à une relation plus coopérative avec les élèves, plus humble.

CGE : Par rebond quelle est la position de l’ingénieur aujourd’hui dans la société ? Peut-il encore penser tout résoudre par la technologie ?

J.B. : Peut-il encore travailler sans tenir compte des paramètres sociétaux ? Non, bien sûr. La posture de l’ingénieur qui décide du profil d’une autoroute au mépris de la biodiversité ou des riverains est bien évidemment périmée. Il doit se mettre au service de la société, qui en retour lui demande un comportement, une participation et une modestie que l’on n’a pas forcément enseignés dans les écoles. Celles-ci doivent inculquer à leurs élèves des attitudes différentes : apprendre à considérer les parties prenantes, le savoir empirique de ceux qui n’ont pas de diplômes, les valeurs portées par différentes cultures et communautés…  L’ingénieur ne peut pas se réfugier dans sa supériorité technique, sinon il ne sera pas un bon ingénieur.

CGE : Ceci revient-il à changer le fonds culturel transmis par les écoles ? Le corps enseignant et l’institution elle-même doivent-ils se remettre en question ?

J.B. : Absolument, mais c’est un processus lent car culturel. Pendant un temps, il y a eu un blocage des enseignants par rapport à la propriété intellectuelle de leur savoir ; ils freinaient des quatre fers leur entrée dans la numérisation de leurs supports pédagogiques de peur de perdre leur gagne-pain voire leur place dans la société. Mais, si l’on donne de nouvelles perspectives pédagogiques aux enseignants en leur démontrant qu’ils seront valorisés sur la base de la qualité pédagogique de leur exercice, alors ils assumeront plus facilement cette évolution du métier. A 45 ou 50 ans, on n’est pas forcément prêt à adopter de nouvelles techniques pédagogiques.

CGE : Y a-t-il une pédagogie spécifique au développement durable ? La question a-t-elle un sens d’ailleurs ?

J.B. : Le développement durable n’est pas un champ de connaissances comme le sont l’économique ou l’environnement. C’est une pensée à long terme et systémique, un nouveau regard sur le monde, une architecture mentale…  une réflexion stratégique, c’est notamment l’objet de la cindynique (sciences du risque et danger).

Il s’agit plus de savoir-faire que de savoir ; cela ne procède donc pas de processus pédagogiques standards, de connaissances livresques, mais de pratique partagée avec les autres. Il y a aussi une dimension éthique incontournable. Dans le groupe interministériel sur l’éducation au développement durable (2008), nous nous sommes accordés sur une stratégie pédagogique en trois points :

  • des connaissances sont à acquérir par l’intégration du développement durable dans les disciplines classiques existantes (géographie, philosophie, économie..) ;
  • une approche systémique des problèmes nécessite des espaces-temps pédagogiques qui permettent l’interdisciplinarité. L’idéal serait donc d’appréhender un sujet, la pêche par exemple, en travaillant avec un professeur de sciences naturelles, qui expliquera le phénomène de raréfaction de la ressource, un économiste, qui expliquera les paramètres de l’activité de la pêche et, peut-être, un philosophe, qui évoquera le rapport de l’homme à la nature et la nécessité d’assurer aux générations futures un avenir confortable. Une telle démarche permet à des étudiants d’aborder la complexité, les relations entre les disciplines ;
  • enfin, on ne peut pas enseigner le développement durable si l’établissement de formation n’est pas lui-même sérieusement engagé dans une telle démarche. C’est donc une injonction faite aux établissements d’enseignement supérieur de mettre en pratique le développement durable dans leur gouvernance, dans leur relation au territoire, au sein des campus et à travers la pédagogie et la recherche… On retrouve là les thématiques du Plan Vert.

Le développement durable suppose donc des processus pédagogiques variés que même les établissements les plus avancés ont encore quelque peine à élaborer ; prenons ces espaces-temps pédagogiques,  nos cursus sont encore prisonniers des normes – j’entends celles liées aux organismes de certifications (CTI, AERES, EQUIS..) – car, si les écoles sont statutairement assez libres dans leurs choix pédagogiques, le formatage imposé par ces normes ne leur laisse qu’une faible marge de manœuvre pour se lancer dans l’innovation pédagogique.

Ainsi, mettre en place ne serait-ce que cette journée de sensibilisation au développement durable proposée par le REFEDD (avec la CGE et la CPU) devient très compliqué. L’établissement peut être réticent, non pas sur le principe même, mais sur le fait que cette journée perturbe son organisation pédagogique et physique !

CGE : Voulez-vous dire qu’il serait presque impossible d’introduire une étude de controverse, par exemple, comme objet pédagogique de formation au développement durable dans le tronc commun d’une école d’ingénieur ?

J.B. : Ce n’est pas impossible, j’ai l’exemple en tête de l’Ecole des Mines de Saint-Etienne qui l’a fait sous la forme d’un jeu de rôle. Mais ces initiatives sont rares et demandent une forte volonté. Il faudrait faire évoluer les référentiels pédagogiques normatifs, sachant que nous sommes dans une certaine urgence, afin de permettre ces innovations.

CGE : Vous êtes président de l’Ecole des Métiers de l’Environnement, que faites-vous pour intégrer ces innovations pédagogiques ?

J.B. : Premièrement nous avons décidé, lors de l’agrandissement de nos locaux, d’intégrer dans notre projet architectural les contraintes liées au type de pédagogie que nous voulions mettre en œuvre, à savoir aménager de petites salles équipées de nouveaux outils et pouvant accueillir de petits groupes de travail. L’utilité des amphis se posera sans doute. Lors de la rentrée scolaire, l’Ecole remettra aux élèves une tablette électronique dans laquelle tous les supports de connaissances et les liens vers les ressources (cours de Stanford par exemple) nécessaires à leur scolarité seront intégrés. La question ne sera donc pas celle de l’accès au savoir (présent d’emblée sur la tablette et via l’Intranet de l’Ecole) mais plutôt celle de vérifier que les élèves font bien les efforts attendus pour s’approprier les connaissances, pour les traduire en compétences en gestion de projet etc… Et ceci tout en conservant bien sûr le cadre de la CTI, qui définit à quels critères doit répondre un ingénieur diplômé.

CGE : Il y a donc moyen de s’arranger avec la norme ?

J.B. : Oui, mais c’est un exercice compliqué et aventureux. Pour une école comme l’EME, de petite taille, encore jeune (elle fête ses 20 ans le 5 avril), donc relativement souple, qui a la volonté de se distinguer, on peut engager un tel changement, mais pour une université comptant quelque 30 000 étudiants et plusieurs centaines de professeurs, c’est un tout autre problème.

CGE : A propos de l’innovation pédagogique nécessaire au développement durable, que pensez-vous de la pédagogie des classes préparatoires ?

J.B. : Cette pédagogie est typiquement traditionnelle, aux antipodes de ce qui est nécessaire pour appréhender le développement durable. Si on voulait initier les élèves, il faudrait clairement les réaménager les classes, mais est-ce une priorité ? Je n’en suis pas certain, car on y apprend des choses essentielles, comme la rigueur du raisonnement, la capacité de travail et l’acquisition de savoirs disciplinaires, toutes aptitudes qui seront par la suite bien utiles à une appréhension sérieuse du développement durable.

Cependant, je suis tout à fait conscient que ces deux années sont comme un hiatus dans le parcours d’un étudiant et c’est un sujet sur lequel nous devrions nous pencher.

Propos recueillis par Gérald Majou de La Débutrie
Chargé de mission Développement durable de la CGE

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