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Flash info DD : entretien avec Michel Puech et une sélection des actualités DD dans les écoles

Michel Puech est un philosophe de formation classique, qui s’est progressivement spécialisé dans l’analyse critique…
Publié le 26 octobre 2011
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Michel Puech est un philosophe de formation classique, qui s’est progressivement spécialisé dans l’analyse critique de la modernité. Il publie dans les domaines de la philosophie de la technologie, de la réflexion sur le « soutenable » et plus largement sur les nouveaux systèmes de valeur. Son travail actuel se concentre sur la notion de sagesse. Ses publications récentes sont Homo Sapiens Technologicus. Philosophie de la technologie contemporaine, Philosophie de la sagesse contemporaine (Le Pommier, 2008) et Développement durable : un avenir à faire soi-même (Le Pommier, 2010). Il est maître de conférence en philosophie à l’Université de Paris-Sorbonne.
Pour en savoir plus sur ses travaux…

CGE :
Vous pouvez nous parler de votre parcours professionnel ?

M.P. :
J’ai fait mes études supérieures à L’Ecole normale supérieure de Saint Cloud, puis j’ai rédigé une thèse sur Kant, c’est une base de formation classique qui permet d’être crédible, aujourd’hui je m’en suis éloigné. Je savais déjà à l’époque que je voulais aller ailleurs, explorer un champ moins conventionnel mais je devais faire d’abord mes preuves, c’est comme cela que cela fonctionne un peu partout, et encore plus en France. En poste j’ai commencé à développer ce qui m’intéresse plus particulièrement : la réflexion sur la modernité, et plus exactement sur les systèmes de valeurs de la modernité. Le domaine dans lequel j’ai acquis le plus de compétences, c’est la philosophie de la technologie, secteur bien exploré dans le monde mais peu en France. Plus spécifiquement je me suis consacré à l’éthique appliquée, un champ dans lequel vous trouvez deux approches : la première est l’éthique de l’ingénieur, une approche assez classique, comparable à celle de l’éthique de la médecine ;  la seconde, celle que j’ai choisie, s’occupe des technologies du quotidien, c’est-à-dire de l’impact de ces technologies sur les individus d’un point de vue psychologique, éthique ou moral. Je développe cela un peu au sein de l’université, où je commence à faire des cours sur l’éthique du business par exemple, un peu plus dans les grandes écoles, qui sont plus dynamiques, et aussi en entreprise, car j’ai toujours souhaité garder un lien avec ce monde.
Mon objectif est de savoir de quoi je parle lorsque je parle d’interface informatique avec mes étudiants par exemple, je suis assez partisan des philosophes qui ont l’expérience du terrain. J’associe donc des réflexions fondamentales et des expériences appliquées. Aujourd’hui je trouve que les entreprises sont sincèrement en demande de réflexions de ce type là. Par exemple, elles ont des demandes sur les valeurs associées au collaboratif, au secret, à la transparence ou encore à l’organisation. Ces demandes peuvent déboucher sur des missions concrètes pour des entreprises qui ont laissé vieillir leur système de valeurs internes et qui se retrouvent incapables de rénover leur organisation pour s’adapter à leur environnement.

CGE : Vous intervenez directement en entreprise pour donner ces bases de réflexion ?

M.P. :
Oui, cela arrive, mais souvent, en fait ce sont les consultants qui me (nous) consultent. J’essaye de raccourcir les cycles de transmission des réflexions issues du monde savant des colloques et de la recherche vers les entreprises, via l’entremise des consultants en stratégie/organisation ou en communication. Le bon exemple est la notion de care (le soin), qui est apparue dans les années 80 dans le monde académique et qui a mis 20 ans pour atteindre la sphère des entreprises et des organisations professionnelles. Il m’arrive quand même de travailler directement avec des cadres dirigeants. J’ai conseillé des fabricants qui ne comprenaient pas les raisons du rejet de leur technologie par les consommateurs. Il s’agit bien là d’un travail philosophique sur la symbolique (de la communication, de la mobilité, de la nourriture, etc.), une réflexion dont les dirigeants se dispensaient jusqu’alors. De façon plus générale nous disposons de technologies extraordinaires mais nous souffrons d’une absence d’outils pour analyser le rapport des gens avec les objets ou les technologies. Il y a un gros déficit de compétences dans le domaine des sciences humaines chez la plupart des personnes en position de décider ou de créer dans notre société ; et ce n’est pas leur faute, c’est celle de leur formation et de leur environnement.

CGE : Quelle est alors, selon vous, la place des sciences humaines dans l’enseignement supérieur ?

M.P. : Elle n’est pas assez importante bien sûr et il semble aujourd’hui que tout le monde soit d’accord avec cela. Mais si l’on y réfléchit un peu plus il me semble que le problème est plus grave encore : ce n’est pas celui d’un déséquilibre entre les disciplines mais celui de la notion même de discipline, c’est l’idée même de territoire disciplinaire qui n’a plus beaucoup de sens. Dans la réalité des entreprises, il y a de moins en moins de territoires et de sectorisation par compétences ; on s’aperçoit que ce qui est productif ce sont les procédures ou les groupes ou les gens capables de faire du marketing alors qu’ils sont chimistes tout en comprenant comment marche l’informatique. Un diplômé d’une école de commerce qui comprend les problèmes techniques est quelqu’un de précieux, le diplôme de base perd alors de son importance. Mais cette déterritorialisation se heurte au modèle machiniste de l’entreprise tel qu’il a été pensé il y a un siècle ou deux et dont nous ne sommes pas encore sortis. Dans ce modèle, les gens sont considérés comme des machines, alors qu’ aujourd’hui, dans nos sociétés occidentales, ce que peut faire une machine c’est une machine qui doit le faire, et l’avenir de notre économie est dans ce que seul les humains savent faire, à savoir le soin, les services à la personne bien sûr mais surtout les activités créatives, celles qui dépendent de l’émotionnel ; tout cela ne dépend pas de la territorialisation dont je parlais précédemment. Il est clair que notre éducation est en retard par rapport à cette réalité et c’est une chose terrible à admettre pour nous les enseignants car nous devrions être en avance. Les logiques de compétition sélective, de compétences disciplinaires sont aujourd’hui dépassées car elles courent après la réalité alors que nous devrions avoir quelque chose à apporter à la réalité.

CGE : Le développement durable relève-t-il de cette déterritorialisation dont vous parlez ?

M.P. : Oui, les problématiques soulevées par le développement durable demandent des spécialistes de tout et donc de rien, des personnes qui en fait associent des compétences et qui surtout ne cloisonnent rien. Ceci ne veut pas dire que nous avons besoin uniquement de « généralistes » du développement durable, loin de là ; bien sûr il faut des personnes avec des compétences spécifiques mais aujourd’hui celles-ci n’ont de valeur que si elles sont servies par des compétences humaines.

CGE : L’enseignement des sciences humaines est-elle une des voies pour casser ces territoires ?

M.P. : Oui c’est un des éléments de la mixture ; les sciences humaines doivent être plus présentes dans les écoles d’ingénieurs mais la réciproque est aussi vraie, les sciences humaines doivent s’imprégner d’une partie des enseignements des écoles d’ingénieurs. Et il faut évidemment remettre en question la manière de les enseigner au même titre que les autres disciplines ; il faut décloisonner toutes les disciplines mais aussi formation et vie « réelle » ou vie professionnelle, cela veut dire passer à des savoirs beaucoup plus pragmatiques et adaptables, exactement ce que les gens ne font aujourd’hui qu’après l’école.

CGE : Y a-t-il des formes de pédagogie qui permettent ce décloisonnement entre formation et vie professionnelle ?

M.P. : Oui la pédagogie par projet notamment et d’autres formes de pédagogie innovantes qui sont en train d’être inventées là ou la créativité des enseignants peut être stimulée par une demande clairement formalisée. Pour être plus précis c’est dans la formation continue ou au sein de formations comme les mastères spécialisés, par exemple, que vous trouvez aujourd’hui un public en capacité de faire évoluer les outils pédagogiques des enseignants car une grande partie de ce public a déjà eu une expérience professionnelle. On est donc en train d’inventer ce qui à coup sûr sera l’avenir, c’est-à-dire une formation qui sera étalée tout au long de la carrière professionnelle et une vie où il n’y a pas de phase de formation « en dehors de la vie réelle ». C’est un des décloisonnements majeurs.

CGE :
L’enseignement supérieur est-il sur cette voie aujourd’hui ?

M.P. : Oui forcément, mais beaucoup plus aux Etats-Unis qu’en France. J’y ai été frappé par la capacité des universitaires du monde des humanités à se mettre en posture de répondre à la demande du secteur des entreprises et à la demande sociale en fait, celle des acteurs de l’entreprise mais aussi des consommateurs et des régulateurs (pouvoirs publics par exemple). La perméabilité entre le monde de l’entreprise et le monde de l’enseignement, et je parle plus spécifiquement des humanités puisque c’est ce que je connais le mieux, est assez faible en France, ce qui a aussi pour corollaire l’absence de tout ou partie d’une culture issue du monde de l’entreprise au sein des universités. Il ne s’agit pas de l’argent ou du profit, bien sûr, je veux parler de la culture de projet ou encore de la responsabilité. La demande étudiante en termes de formation sur les questions humaines et sociales, par exemple, est pourtant bien présente et je crois qu’il faut surfer sur les aspirations des étudiants, sur leur idéalisme, au lieu de les dissuader, et trouver comment l’investir.

CGE : Pour revenir à votre champ d’investigation personnel, peut-on enseigner l’éthique et comment ?

M.P. : Oui, sauf qu’il faut comprendre ce que veut dire enseigner. D’abord il y a des outils, des notions dont il faut comprendre le fonctionnement et ensuite l’utilisation qu’on en fait, comme une équation. Celui qui a compris ce qu’est un système déontologique d’obligation  ou un système de responsabilité conséquentialiste va pouvoir mieux discuter avec le conseiller municipal, les syndicalistes ou avec son service qualité par exemple. Cela reste des outils qui ne vous donnent pas de la valeur humaine mais vous aident à mieux faire qu’en vous fiant uniquement à votre propre intuition. Enfin, l’enseignement de l’éthique ne se justifie que dans une société où il y a une demande sociale qui va dans ce sens, et il y en a une aujourd’hui, vis-à-vis de l’éthique du soutenable, de la responsabilité sociétale.

CGE : Vous dites qu’il y a une demande de la société et notamment aussi des entreprises concernant l’enseignement de l’éthique, ces dernières sont-elles sincères à votre avis ?

M.P. : On peut difficilement répondre à cette question et d’une certaine façon peu importent les motivations des entreprises. La réalité est qu’elles ont besoin, pour attirer des gens de valeur, de connaître leur système de valeurs et surtout de les partager pour les garder en leur sein. De plus, aujourd’hui, si vous savez produire du pétrole ou fabriquer des ordinateurs mais que vous avez l’image d’une personne ignoble, à tort ou à raison, votre situation est aussi grave que si vous aviez un problème de fabrication. Donc c’est aussi le marché qui impose aux entreprises de clarifier leur système de valeurs et leurs clients se positionnent aussi en fonction de cela. Prenons l’exemple des opérateurs de téléphonie française, vous ne trouverez peut-être pas les mêmes types de clients, quant à leurs valeurs personnelles, chez Orange ou chez Free. De même qu’un fabricant de chaussures qui recourt au travail d’enfants via la sous-traitance peut se voir pénaliser gravement s’il ne change pas ses pratiques rapidement. Cette question engage la pérennité économique de l’entreprise et donc sa stratégie.

CGE : A-t-on besoin du regard critique propre à la philosophie dans l’enseignement ?

M.P. : Oui, et par critique en philosophie on entend évaluation et non dénigrement. Les sciences humaines et leur enseignement apportent une partie essentielle à la capacité d’évaluation qu’un individu peut avoir de l’information qu’il cherche ou qu’il reçoit durant sa vie. Il faut transmettre une sorte de culture commune du recul qui permette aux individus d’adopter des positions responsables. Et c’est à mon avis la véritable valeur ajoutée que peut apporter l’enseignement supérieur dans nos pays de culture humaniste, sinon nous ne formerons rien de plus qu’un ingénieur totalement mécaniste, pour ne prendre que cet exemple. Cette transmission d’une culture du recul par le biais de l’enseignement supérieur ne peut cependant se faire efficacement que dans le cadre d’une confrontation avec la réalité lorsqu’il est question d’éthique professionnelle. C’est pourquoi les mastères spécialisés ou la formation continue sont aujourd’hui les formations les mieux adaptées. Je ne vois donc pas l’intérêt de décloisonner pour décloisonner au sein des formations initiales si l’on n’introduit pas des formes de pédagogie qui conduisent à une confrontation avec la réalité et, de façon plus globale, si l’on ne conçoit pas les institutions d’enseignement comme des réservoirs dans lesquels on vient piocher selon ses besoins tout au long de sa vie. Regardez ce qui se passe avec internet : la transition est déjà en marche, cette technologie est un formidable outil de décloisonnement et il apporte une réponse là où l’enseignement supérieur reste muet. Ce que nous pouvons faire aujourd’hui, entre autres, c’est alimenter ce réseau avec des informations de qualité et fournir à nos étudiants les outils pour l’utiliser de façon critique et productive.

CGE : Un des enjeux de l’enseignement est donc d’apprendre à discriminer l’information ?

M.P. : Exactement, il existe une notion en anglais qui est la « literacy », que l’on traduit en français par « littératie ». Il s’agit des connaissances minimales à avoir sur un peu tous les sujets pour pouvoir s’en sortir. Ce serait plutôt le rôle des médias et d’internet de transmettre une littératie de base, tandis que l’enseignement supérieur, me semble-t-il, doit faire exister une forme supérieure de cette littératie. En pratique c’est ce que font à peu près les grandes écoles généralistes.

CGE : Justement que pensez-vous des grandes écoles ?

M.P. : Déjà c’est un système franco-français et il est très difficile de faire comprendre la séparation entre grandes écoles et universités à un auditeur étranger. C’est une situation historique sur laquelle je ne reviendrai pas. Mais elle repose au départ sur une différenciation entre ce qui est ouvert à tous et ce qui tire de la valeur de la sélection, et c’est à mon sens une grave erreur. Nous avons un problème en France avec la sélection, qui est perçue comme une punition alors qu’elle devrait être vue comme l’opportunité offerte à tous d’accéder à une élite dont nous avons besoin.

Propos recueillis par Gérald Majou de la Débuterie
Chargé de mission Développement durable – CGE

Actualités DD dans les écoles

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